L’arrêt Jacques Vabre (Cour de cassation, chambre mixte, 24/05/1975, 73-13.556, publié au bulletin) est un arrêt fondamental en termes de conflit hiérarchique de normes, notamment de conflit de lois avec les traités internationaux. Cet arrêt majeur a, en effet, et ce, dans la lignée du Conseil constitutionnel (avec sa décision IVG de 1975, dans laquelle ce dernier a refusé d’effectuer tout contrôle de conventionnalité), mis fin à la suprématie de la loi et donné la compétence au juge judiciaire pour faire primer (en droit interne) une loi qui serait postérieure à un traité.
Cet arrêt Jacques Vabre a, en effet, énoncé, dans un attendu de principe, que : « le traité du 25 mars 1957 … a une autorité supérieure à celle des lois » et qu’il institue un « ordre juridique propre et intègre à celui des états membres … ». Qu’ainsi, c’est de « bon droit et sans excéder ses pouvoirs que le Cour d’appel a décidé … que le traité devait être applicable » dans le cas d’espèce.
Depuis lors, la Cour de cassation reconnaît, ainsi, le juge judiciaire comme étant compétent pour effectuer un contrôle de conventionnalité.
Mais, il serait sans doute judicieux avant de présenter cet arrêt majeur, d’expliquer ce que recouvre la notion de « primauté du droit international » en droit français et de préciser le « contexte juridique » ayant amené la Cour de cassation à prendre cette décision.
Promis, nous vous délivrons le commentaire d’arrêt détaillé de l’arrêt Jacques Vabre juste après 😉
Arrêt Jacques Vabre : Qu’est-ce que la primauté du droit international en droit français ?
La primauté d’une norme sur une autre signifie, en substance, que cette norme est tout simplement supérieure à l’autre.
Dès lors, dire que le droit international prime en droit français signifierait que les dispositions internationales (quelles qu’elles soient : normes communautaires telles que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, conventions internationales, etc.) seraient, dans la hiérarchie des normes (pyramide de Kelsen), considérées comme étant les normes supérieures, ce qui n’est pas tout à fait correct.
À titre liminaire, sans doute serait-il intéressant de préciser que la Constitution française elle-même (norme suprême dans notre hiérarchie des normes) consacre le principe de primauté du droit international sur les lois françaises.
L’article 55 de la Constitution précise, en effet, que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve … de son application par l’autre partie » (article adopté par la loi constitutionnelle 03/06/1958).
Le droit international prime donc sur les lois françaises, sous réserve, cependant, que le traité en question ait été régulièrement ratifié et à condition qu’il existe une certaine réciprocité avec les autres états signataires.
Le droit français reconnaît, ainsi, expressément la supériorité des dispositions internationales sur la loi française et réaffirme, par cet article, sa volonté de respecter ses engagements internationaux.
Ce principe a, d’ailleurs, été confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), lui-même, dans son arrêt Costa contre Enel, du 15/07/1964.
Pour autant, si le droit français et la CJUE s’accordent pour dire que les traités sont supérieurs aux lois françaises, ce consensus ne se retrouve pas s’agissant de la conciliation entre le droit européen et la Constitution française.
En effet, si la CJUE reconnaît, dans son arrêt Internationale Handelsgesellschaft, du 17/12/1970, que le droit constitutionnel des États doit plier devant le droit communautaire et les dispositions communautaires, pour autant, les juridictions françaises (Voir : Organisation juridictionnelle française) refusent très souvent de faire prévaloir le droit international sur la Constitution.
C’est ainsi que la Cour de cassation l’a reconnu dans son arrêt Fraisse, du 02/06/2000, et que le Conseil d’État l’a également affirmé dans son arrêt Sarran, en date du 30/10/1998.
Reste que le droit international prime sur les lois françaises et que les juridictions françaises n’ont d’autre choix, face à un tel conflit de normes, et donc à l’occasion de ce que l’on appelle un « contrôle de conventionnalité », de faire primer les traités invoqués sur les différentes lois en cause.
Il faut bien entendre, ici, par « juridictions » les juridictions judiciaires (droit privé) et administratives (droit public) puisque (et c’est là le point de départ de notre analyse) le Conseil constitutionnel, dans sa décision IVG, du 15/01/1975, s’est déclaré incompétent pour réaliser ce type de contrôle et a renvoyé cette compétence aux juridictions judiciaires et administratives.
C’est, d’ailleurs, en ce sens que la Cour de cassation a décidé, dans son arrêt Jacques Vabre (quelques mois seulement après la décision du Conseil constitutionnel) de reconnaître le juge judiciaire comme juridiction compétente pour réaliser un tel contrôle.
Prêt à découvrir le commentaire de l’arrêt Jacques Vabre ? Voici tout ce que vous devez connaître sur cet arrêt fondamental.
Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Jacques Vabre ?
À titre liminaire, il est à noter que le 25/03/1957, le traité de Rome a institué la Communauté économique européenne, et que le 14/12/1966 (soit postérieurement), la France a adopté une loi instaurant une taxe intérieure de consommation applicable aux produits importés (inscrite au sein de l’article 265 du Code des douanes).
Par ailleurs, précisons qu’en l’espèce, du 05/01/1967 au 04/07/1971, la société Cafés Jacques Vabre a importé des Pays-Bas (également état membre de la communauté européenne) du café, en vue d’une commercialisation en France. La société Wiegel, quant à elle, a assuré le dédouanement de ces marchandises en versant à l’administration des douanes la fameuse « taxe intérieure à la consommation » (créée par la loi de 1966).
Contestant le bien-fondé de cette taxe (les deux sociétés considéraient que cette taxe était contraire au traité de Rome, car elle consistait alors en une imposition supérieure à l’imposition appliquée aux cafés solubles qui étaient fabriqués et consommés en France et était, de ce fait, discriminatoire), les deux sociétés ont, ainsi, assigné l’administration des douanes en vue d’obtenir la restitution du montant des taxes perçues (société Wiegel) et l’indemnisation du préjudice subi du fait de la privation des fonds versés au titre de cette taxe (société Jacques Vabre).
S’agissant de la Cour d’appel de Paris, celle-ci a accueilli ces demandes, dans un arrêt en date du 07/07/1973.
L’administration des douanes a, alors, formé un pouvoir en cassation.
Quelles sont les prétentions des parties dans l’arrêt Jacques Vabre ?
Dans cette affaire, l’administration des douanes conteste, bien évidemment la décision prise par les juges d’appel. Elle considère, entre autres (seul ce moyen nous intéresse aujourd’hui) que la loi de 1966, qui instaure cette taxe, a régulièrement été votée par le parlement français et qu’elle doit s’imposer au juge judiciaire ; on comprend, ici, que selon l’administration des douanes, le juge judiciaire n’a pas compétence pour écarter l’application d’une loi interne, quand bien même cette loi heurterait les dispositions issues d’un traité (qui a autorité supérieure à la loi, conformément à l’article 55 de la Constitution).
Il est, en effet, mentionné dans l’arrêt Jacques Vabre qu’il est « fais grief à l’arrêt d’avoir déclaré illégale la taxe intérieure … », car elle était « incompatible avec les dispositions de l’article 95 du traité du 24 mars 1957 … » et selon le pourvoi que s’il appartient bien au juge fiscal d’apprécier toute la légalité des textes règlementaires « il ne saurait sans excéder ses pouvoirs, écarter l’application d’une loi interne … » sous le prétexte « qu’elle revêtirait un caractère institutionnel ».
S’agissant des défenderesses au pourvoi, on imagine tout à fait que leur argumentation se fondait, justement, sur l’article 55 de la Constitution et qu’elles considéraient, de ce fait, que le juge judiciaire avait le pouvoir d’écarter une loi (même postérieure) et contraire à un traité.
Quel est le problème de droit de l’arrêt Jacques Vabre ?
Au fond, le problème majeur de cet arrêt Jacques Vabre était celui de savoir quelle autorité donner à ce que l’on appelle la « suprématie » de la loi : la loi est-elle (toujours) cette norme interne que ni rien ni personne (pas même la jurisprudence) ne saurait écarter ?
Finalement, la problématique au cœur de cet arrêt sur laquelle la Cour de cassation devait se prononcer était celle de savoir si le juge judiciaire était compétent pour écarter une loi qui serait contraire à un traité. Peut-on, tout bonnement, accorder au juge judiciaire, « bouche de la loi », le pouvoir d’écarter une loi inconventionnelle ?
Quelle est la solution de l’arrêt Jacques Vabre ?
Dans cet arrêt Jacques Vabre, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte (formation exceptionnelle, réunie, notamment, lors de divergences entre chambre civile et chambre commerciale, par exemple), rejette le pourvoi de l’administration des douanes.
S’agissant, notamment de la question de la primauté du droit communautaire sur la loi française, la Cour considère, dès lors, que : « le traité du 25 mars 1957, en vertu de l’article (55 de la constitution) a une autorité supérieure à celle des lois » il institue ainsi « un ordre juridique propre à celui des états membres ».
La Cour de cassation précise, ainsi, que le traité de Rome a bien une autorité supérieure à celle de la loi, conformément à l’article 55 de la Constitution (il s’intègre, de ce fait, dans l’ordre juridique des états membres), quand bien même cette loi serait postérieure à cette loi. Elle précise encore (et c’est là l’apport essentiel de cet arrêt !) que le juge judiciaire est compétent pour effectuer le contrôle de conventionnalité de la loi.
La décision rendue par la Cour de cassation « répond », ainsi, au Conseil constitutionnel (décision IVG de janvier 1975) qui avait déclaré, quelques mois plus tôt, qu’il relevait de la compétence des juges judiciaire et administratif d’effectuer un tel contrôle.
Quelle est la portée de l’arrêt Jacques Vabre ?
Cet arrêt Jacques Vabre fait partie des arrêts que tous les étudiants en droit doivent connaître en droit administratif (en complément de la décision IVG du Conseil Constitutionnel de 1975) tant cet arrêt à participer à l’ouverture des juridictions françaises au droit international, qui se sont, alors, montrées beaucoup plus réceptives aux normes internationales.
C’est, d’ailleurs, ce mouvement qui a finalement conduit le Conseil d’État à, lui aussi, reconnaître la possibilité pour le juge administratif d’effectuer un contrôle de conventionnalité des lois, dans son arrêt Nicolo du 20/10/1989.
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super clair merci beaucoup