Quel est l’apport fondamental de l’arrêt Cousin du 14 décembre 2001 ?

Arrêt Cousin

L’arrêt Cousin du 14 décembre 2001 ne peut être analysé indépendamment de l’arrêt Costedoat rendu par la même formation solennelle de la Cour de cassation, le 25 février 2000 et qui avait suscité de nombreux commentaires, pas toujours approbateurs.

Cet arrêt de principe « Costedoat » avait énoncé que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui était impartie par le commettant ».

Rendu au seul visa des articles 1382 et 1384, alinéa 5 du Code civil, cet arrêt laissait subsister l’interrogation sur la portée de l’exonération de la responsabilité civile personnelle du préposé dans le cas où celui-ci avait commis une infraction pénale, intentionnelle ou non intentionnelle.

Seule demeurait la certitude que l’acte du préposé, étranger à la finalité de l’entreprise, même commis dans l’exercice de ses fonctions, ainsi que l’acte commis en dehors de l’exercice des fonctions, sans autorisation de l’employeur, à des fins étrangères aux attributions du salarié, engageait sa responsabilité personnelle.

C’est donc dans ce contexte qu’à la suite de la condamnation pénale du comptable d’une société était invoqué un moyen de cassation inspiré de l’arrêt Costedoat dans l’affaire jugée le 14 décembre 2001 par l’Assemblée plénière.

Dans les prochains paragraphes, nous allons réaliser le commentaire d’arrêt détaillé de l’arrêt Cousin du 14 décembre 2001 rendu par la Cour de cassation.

Les faits et la procédure de l’arrêt du 14 décembre 2001

Un comptable d’une société est condamné pénalement par la cour d’appel de Paris le 1er mars 2002 pour faux, usage de faux, escroquerie, après avoir rédigé de fausses attestations de stages, sur ordre de son employeur, dans le but d’obtenir frauduleusement au profit de la société, les avantages financiers liés à l’embauche de jeunes salariés en vertu de contrats de qualification.

La cour d’appel de Paris a également retenu sa responsabilité civile et l’a condamné à indemniser les parties civiles du préjudice qu’elles ont subi à raison d’infractions pour lesquelles sa responsabilité pénale a été reconnue.

Insatisfait de la décision, le préposé forme un pourvoi en cassation.

*** Pour approfondir un peu plus le sujet en matière de droit de la responsabilité civile, visitez aussi notre article : Arrêt Levert rendu le 10 mai 2001. Nous vous détaillons via ce cours les faits, procédures, solutions et les limites de l’arrêt. ***

Arrêt Cousin : Les prétentions des parties et le problème de droit

Le préposé se défend de la mise en cause de sa responsabilité civile en mettant en avant le fait que les infractions résultaient uniquement de l’exécution des instructions qu’il avait reçues et s’inscrivaient par conséquent dans la mission qui lui était impartie par son employeur.

Il résulte de la lettre même de l’article 1242 alinéa 5, ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil, que les commettants doivent répondre des dommages causés par leurs préposés « dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

C’est dire que le commettant n’a pas à répondre des dommages qui seraient imputables au préposé, mais dénués de tout lien avec ses fonctions. À l’inverse, le commettant sera déclaré responsable lorsque l’acte dommageable du préposé a été commis dans l’accomplissement de la mission qui lui a été confié.

Il est donc soumis à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation la question de savoir si un préposé doit supporter personnellement l’obligation de réparation civile, s’il a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été impartie par son commettant à l’égard des tiers ?

La solution de l’arrêt Cousin du 14 décembre 2001

Par son arrêt Cousin de l’Assemblée plénière du 14 décembre 2001, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle décide que le préposé qui est condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers, même sur ordre de son employeur, engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers.

L’Assemblée plénière à l’occasion de l’arrêt Cousin avance le principe selon lequel la responsabilité pénale du préposé, dont il était admis qu’elle n’était pas remise en cause par l’arrêt Costedoat du 25-02-2000, engendre sa responsabilité civile à l’égard de la victime ; mais, elle ne l’affirme qu’à propos d’une infraction intentionnelle.

On est donc inévitablement conduit à s’interroger sur l’extension éventuelle de la solution lorsque le préposé se rend coupable d’une infraction non intentionnelle prévue par les alinéas 2 et 3 de l’article 121-3 du Code pénal.

La Cour de cassation était ici saisie de la question de l’incidence d’une faute pénale intentionnelle sur la responsabilité civile encourue par le préposé. Elle n’a donc statué que dans cette seule limite.

Sans doute aurait-elle pu préciser davantage la portée de l’influence de la responsabilité pénale du préposé sur sa responsabilité civile, mais elle ne l’a pas fait. Il ne peut donc être déduit de son arrêt qu’elle a nécessairement entendu exclure la responsabilité civile du préposé lorsqu’il commet une infraction pénale non intentionnelle.

Par cet arrêt Cousin, la Cour de cassation réduit de façon importante la portée de l’irresponsabilité civile du préposé affirmée dans son arrêt Costedoat, sans pour autant la supprimer. Cela dit, la responsabilité civile du préposé envers la victime n’est pas seulement subordonnée à la commission d’une faute pénale intentionnelle, car, à suivre la formule de l’arrêt commenté, il faut encore que le préposé ait été « condamné pénalement ».

En l’absence, quelle qu’en soit la raison, le principe d’irresponsabilité civile posé par l’arrêt Costedoat doit certainement s’appliquer. Il ne paraît en effet pas pouvoir être déduit de l’arrêt Cousin que la seule constatation par le juge civil de l’imputabilité au préposé d’une infraction pénale intentionnelle suffise pour retenir la responsabilité personnelle de celui-ci (Lire : Les éléments constitutifs d’une infraction). Il pourrait cependant être soutenu qu’un acte de cette nature place nécessairement le préposé hors des limites de sa mission ; et l’on sait que dans cette situation le préposé est civilement responsable.

La Cour de cassation apporte en revanche une précision essentielle s’agissant du régime de la responsabilité civile du préposé, comme conséquence de sa faute pénale, qui marque nettement un retour à la situation antérieure à l’arrêt Costedoat.

En effet, en jugeant qu’il importe peu que le préposé ait agi sur l’ordre du commettant, elle retient que la responsabilité civile du préposé est engagée à l’égard de la victime même s’il a agi dans les limites de la mission qui lui a été confiée par son commettant.

En d’autres termes, ce qui justifie l’irresponsabilité civile du préposé ayant commis une faute civile à savoir l’exécution de la mission impartie, ne justifie pas la même irresponsabilité civile lorsque la faute commise est pénale.

La qualification pénale de la faute commise n’a, en réalité, d’incidence que sur la possibilité d’exercer des poursuites pénales, c’est-à-dire une répression. Elle est étrangère au mécanisme de la responsabilité civile qui sanctionne, en principe, n’importe quelle faute, quelle qu’en soit la gravité.

À ce stade de l’analyse, on peut conclure à l’existence d’une incompatibilité, et non à une simple incohérence, entre les solutions retenues par l’Assemblée plénière dans ses deux arrêts rendus à moins de deux ans d’intervalle.

Il n’y a pas, en conséquence, de contrariété entre le principe posé par l’arrêt Costedoat et l’article 2 du Code de procédure pénale, qui énonce que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention » appartient bien à tous ceux qui ont de manière personnelle « souffert du dommage causé directement par l’infraction ».

La voie était donc, en l’espèce, largement ouverte à l’existence d’une responsabilité pénale du préposé, sans responsabilité civile. Schéma inverse de celui qui a été introduit par la loi du 10 juillet 2000 relative à la nouvelle définition des délits non intentionnels, la dissociation de la faute civile et de la faute pénale ne constituait nullement, en ce sens, une aberration juridique.

Le pas avait d’ailleurs été franchi, après l’arrêt Cousin, par la chambre criminelle, le 23 janvier 2001. Pour exonérer de responsabilité civile le responsable salarié d’un centre commercial condamné pénalement du chef de tromperie et de publicité mensongère, la chambre criminelle avait considéré qu’il avait agi dans l’exercice normal de ses attributions et que l’employeur était seul responsable des conséquences civiles de l’infraction. Il était pourtant titulaire d’une délégation de pouvoirs.

La portée de l’arrêt Cousin du 14 décembre 2001

Originellement conçue par la jurisprudence comme une simple garantie de la solvabilité du préposé, la responsabilité du commettant ne devait pas écarter, la responsabilité personnelle du préposé, qu’elle fut mise en cause par l’action de la victime, par un appel en garantie du commettant, ou encore par une action récursoire.

À l’inverse, il pourrait être envisagé des hypothèses intermédiaires dans lesquelles le préposé, bien qu’agissant dans le cadre de ses fonctions, excède tout à la fois les limites de sa mission. Dans ce cas exceptionnel, les responsabilités du commettant et du préposé devraient être envisagées cumulativement.

Dans une certaine acception, la décision de l’arrêt Cousin poserait la seule et unique exception à l’immunité du préposé : la condamnation de celui-ci pour une infraction intentionnelle, que celle-ci ait été ou non commise sur l’ordre du commettant. La référence aux limites de la mission céderait ainsi sa place au seul et unique critère de la gravité de la faute du préposé.

Appréhendé sous un autre angle, l’arrêt Cousin ajouterait une nouvelle exception à l’immunité du préposé : dans le cadre même des limites de sa mission en ce qu’il agit sur l’ordre de son employeur, le préposé engagerait sa responsabilité en cas de faute d’une particulière gravité, constitutive d’une infraction pénale intentionnelle au titre de laquelle il a fait l’objet d’une condamnation.

À l’opposé, le dépassement des limites de la mission suffirait à lui seul, et, quelle que soit la gravité de la faute, a engagé la responsabilité personnelle du préposé parallèlement à celle du commettant.

L’arrêt rapporté tend clairement vers cette dernière interprétation. Deux éléments en témoignent, et en premier lieu les termes de la décision elle-même. S’ils ne font explicitement référence au dépassement des limites de la mission impartie par l’employeur, il n’en demeure pas moins qu’à définir un tel dépassement comme la recherche d’un intérêt personnel et plus généralement par la poursuite d’objectifs étrangers à ceux de l’entreprise, les motifs retenus par la cour induisent, certes timidement, mais néanmoins sûrement, l’existence de ces critères.

En second lieu, il est patent que la condamnation du préposé ne repose pas sur les critères de l’arrêt Cousin. Non pas que les faits de contrefaçon par imitation reprochés au préposé ne puissent dans l’absolu être qualifiés d’infraction pénale intentionnelle, mais plutôt parce que le préposé n’a pas fait l’objet d’une condamnation au sens de l’arrêt du 14 décembre 2001.

Peut-être la cour aixoise a-t-elle alors implicitement pris acte de la position de la chambre criminelle qui a jugé postérieurement à l’arrêt Cousin que la condamnation pénale était indifférente (Cassation chambre criminelle 7 avril 2004).

Pour autant, et à en croire le silence de l’arrêt sur la question, rien ne permet de penser qu’une juridiction répressive a par ailleurs constaté, conformément aux termes de cette dernière décision, la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction.

Plus sûrement, il nous semble que les juges ont considéré, à juste titre, que le caractère intentionnel de la faute du préposé, qui recherchait par son action à causer un préjudice à la société Escota, le conduisait nécessairement à dépasser les limites de sa mission.

Il reste que cette situation n’épuise pas nécessairement toutes les hypothèses de dépassement, par le préposé, des limites de sa mission.

Par exemple, un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 15 janvier 2006 exclut la responsabilité du préposé « condamné pénalement pour une infraction pénale non intentionnelle », et précise aussitôt que le préposé a agi « sans excéder les limites de la mission qui lui était impartie » (CA Lyon 19 janvier 2006). Cela permet de penser qu’une infraction non intentionnelle commise par le préposé pourrait, dans certains cas, excéder les limites de la mission qui lui était impartie), si du moins, cette théorie est retenue dans son principe.

S’il fait l’objet d’un pourvoi, l’arrêt rapporté donnera l’occasion à la Cour de cassation de préciser, dans un sens ou dans un autre, la lecture globale qu’il convient de faire des arrêts Costedoat et Cousin. L’immunité du préposé devrait alors céder aussi devant le dépassement de la mission impartie par l’employeur, distinct du concept d’abus de fonctions.

Enfin, la Haute Cour confirme par son arrêt du 21 février 2008 le parti pris de restreindre l’immunité personnelle du préposé.

Nos autres cours se rapportant aux arrêts fondamentaux en droit de la responsabilité civile :

  1. Responsabilité civile : Arrêt Franck du 02 décembre 1941
  2. Responsabilité civile : Arrêt Desmares du 21 juillet 1982
  3. Responsabilité civile : Arrêt Fullenwarth du 5 mai 1984
  4. Responsabilité civile : Arrêt Lemaire du 9 mai 1984

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