Pourquoi l’arrêt Levert est un arrêt majeur en droit de la responsabilité civile ?

arrêt Levert

L’arrêt Levert rendu le 10/05/2001 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est un arrêt fondamental en matière de droit de la responsabilité civile délictuelle, notamment en ce qui concerne la responsabilité des parents du fait de leur(s) enfant(s) mineur(s). Cet arrêt majeur a, en effet, participé au mouvement d’objectivisation de ce type de responsabilité et a, surtout, poursuivi le raisonnement apporté par un autre arrêt majeur en la matière : L’arrêt Fullenwarth, dont nous parlerons dans quelques instants.

Cet arrêt Levert a, en effet, énoncé, dans un attendu de principe, que : « Attendu que la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ».

Depuis lors, la jurisprudence reconnaît, ainsi, qu’il n’est nul besoin de caractériser une faute de l’enfant, qu’elle soit objective ou subjective, pour engager la responsabilité de plein droit de ses parents.

Mais, sans doute serait-il intéressant avant de présenter cet arrêt majeur, d’expliquer ce que recouvrent les notions de responsabilité du fait d’autrui, de responsabilité des parents de fait de leur(s) enfant(s) mineur(s) puis de préciser le « contexte juridique » ayant amené la Cour de cassation à prendre cette décision.

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Arrêt Levert : Qu’est-ce que la responsabilité du fait d’autrui ?

La responsabilité du fait d’autrui est un cas particulier de responsabilité (il existe également la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés…) et peut s’analyser comme l’obligation de réparer le préjudice causé par les personnes dont on doit répondre parce qu’on a la charge d’organiser, de diriger et de contrôler leur activité.

À l’origine, le Code civil ne prévoyait que des cas précis de responsabilité du fait d’autrui (comme en matière de responsabilité du fait des choses). Progressivement, la jurisprudence a déduit de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil, désormais l’article 1242 (issu du projet de réforme de 2016), un principe général de responsabilité du fait d’autrui, notamment avec l’arrêt Blieck, rendu le 29 mars 1991 (Cass. Plén. 29/03/1991, n°89-15.231, publié au bulletin).

Qu’est-ce que la responsabilité des parents du fait de leur(s) enfant(s) mineur(s) ?

L’article 1242 du Code civil (ancien 1384) fixe le régime de responsabilité des parents du fait de leur enfant et prévoit que « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

Plusieurs conditions doivent, donc être réunies afin de pouvoir engager la responsabilité civile d’un parent et d’obtenir la réparation du (ou des) préjudices subis, sur ce fondement.

D’abord, l’article 1242 du Code civil vise « le père et la mère » ; les parents, donc, mais les parents qui exercent l’autorité parentale. Ces derniers peuvent donc être tenus responsables, solidairement, des dommages causés par leur(s) enfant(s) mineur(s) ; on en déduit donc que celui qui s’est vu retirer l’autorité parentale sur son enfant ne pourra voir sa responsabilité engagée sur ce fondement.

Ensuite, rappelons que l’enfant mineur doit « habiter » avec les parents. Il faut donc caractériser une cohabitation, qui se confond, aujourd’hui, avec la première condition, qui est celle de l’autorité parentale. Les parents, ainsi titulaires de l’autorité parentale, demeurent responsables du dommage causé par leur enfant, quand bien même ce dommage aurait lieu alors que l’enfant ne résidait pas (effectivement) chez eux.

En outre, cette responsabilité ne s’applique que pour les enfants mineurs. Ainsi, la majorité ou l’émancipation font cesser toute possibilité d’action sur ce fondement.

Enfin (et c’est sur ce terrain que se place l’arrêt Levert), les parents sont responsables, sur ce fondement, dès l’instant même où le dommage « a été causé par leur enfant mineur » (fait générateur de responsabilités). Il ressort donc de cet article que la victime, agissant sur ce fondement, peut se contenter de démontrer que l’enfant a été l’auteur d’un acte qui soit la cause directe de son dommage et donc de ses préjudices.

L’interprétation littérale de cet article (s’agissant de cette dernière condition) a, néanmoins, donné lieu à quelques divergences au sein de la jurisprudence et de la doctrine, en particulier en ce qui concerne la nature du fait dommageable de l’enfant (une faute ? Un fait purement objectif ?, etc.).

Pendant longtemps, la jurisprudence a condamné des parents sur ce fondement (mais surtout le chef de famille qui exerce la puissance parentale), lorsque ceux-ci avaient commis une faute personnelle de surveillance et/ou d’éducation et lorsque l’on pouvait retenir à l’encontre de l’enfant un acte fautif.

Puis, la jurisprudence évolua, notamment avec l’arrêt Fullenwarth (Cass. Plén. 09/05/1984, n°79-16.612, publié au bulletin), par lequel la Cour de cassation semblait avoir consacré la notion de faute objective. En effet, celle-ci a reconnu que pour que soit présumée la responsabilité des pères et des mères d’un enfant mineur habitant avec eux et ce, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, « il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ».

Cette solution fut, également, complétée avec celle de l’arrêt Bertrand (Cass. civ. 2ème, 19/02/1997, n°94-21.111, publié au bulletin, publié au bulletin), dans lequel la Cour reconnut, définitivement, que la responsabilité des parents du fait de leur enfant était une responsabilité de plein droit (arrêt ayant davantage trait aux causes d’exonérations telles que la cause étrangère, la faute de la victime, la force majeure, etc.).

Ces solutions n’ont, cependant, pas su convaincre l’ensemble des juridictions du fond et n’ont pas entièrement levé l’ambiguïté sur la qualification du fait dommageable de l’enfant, et c’est, finalement, avec l’arrêt Levert du 10 mai 2001 que la réponse à cette problématique fut apportée.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Levert ?

En l’espèce, une partie de rugby était organisée par des collégiens, lors de la récréation (dans un établissement privé d’enseignement sous contrat d’association avec l’État). Lors de cette partie, à l’occasion d’un plaquage, un élève (Laurent Y) en a blessé un autre (Arnaud X), au niveau de l’œil.

Les parents de la victime ont alors assigné, au nom de leur enfant (à sa majorité) et en réparation de son préjudice, les parents de celui qui avait causé la blessure ainsi que leur assureur, le collège et son propre assureur, mais également l’État français représenté par le Préfet du département concerné, ainsi que la CPAM. La victime, ayant atteint la majorité, est également intervenue volontairement à l’instance.

Rien n’est dit sur ce qui a pu se passer en première instance.

En appel, la Cour semble avoir débouté la victime de ses demandes ; celle-ci s’est alors pourvue en cassation.

Quelles sont les prétentions des parties dans l’arrêt Levert ?

Dans cette affaire, les parents de la victime (mais également la victime, intervenue volontairement à l’instance) ont actionné le plus grand nombre de personnes afin d’obtenir réparation et d’assurer l’indemnisation de leurs préjudices et de ceux subis par leur enfant (maximisation des dommages et intérêts).

S’agissant de la responsabilité de l’État et du collège (qui n’est pas celle qui nous intéressera aujourd’hui), les requérants semblent, en effet, avoir considéré que la responsabilité de ces personnes morales pouvait être engagée. Ils souhaitaient, ainsi, voir engager la responsabilité du collège, dans la mesure où le surveillant exerçant ses fonctions, lors de « l’accident », avait commis une faute de surveillance qui était, dès lors, imputable au collège (qui avait ainsi commis une faute dans l’organisation du service de surveillance). Ils souhaitaient, également, engager la responsabilité de l’État, compte tenu de la nature spécifique du collège (collège sous contrat d’association avec l’État).

Ce point n’est pas celui qui nous intéresse aujourd’hui. Notons simplement que les demandes des requérants ont été rejetées par la Cour d’appel et que la Cour de cassation approuve cette décision.

En revanche, s’agissant de la responsabilité des parents de « l’enfant » à l’origine du fait dommageable (point qui nous intéresse aujourd’hui), on imagine très bien que les requérants aient suivi le raisonnement de l’arrêt Fullenwarth (et l’interprétation littérale de l’article 1384/1242) et qu’ils se soient contentés de démontrer que l’autre « enfant » avait été à l’origine du dommage subi par la victime…

Ce n’est, malheureusement (pour eux), pas le raisonnement que la Cour d’appel a suivi puisque cette dernière a considéré qu’il fallait, pour retenir la responsabilité des parents, analyser, au préalable le comportement de l’enfant à l’origine du dommage : « […] l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’examen de la responsabilité de l’enfant, Laurent Y…, est un préalable à la détermination de la responsabilité de ses parents, qu’il n’est reproché à Laurent Y… que d’avoir par maladresse blessé son camarade, Arnaud X…, en lui portant involontairement un coup au visage, […] qu’il n’est pas soutenu, donc encore moins établi, que Laurent Y… n’ait pas observé loyalement les règles de ce jeu, qu’Arnaud X…, en ayant participé à ce jeu avec ses camarades avait nécessairement accepté de se soumettre à ces règles du jeu et aux risques que présentait celui-ci […] le malencontreux plaquage, à l’occasion duquel fut blessé Arnaud X…, ne saurait engager la responsabilité de Laurent Y… ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner celle de ses parents » (raisonnement très défavorable pour la victime, et ce d’autant que les requérants ne s’étaient, en aucun cas, prévalu de la responsabilité du fait personnel de l’enfant…).

Quel est le problème de droit de l’arrêt Levert ?

En l’espèce (si l’on ne se place que sur le terrain de la responsabilité des parents de l’enfant à l’origine du dommage), le problème principal était le suivant : les parents de la victime (et cette dernière) pouvaient-ils se contenter de démontrer que l’autre enfant avait commis un fait/acte dommageable, à l’origine des préjudices subis ?

Dit autrement : le simple fait objectif peut-il suffire à engager la responsabilité des parents ou faut-il encore que le fait causal de l’enfant « auteur du dommage » ait été fautif ?

Quelle est la solution de l’arrêt Levert ?

En l’espèce, dans cet arrêt Levert, la Cour de cassation, casse l’arrêt d’appel, sur la question de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur.

Elle prend pour visa l’article 1384 ancien (relatif à ce type de responsabilité) et précise que la responsabilité de plein droit (ARRÊT BERTRAND, 19 février 1997) est « encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ».

Cette décision paraît logique et légitime sur plusieurs plans. D’abord, elle va dans le sens des précédentes décisions rendues par la Cour de cassation, elle-même, sur cette problématique (Fullenwarth…) ; elle s’inscrit, donc, dans une certaine continuité. Ensuite, elle a le mérite d’être claire et de définitivement trancher le débat de la nature du fait dommageable commis par l’enfant : ce fait est objectif, nul besoin de démontrer une faute de l’enfant.

Quelle est la portée de l’arrêt Levert ?

L’arrêt Levert, contrairement à l’arrêt Fullenwarth, a su convaincre les juges du fond et n’a jamais été remis en cause.

D’ailleurs, l’Assemblée plénière consacrera, finalement, cette évolution dans un arrêt admettant la responsabilité des parents d’un enfant qui n’avait commis aucune faute (Cass, Assemblée plénière, 13/12/2002, 00-13.787, publié au bulletin) et la Cour reprendra, de nouveau, la solution de l’arrêt Levert dans des arrêts postérieurs et notamment dans un arrêt rendu en juillet 2003 (Cass. civ. 2ème, 03/07/2003, n° 02-15.696, publié au bulletin).

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