En quoi l’arrêt Desmares du 21 juillet 1982 est-il important en droit de la responsabilité civile ?

Arrêt Desmares

L’arrêt Desmares (Cass. Civ. 2ème, 21/07/1982 n° 81-12.850) est un arrêt fondamental en droit de la responsabilité civile délictuelle et constitue un revirement de jurisprudence marquant (concernant la question de l’exonération de la responsabilité du gardien de la chose, en cas d’une faute de la victime), dans la mesure où la Cour de cassation, par cet arrêt, a pu énoncer que tout fait ne revêtant pas les caractères de la force majeure ne pouvait exonérer, et ce, même partiellement, le gardien présumé responsable d’un dommage causé par une chose.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a ainsi reconnu que : « seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil » et que, « le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’en exonérer, même partiellement ».

Cependant, il serait sans aucun doute plus judicieux d’expliquer ce qu’est la responsabilité du fait des choses et de préciser tout le contexte juridique ayant amené la Cour de cassation à prendre cette décision, avant de présenter les fondements de cet arrêt majeur du droit de la responsabilité civile délictuelle ; l’arrêt Desmares.

Arrêt Desmares du 21/07/1982 : Qu’est-ce que la responsabilité du fait des choses ?

L’article 1242 du Code civil (ancien 1384) prévoit que : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait » … Mais aussi « de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’instar de la responsabilité du fait d’autrui, la responsabilité du fait des choses, article 1242 alinéa 1, elle, est une responsabilité objective, c’est-à-dire déconnectée de toute idée de faute.

Ici encore, le Code civil n’avait prévu, à l’origine, que des cas particuliers de la responsabilité du fait des choses (responsabilité du fait des animaux, responsabilité du fait de bâtiments en ruine, etc.). La jurisprudence a, donc, déduit de cet ancien article 1384 du Code civil, un principe général de responsabilité du fait des choses, notamment avec l’arrêt Jand’heur (Cass., Ch. Réunies, 13/02/1930, publié au bulletin), et en a fixé le régime.

À ce titre, notons que plusieurs conditions doivent être caractérisées afin de pouvoir engager la responsabilité d’une personne sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. Ainsi, afin d’engager la responsabilité d’un individu sur ce fondement, il est nécessaire d’établir l’existence d’un dommage, certes, mais également l’existence d’une chose, d’un fait dommageable et d’un gardien tenu pour responsable du dommage.

S’agissant de la chose, précisons que toute chose existante peut être le siège de la responsabilité du fait des choses, dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un régime à part (responsabilité du fait des animaux [Article 1243 du Code civil], des bâtiments en ruine, etc.). Il importe donc que la chose soit mobile ou immobile, dangereuse ou non.

S’agissant du fait de la chose à l’origine du dommage, notons que cette condition doit être appréhendée en deux temps : il faut ainsi vérifier que la chose est bien entrée en contact avec la victime (il est ainsi nécessaire de prouver son intervention matérielle dans la survenance du dommage), puis de vérifier par la suite si elle était ou non en mouvement (c’est-à-dire vérifier si elle a eu un rôle actif).

En ce sens, il est nécessaire de préciser qu’il pourra y avoir présomption du rôle actif de la chose dès lors que celle-ci sera entrée en contact avec la victime alors qu’elle était en mouvement. En revanche, en l’absence de contact, il appartiendra à la victime de prouver l’anormalité de la chose ainsi que son rôle actif.

Concernant la garde de la chose, notons que l’arrêt Franck du 2 décembre 1941 (Cass., ch. Réunies, 02/12/1981, publié au bulletin) a donné une définition de celui qui pouvait être considéré comme gardien dans le cadre de ce régime de responsabilité.

Le gardien est alors celui qui a l’usage, la direction et le contrôle de la chose, peu importe qu’il soit mineur (voir arrêt Gabillet : Cass. Assemblée Plénière, 09/05/1984, n° 80-14.994) ou en incapacité. L’individu est alors présumé gardien de la chose dès lors que ces trois critères sont remplis, à moins qu’il démontre un transfert de la garde (en vertu d’un acte juridique ou d’une dépossession involontaire).

Ainsi, la responsabilité du fait des choses est une responsabilité objective ; il n’est pas donc nécessaire de prouver une faute du gardien, tout comme il n’est pas possible pour ce dernier de s’exonérer en rapportant la preuve de son absence de faute.

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Comment le gardien de la chose peut-il dès lors s’exonérer de sa responsabilité ?

Le gardien peut, d’abord, se prévaloir de l’existence d’un cas de force majeure et prouver l’irrésistibilité, l’imprévisibilité et l’extériorité de l’événement qu’il invoque. Il peut également, dans les mêmes conditions, s’exonérer totalement de sa responsabilité en invoquant le fait d’un tiers ou la faute de la victime (causes étrangères). Enfin, notons que le gardien peut s’exonérer partiellement de sa responsabilité lorsque la faute de la victime ne revêt pas les caractères de la force majeure, ce qui n’a pas toujours été le cas.

En effet, si pendant longtemps, les juges ont pu admettre que le gardien pouvait être partiellement déchargé de sa responsabilité dès lors qu’il rapportait la preuve que le fait de la victime (même non imprévisible ou irrésistible) avait concouru à la survenance du dommage (Cass. Civ. 2ème, 29/05/1973, n° 72-11.410, par exemple).

Finalement, la Cour de cassation décida, avec le célèbre arrêt Desmares, de provoquer le législateur qui n’avait prévu aucun régime de responsabilité pour les victimes d’accidents de la circulation, en prévoyant un système de « tout ou rien » et en énonçant que seul un événement constituant un cas de force majeure pouvait exonérer le gardien de sa responsabilité.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Desmares du 21/07/1982 ?

En l’espèce dans l’arrêt Desmares, alors que la nuit était en train de tomber, la voiture de l’intéressé (M. DESMARES) a heurté et blessé deux époux qui traversaient la chaussée à pied.

Les deux époux ont alors demandé réparation de leurs préjudices au conducteur et à son assureur, sur le fondement de l’article 1384 du Code civil (les faits se déroulant avant la loi Badinter de 1985, qui prévoit un régime spécial pour les victimes d’accidents de la circulation, les victimes ne pouvaient se fonder que sur le régime de responsabilité du fait des choses).

Après une première décision, la Cour d’appel de Reims s’est prononcée dans un arrêt rendu le 15 janvier 1981 et a retenu la responsabilité de l’intéressé.

Un pourvoi a donc été formé par l’intéressé et son assureur.

Quelles sont les prétentions des parties et les questions de droit de l’arrêt Desmares ?

Contrairement à l’arrêt Fullenwarth du 5 mai 1984, les prétentions des parties dans l’arrêt Desmares sont les suivantes : En l’espèce, le conducteur, ainsi que son assureur, ont reproché aux juges du fond d’avoir retenu son entière responsabilité et ont allégué d’un défaut de motivation.

Ils considéraient, notamment, que l’intéressé pouvait s’exonérer, au moins partiellement, de sa responsabilité dans la mesure où les deux époux avaient commis des fautes d’imprudence en traversant la chaussée en dehors du passage piéton (« sans s’assurer qu’ils pouvaient le faire sans danger et sans tenir compte de la vitesse et de la distance des véhicules circulant à ce moment »).

Concernant la Cour d’appel, il semblerait bien que celle-ci ait considéré qu’au regard des circonstances de fait, « le choc ne pouvait se situer qu’au niveau du passage réservé aux piétons ou à proximité immédiate de celui-ci » et que, dès lors, aucune faute positive « ne pouvait être reprochée aux piétons de nature à exonérer, fût-ce pour partie, Louis Z … de la présomption de responsabilité mise à sa charge en tant que gardien de l’automobile ».

La question de droit de l’arrêt Desmares était donc de savoir si, au regard des circonstances de fait, les époux avaient effectivement commis une faute et, le cas échéant, si cette faute était à même d’exonérer, au moins partiellement, le gardien de sa responsabilité.

Quelle est la solution de l’arrêt Desmares du 21 juillet 1982 rendue par la Cour de cassation ?

Dans cet arrêt Desmares, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les requérants et énonce, de manière surprenante (par rapport à sa jurisprudence antérieure), que : « seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil ; que, dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’en exonérer, même partiellement ».

Elle rappelle, ainsi, les circonstances de fait de l’accident, considère que le comportement des victimes ne pouvait s’analyser comme un cas de force majeure (la traversée de la chaussée par les victimes ne pouvait s’analyser comme un évènement imprévisible ou irrésistible pour le gardien/conducteur) et rejette toute possibilité pour le gardien de s’exonérer de sa responsabilité (dès lors que la faute imputée aux victimes ne revêt pas les caractères de la force majeure).

Cette solution dénote puisqu’elle va à l’encontre de ce que la Cour de cassation avait, elle-même, l’habitude de juger dans de telles circonstances.

Nous l’avons vu, la Cour a longtemps retenu que le gardien pouvait être partiellement déchargé de sa responsabilité dès lors qu’il rapportait la preuve que le fait de la victime (même non imprévisible ou irrésistible) avait concouru à la survenance du dommage.

Or, ici, la Cour exclut la possibilité pour le gardien de s’exonérer de sa responsabilité dans la mesure où le comportement des victimes n’était ni imprévisible ni irrésistible pour le gardien.

C’est donc un système de « tout ou rien » que la Cour a entendu imposer dans l’arrêt Desmares, et ce, afin d’éviter un éventuel partage de responsabilité et de permettre un régime plus favorable aux victimes d’accidents de la circulation.

Par cet arrêt Desmares, la Cour semble donc avoir entendu provoquer le législateur qui tardait à légiférer en matière d’accidents de la circulation.

Quelle est la portée de l’arrêt Desmares ?

Suite à cette décision, le législateur a finalement consacré un régime de responsabilité pour les victimes d’accidents de la circulation, avec la loi Badinter 05/07/1985 (plus favorable s’agissant de l’indemnisation des victimes) et, la jurisprudence Desmares n’ayant plus de raison d’être maintenue, la Cour de cassation revint, dans les arrêts postérieurs, à la solution traditionnelle qui primait antérieurement (pour exemple : Cass. Civ. 2ème, 06/04/1987, n°85-16.387).

Désormais, le droit commun est sans équivoque :

– En matière de responsabilité du fait des choses, la faute de la victime peut permettre au gardien de s’exonérer, au moins partiellement, de sa responsabilité ;

– En matière d’accidents de la circulation, la faute de la victime (non-conductrice, âgée de plus de 16 ans et de moins de 70 ans) ne peut être invoquée que lorsque celle-ci a volontairement recherché l’accident et lorsqu’il s’agit d’une faute inexcusable ayant été la cause exclusive de l’accident (article 3).

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