En quoi l’arrêt Koné du 3 juillet 1996 est-il un arrêt majeur en droit administratif ?

Arrêt Koné

L’arrêt Koné du 03/07/1996 rendu par le Conseil d’État est un arrêt essentiel en droit administratif, car cette décision a permis de repréciser le cadre juridique relatif à la hiérarchie des normes en droit français. Par ailleurs, l’arrêt Koné est l’un des arrêts par lequel le juge administratif est allé au-delà de son rôle en tant que juge du compromis et a consacré un véritable principe fondamental à valeur constitutionnelle.

L’arrêt Koné permet ainsi de voir le Conseil d’État dans une position de juge des principes en ce sens qu’il a œuvré pour la préservation des normes constitutionnelles de la République française.

Avant de présenter le commentaire de l’arrêt Koné, nous expliquerons d’abord quelques notions fondamentales auxquelles il a rapport. Ensuite, nous présenterons les éléments caractéristiques de l’arrêt Koné, puis nous finirons par porter une analyse critique sur cet arrêt dans une dernière partie.

Clarification conceptuelle des notions de l’arrêt Koné

Pour mieux comprendre l’arrêt Koné qui est un arrêt de principe en droit administratif comme l’arrêt Arrighi du 6 Novembre 1936, certains concepts doivent être brièvement présentés. Il s’agit surtout d’une explication des principes en droit français et d’un aperçu de la procédure d’extradition.

La classification des Principes en droit français

Il est impérieux pour le juge national de motiver ses décisions. Pour ce faire, il doit se baser sur un texte de loi et/ou sur une jurisprudence antérieure. Cependant, il existe un autre groupe de normes juridiques qui peuvent être utilisées comme fondement à une décision juridictionnelle. Il s’agit des principes généraux du droit et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

En la matière, il existe différents types de principes dans le système juridique français.

Lorsqu’on se pose la question de savoir devant quelles juridictions ces principes peuvent être applicables, la réponse est claire. Que l’on soit devant les juridictions administratives ou que l’on se retrouve devant la juridiction constitutionnelle et plus largement devant toutes les juridictions françaises, ces principes sont applicables.

En d’autres termes, il n’existe pas de juridiction française qui interdise l’application d’un principe reconnu comme fondamental. Il n’est donc pas étonnant qu’une décision rendue par une Cour se fonde essentiellement sur un principe consacré par le droit interne voire par le droit européen/international.

Mais pour qu’ils soient valables et intégrés en droit positif, les principes généraux du droit et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République doivent être clairement énoncés par le juge.

Le cas des principes généraux du droit (PGD)

Ce sont des règles non consignées dans un document et non écrites, mais qui ont été dégagées par les juges. Ils bénéficient d’une portée générale de telle sorte que les principes généraux du droit ne doivent pas être violés et s’imposent ainsi à l’administration.

Trois critères permettent de caractériser les PDG :

Il est important de préciser que les PGD font partie du bloc de légalité, leur conformité aux autres normes constitutionnelles doit être vérifiée.

Un exemple de PGD ?

Dans l’arrêt Koné, même s’il ne s’agit pas de la question de droit principale soulevée devant le Conseil d’État, on peut dégager un PGD important de cet arrêt. Il s’agit de l’égalité des usagers devant le service public. En effet, par son recours devant le Conseil d’État, M. Koné qui n’était pas un citoyen français demandait à la justice française de statuer sur un cas qui le concernait.

Par ailleurs, son affaire avait été traitée sans aucune discrimination telle que l’aurait été n’importe quel citoyen français (c’est toujours le cas aujourd’hui par ailleurs). À côté des PGD, il existe d’autres types de principes qui sont de rang supérieur : il s’agit des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).

Le cas des PFRLR

Ce sont des principes reconnus par le préambule de la constitution de 1946. Ils bénéficient à cet effet d’une valeur constitutionnelle et sont au-dessus des PGD dans la hiérarchie des normes.

Qui peut éditer un PFRLR ?

Toute juridiction française peut consacrer un PFRLR. Ainsi, peu importe l’ordre juridictionnel : un juge constitutionnel ou un juge judiciaire comme un juge administratif peut éditer un PFRLR. La position du juge n’a pas par ailleurs une importance cruciale.

Par ce fait, tout juge du fond (que ce soit en instance ou en appel) comme tout juge de cassation peut éditer/reconnaitre un PFRLR. Toutefois, il est impérieux que les conditions requises pour la consécration des PFRLR soient respectées.

Un exemple de PFRLR ?

Dans l’arrêt Koné, le juge administratif a consacré un PFRLR : il s’agit du refus de la France d’extrader un étranger lorsque le but de la requête est politique. Ainsi, on comprend qu’il n’est pas possible et pour aucune autorité française de faire renvoyer un étranger dans les mains de son pays d’origine lorsque les motifs avancés sont purement politiques. Ce principe est devenu une norme constitutionnelle à laquelle ne peut déroger aucune autorité de la République.

Explication sommaire de la procédure d’extradition

Lorsqu’on parle de procédure d’extradition, on fait recours à une procédure par laquelle les autorités judiciaires et/ou politiques d’un État demandent à celles d’un autre État de leur remettre une personne vivant sur son territoire. Le but visé est que cette dernière réponde des forfaits qu’elle a commis.

Ainsi, cette personne doit être jugée selon les lois et règles de l’État requérant l’extradition. Il faut remarquer que la requête d’extradition ne concerne pas uniquement les nationaux de l’État requérant. Autrement dit, elle peut viser un étranger qui a commis une violation de certaines règles sur le territoire de l’État demandant l’extradition.

Pour ce qui concerne la procédure à proprement dit, elle se fait par le biais d’une coopération internationale entre les deux États. Ainsi, des accords bilatéraux entre les États précisent dans quelles conditions l’extradition peut être faite.

Dans l’arrêt Koné, c’est la convention bilatérale entre le Mali et la France signée en date du 9 mars 1962 qui prévoit l’extradition de personnes entre les deux pays. Toutefois, la convention a pris le soin de préciser que l’extradition ne peut se faire lorsque le but invoqué est politique.

Cependant, puisque la convention n’a pas porté de précision particulière sur les infractions de droit commun, il faut estimer que l’extradition portant sur ces infractions est possible. C’est ce qu’a souligné le juge administratif dans l’arrêt Koné.

Le juge après avoir démontré que l’extradition souhaitée par les autorités maliennes n’était pas de nature politique, il a ensuite prouvé que l’extradition n’était pas contraire à une norme prévue par les textes constitutionnels de la France.

Présentation de l’arrêt Koné

Quels sont les faits dans l’arrêt Koné ?

Cette affaire concernait un ressortissant malien dénommé M. Koné contre qui des griefs avaient été prononcés par l’État malien. En effet, c’était la Cour suprême de la République du Mali qui avait porté contre M. Koné certaines accusations. Pour la haute juridiction malienne, M. Koné était coupable de deux chefs d’accusation.

Tout d’abord, la Cour estimait que M. Koné avait commis une infraction de « complicité d’atteinte aux biens publics ». Celle-ci était ajoutée de l’infraction « d’enrichissement sans cause ».

En réalité, le litige qui était porté à la censure de la Cour suprême du Mali était le fait pour M. Koné d’avoir effectué des transferts de fonds en dehors de l’État, fonds qui provenaient pour la plupart de la vente d’hydrocarbures.

Ayant considéré que les charges qui pesaient sur M. Koné avaient un caractère sérieux, un mandat international fut lancé contre lui alors même qu’il se trouvait sur le territoire français. Il était alors demandé aux autorités administratives de la France de lancer contre M. Koné une procédure d’extradition vers le Mali.

Arrêt Koné : La procédure et les prétentions des parties

Décret de la France acceptant l’extradition

Comme expliquée dans la section préliminaire, la demande d’extradition devait en principe passer par une procédure de coopération internationale pénale entre la France et le Mali. Le but visé était de renvoyer M. Koné vers les juridictions de son pays qui avaient la compétence pour statuer sur le contentieux. Dans ce cadre, un décret avait été pris en France pour autoriser l’extradition de M. Koné.

Recours de M. Koné devant le Conseil d’État

Le mis en cause s’opposait ardemment au décret et portait l’affaire devant le Conseil d’État. Il demandait ainsi à la haute juridiction de faire annuler le décret pris à son encontre. Il contestait donc la légalité du texte réglementaire. Pour lui, l’acte gouvernemental était en violation d’un autre texte législatif : la loi du 10 mars 1927.

Pour M. Koné, c’était dans un but purement politique que son extradition avait été demandée par le gouvernement malien. Or les textes de la République française n’autorisaient pas une telle extradition. Il introduisait donc sa requête devant le juge administratif aux motifs d’un recours pour excès de pouvoir.

Quel est le problème de droit de l’arrêt Koné ?

Le problème qui se posait au Conseil d’État était celui-ci : quelle norme doit respecter un décret d’extradition du gouvernement français ? Autrement dit, l’acte gouvernemental doit-il être en conformité avec une norme législative ayant acquis une valeur constitutionnelle ? Ou alors doit-on plutôt vérifier sa conformité avec l’accord bilatéral conclu entre les deux pays ?

Pour répondre à cette question, on demande d’abord au juge d’analyser le type de contrôle à faire. Dès lors, serait-ce un contrôle de conventionnalité ou un contrôle de constitutionnalité ?

La solution de l’arrêt Koné ?

Tout d’abord, avant de se prononcer sur ce contentieux, le Conseil d’État avait opéré un contrôle de conventionnalité. En effet, la juridiction administrative avait réalisé un examen du décret du gouvernement ainsi que de la convention bilatérale entre la République française et la république malienne.

Par cet examen, il s’agissait pour les magistrats de vérifier la conventionalité du décret. Autrement dit de statuer sur le fait de savoir si l’acte gouvernemental ne portait pas atteinte aux accords qui avaient été établis dans la convention.

Après examen, le Conseil d’État avait jugé que le requérant n’avait pas raison et que rien ne devait empêcher son extradition. Deux arguments principaux permettaient aux juges administratifs de soutenir leur position.

Justification de la position du Conseil d’État

En premier lieu, la justice administrative avait constaté que l’acte gouvernemental était précis concernant l’infraction qui pesait sur le requérant. Cette infraction était sanctionnée par le droit pénal malien et n’allait pas en contradiction avec les règles du droit français. En effet, dans le cas où la condamnation du requérant pouvait donner lieu à une atteinte aux droits et libertés garanties par les principes constitutionnels français, l’extradition n’aurait pas été possible.

NB : Prenons par exemple le cas de la peine de mort qui n’est pas admis en droit français et qui porte atteinte aux libertés et droits fondamentaux garantis non seulement par la constitution française, mais aussi par le préambule de la constitution. Si la peine encourue par le requérant dans son pays est une peine de mort, son extradition serait automatiquement bloquée par le conseil d’État pour motif que la France ne peut pas, en tenant ses engagements internationaux, bafouer un principe constitutionnel.

Revenons-en à l’arrêt Koné. En second lieu, le Conseil d’État avait estimé également que l’accusation qui était émise contre le requérant ne concernait pas une infraction politique ni une infraction qui lui était connexe.

NB : Il faut remarquer que l’article 44 de l’accord bilatéral entre la France et le Mali fait prohibition d’une extradition dès lors que l’une de ces infractions est concernée (infraction politique ou connexe).

En outre, le Conseil d’État avait fait une dernière vérification. Le juge administratif avait recherché parmi les dispositions législatives si une interdiction d’extrader une personne poursuivie dans un but politique existait.

C’est ainsi que les magistrats avaient constaté qu’il existait une disposition législative qui faisait interdiction à la France d’extrader un individu pour des motifs politiques. La disposition en question était contenue dans la loi du 10 mars 1927. Cette disposition était inscrite au titre des normes fondamentales de l’organisation juridictionnelle française et avait une valeur constitutionnelle.

Au regard de la section préliminaire, il n’est point besoin de préciser qu’en droit constitutionnel, une loi constitutionnelle est située au-dessus d’un texte conventionnel. Or, après toutes ces analyses, il s’était avéré que l’extradition demandée par la République du Mali n’avait aucun but politique. Le décret ne pouvait donc pas être jugé inconstitutionnel sous aucun aspect et la loi contestée n’était pas applicable au litige.

Finalement, l’irrecevabilité de la requête de Monsieur Koné avait été déclarée par le Conseil d’État qui rejetait ainsi son pourvoi en cassation.

Quelle est la portée de l’arrêt Koné ?

L’arrêt Koné a une triple portée pour le domaine du droit public. C’est par ailleurs un arrêt qui implique à la fois le droit administratif et le droit constitutionnel.

Le premier intérêt de l’arrêt Koné, c’est qu’il permet au Conseil d’État de faire un rappel de son rôle en matière d’interprétation des normes qui émane de son ordre juridictionnel.

Le deuxième intérêt est la possibilité ouverte au Conseil d’État d’opérer un changement dans la hiérarchie des normes en requalifiant une norme juridique. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le conseil après sa saisine. Il a d’abord donné une valeur constitutionnelle à un texte émanant du législateur, ensuite la haute juridiction a vérifié la constitutionnalité d’un acte du gouvernement vis-à-vis de ce texte.

Pour finir, l’arrêt Koné fait partie des grands arrêts qui, en droit public, mettent l’accent sur la position entre un traité international et la constitution. Ainsi, l’arrêt Koné reprécise que le bloc de constitutionnalité de la hiérarchie des normes (formé par la constitution et tous les autres textes à valeur constitutionnelle tels que le préambule et la DDHC), se hisse au-dessus des traités et accords internationaux.

Enfin, malgré que la constitution fasse partie du droit interne, elle a la prééminence sur tous les traités et accords internationaux.

Analyse critique de l’arrêt Koné

À travers cette jurisprudence du Conseil d’État, on peut se poser certaines questions qui méritent un approfondissement.

Y-at-il empiètement dans le domaine du Conseil constitutionnel ?

L’une des questions que l’on peut se poser à travers l’arrêt Koné est de savoir, si le Conseil d’État, en changeant la catégorie d’un texte législatif et en lui donnant une valeur constitutionnelle, n’a pas exercé une fonction juridictionnelle propre au juge constitutionnel.

La réponse à cette question est négative. La consécration d’un principe à valeur constitutionnelle n’est pas seulement l’apanage d’une Cour constitutionnelle. Certes, il est possible de saisir le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin que celui-ci examine s’il est possible d’accorder à la loi une valeur constitutionnelle.

Mais, cette option de saisine du Conseil constitutionnel n’est pas obligatoire. Le pouvoir du juge administratif s’étend au-delà de la simple analyse de légalité des textes qui lui sont présentés. Lorsque les droits et les libertés fondamentales sont remis en question, il peut aussi apporter son avis. D’ailleurs, c’est à lui que revient le contrôle de conventionnalité des textes nationaux vis-à-vis du droit communautaire.

Nos autres fiches sur les commentaires d’arrêts en droit administratif :

✔️ L’arrêt Labonne (8 août 1919) : un arrêt remarquable pour le droit administratif

✔️ L’arrêt Dame Lamotte (17 février 1950) : un arrêt incontournable en droit administratif

✔️ L’arrêt Benjamin (19 mai 1933) : un arrêt fondamental en droit administratif français

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