En quoi l’arrêt Labonne du 8 août 1919 est-il remarquable pour le droit administratif ?

Arrêt Labonne

L’arrêt Labonne du 8 août 1919 est un arrêt fondamental pour le droit administratif. Mais avant de détailler les faits, la solution et l’apport de cet arrêt rendu par le Conseil d’État, une courte introduction s’impose.

La police administrative générale en ce qu’elle a de caractère coercitif a très tôt été précisée et encadrée. Les textes désignent clairement les autorités qui en sont chargées au niveau local. Sous la Troisième République, aucun texte n’avait envisagé l’autorité en charge de pouvoirs de police administrative et compétente au niveau national.

Comblant le silence des lois constitutionnelles de 1875 et du droit positif en général, le Conseil d’État s’est référé sous la troisième République aux missions générales du chef de l’exécutif pour l’élever au rang d’autorité de police administrative générale appelée à prendre les mesures qui requièrent l’ordre public et la continuité de l’État.

C’est ce qu’introduit de manière inédite le Conseil d’État au travers de l’arrêt Labonne du 8 août 1919 soumis à ce commentaire. La reconnaissance d’un pouvoir de police administrative générale au chef de l’État n’insinue pas une interdiction à l’autorité locale de prendre une mesure dans le même domaine afin de compléter au niveau local la mesure prise au niveau national.

Les faits et la procédure de l’arrêt Labonne rendu par le Conseil d’État le 8 août 1919

Tout comme l’arrêt Dame Lamotte (Conseil d’État, Assemblée, 17/02/1950), l’arrêt Labonne rendu par le Conseil d’État le 8 août 1919 est aussi un arrêt majeur en droit administratif. Les faits et procédures de l’arrêt : Le préfet de police de Paris, se fondant sur un décret du chef de l’État du 10 mars 1899, retire au sieur Labonne « son certificat de capacité pour la conduite des automobiles ». Le préfet de police de Paris se fonde sur son arrêté du 4 décembre 1913.

Le droit administratif permet aux administrés de soulever devant les juridictions spécialisées la faculté de soulever les illégalités des décisions administratives.

De ce fait, le Sieur Labonne demande au Conseil d’État l’annulation, pour excès de pouvoir l’arrêté du 4 décembre 1913 et le décret du 10 mars 1899. Selon l’intéressé, seules les autorités départementales et municipales sont chargées de veiller à la conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation.

Les prétentions des parties et le problème de droit de l’arrêt Labonne

Les prétentions de M. Labonne étaient simples. Il soutenait qu’en vertu des lois du 22 décembre 1789, du 08 janvier 1790 et du 5 avril 1884, les pouvoirs de police administrative générale en matière de conservation des voies publiques et de sécurité de la circulation sont confiés aux autorités municipales et départementales.

La police administrative se définit comme un ensemble d’activités de service public ayant pour objet l’établissement et le maintien de l’ordre de la société.

Elle tend aussi bien à prévenir les désordres éventuels qu’à réprimer les troubles apportés à la tranquillité, à la sécurité et à la salubrité, trilogie admise depuis le XIXe siècle à laquelle on ajoute parfois d’autres notions : environnement, esthétique notamment. Mais celles-ci sont parfois l’objet d’autres préoccupations qui se convertissent dans des polices administratives dites « spéciales ».

Pour rappel, les compétences en matière de police administrative sont réparties entre une pluralité d’autorités. L’obligation de recourir à l’acte unilatéral pour prescrire des mesures de police administrative va de pair avec le caractère contraignant de celles-ci.

L’intéressé au détour de cette argumentation considère, dès lors, que le chef de l’État n’était pas compétent pour instituer le certificat de conduite.

La question soumise au Conseil d’État est de savoir si le Président de la République est compétent en matière de police administrative générale en l’absence d’habilitation législative.

Quelle est la solution de l’arrêt Labonne du 8 août 1919 ?

Le Conseil d’État rejette la requête de l’intéressé. Il arrête qu’« il appartient au Chef de l’État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire ».

Par conséquent, le certificat de capacité pris sur le fondement du décret du 10 mars 1899 n’est entaché d’aucun excès de pouvoir.

Le président de la République est parfois présenté comme une autorité de police générale. Cette compétence repose sur plusieurs fondements de portée pour le moins limitée.

Tout d’abord, il signe des décrets délibérés en conseil des ministres qui peuvent prendre la forme de mesures de police administrative (article 13 de la Constitution). S’il en est juridiquement l’auteur, il n’arrête cependant pas le contenu de mesures finalement peu nombreuses.

La compétence du président de la République repose également sur l’article 16 de la Constitution qui lui confère le soin d’intervenir en lieu et place des autorités de police administrative lorsque « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ».

De par leur objet et la procédure mise en œuvre, ces deux dernières compétences prennent toutefois la forme de polices spéciales.

Ces pouvoirs propres mis en relief par l’arrêt Labonne sont intimement liés à une certaine conception de l’État unitaire. Ainsi que l’arrêt le mentionne, le préfet et le maire ne peuvent en effet pas être investis d’une compétence de police dans des domaines qui intéressent l’ensemble des citoyens. Cette reconnaissance assure donc au chef de l’exécutif une compétence pour garantir la continuité des institutions par des mesures destinées à s’appliquer « sur l’ensemble du territoire ».

Cette prérogative se combinait avec une mission générale d’exécution des lois et le pouvoir, même en l’absence de texte, pour « veiller à ce qu’à toute époque les services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionnement » (CE, 28 juin 1918, Heyriès).

Confirmée sous le régime de Vichy, cette solution a été adaptée aux exigences de la quatrième République dans la mesure où le pouvoir de police et d’administration était confié au président du Conseil des ministres (CE, assemblée du 30 mai 1952, Kirkwood).

L’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 n’a pas remis en cause l’état du droit, le Conseil d’État ayant admis qu’il appartient au Premier ministre, « en vertu de ses pouvoirs propres », d’édicter des mesures de police qui sont applicables à l’ensemble du territoire (CE 23 novembre 2011 Association France Nature Environnement).

En affirmant que l’article34 de la Constitution n’a pas altéré les pouvoirs de police générale qu’il possédait antérieurement, le Conseil d’État a laissé penser à un abandon de la théorie des pouvoirs propres (CE, 17 févr. 1978, Association Comité pour léguer l’esprit de la Résistance,).

Il a été affirmé à cette occasion qu’il appartient au gouvernement, en vertu des dispositions des articles 21 et 37 de la Constitution, de prendre des mesures de police qui sont applicables à l’ensemble du territoire, et notamment toutes celles qui ont pour objet la sécurité des conducteurs de voitures automobiles ainsi que des personnes transportées.

En réalité, les pouvoirs de police du Premier ministre ne découlent pas des règles posées par les articles 34 et 37 de la Constitution, car « si l’article 37 était la source du droit du pouvoir réglementaire de police du Premier ministre, ce pouvoir serait inévitablement limité par l’article 34 de la Constitution que le Conseil d’État présente précisément comme étant sans incidence possible sur le pouvoir de police du Premier ministre », selon Réné Chapus. (R. Chapus, Droit administratif).

Prolongeant la jurisprudence du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a également jugé que « l’article 34 de la Constitution ne prive pas le chef du gouvernement des attributions de police générale qu’il exerce en vertu de ses pouvoirs propres et en dehors de toute habilitation législative » (Décision du 20 juillet 2000 du Conseil Constitutionnel).

La théorie des pouvoirs propres n’interdit pas au législateur d’exercer une compétence pour assurer une mission de police générale sur l’ensemble du territoire national. L’exercice d’une telle compétence balise pour l’avenir le pouvoir de police du chef de l’exécutif, car « lorsque le législateur est intervenu dans ce domaine, il incombe au Premier ministre d’exercer son pouvoir de police générale sans méconnaître la loi ni en altérer la portée » (CE, 19 mars 2007, Confédération des chambres syndicales et départementales débitants de tabac France).

Le Conseil d’État admet la compétence de principe au chef de l’exécutif, le président de la République sous la Troisième république, le président du conseil sous la Quatrième république et sous la Cinquième république, compétence du Premier ministre. Sous la cinquième république, la difficulté résidait dans la lettre de l’article 34 de la Constitution.

Les autorités d’État, notamment celles installées dans les départements, pour l’essentiel les préfets, disposent, dans la mesure où un texte le leur attribue (CE 27 nov. 1995, Assoc. Départementale des pupilles de l’enseignement public du Gard) du pouvoir d’édicter des règlements administratifs supportant ainsi une véritable règle de droit. Le domaine d’élection de ce pouvoir réglementaire préfectoral est celui de la police administrative générale (CGCT, article L. 2215-1s.) et spéciale (chasse, pêche, gares, environnement, etc.).

Par ailleurs, en vertu de la jurisprudence Jamart, précitée, ces autorités administratives disposent du pouvoir réglementaire nécessaire à l’exercice de leurs fonctions de chef de service.

En d’autres termes, le législateur est le seul originellement habilité à intervenir en cas d’atteinte à une garantie fondamentale des libertés publiques.

Sous cette dernière réserve, la jurisprudence initiée par l’arrêt Labonne ne délimite pas les pouvoirs de police générale du Premier ministre dès lors que ces mesures sont justifiées par des préoccupations d’ordre public, le cas échéant spéciales dans leur objet, susceptibles d’intéresser l’ensemble de la population (CE 7 main 2008, Collectif pour défense loisirs verts, réglementation applicable aux rassemblements voitures ou deux roues).

Quelle est la portée de l’arrêt Labonne du Conseil d’État ?

Les règles à portée générale et impersonnelle restent édictées, dans les limites de leur compétence, par diverses autorités politiques et administratives nationales. Il s’agit, bien sûr et en premier lieu, des règles prises sur le fondement du pouvoir réglementaire, subordonné et autonome, que la Constitution remet quant à son exercice au Premier ministre (article 21 de la Constitution) et auquel se trouve associé, dans une certaine mesure, le président de la République lorsque le pouvoir réglementaire s’exerce par l’intermédiaire de décrets délibérés en Conseil des ministres, qui doivent donc être signés par le chef de l’État.

Le pouvoir de signer emportant, sous la Ve République, celui de ne pas signer et un refus ne constitue pas une hypothèse d’école en période de cohabitation. La jurisprudence a, par ailleurs, renforcé cette association du chef de l’État au pouvoir réglementaire en décidant qu’un décret délibéré en Conseil des ministres n’est légalement modifié que par un décret délibéré en Conseil des ministres, même si l’intervention initiale de cette formation n’était pas obligatoire (CE, ass., 10 sept. 1992, Meyet).

Cette jurisprudence est atténuée par une autre jurisprudence qui affirme que le décret délibéré en Conseil des ministres peut décider de sa modification par un décret simple (CE 8 déc. 2000, Synd. National des officiers de police) donc seulement signé par le Premier ministre.

Possèdent donc, en second lieu la même portée générale et impersonnelle, ainsi qu’un champ d’application national les arrêtés interministériels ou ministériels qui servent de support à une règle de droit. Certes, les ministres ne disposent pas en principe du pouvoir réglementaire dont l’exercice est constitutionnellement réservé au Premier ministre dans le système administratif français.

Cependant, le principe connaît des aménagements. D’abord, chaque ministre exerce une compétence réglementaire au titre de l’organisation des services de son ministère ou rattachés à celui-ci (CE, sect., 7 févr. 1936, Jamart ), en précisant qu’un tel pouvoir bénéficie non seulement aux ministres, mais plus généralement à tout chef de service au sein d’une administration publique, ce pouvoir étant limité aux seules nécessités d’organisation du service et devant tenir compte des compétences conférées à d’autres autorités (CE, ass., 30 juin 2000, Assoc. « Choisir la vie »).

Ensuite, un ministre est susceptible de bénéficier d’une véritable compétence pour édicter, par voie d’arrêté, des règles de droit lorsqu’une telle compétence lui est confiée par une loi ou un décret en vue de la mise en œuvre d’un texte législatif ou d’un décret (V., par ex., les compétences réglementaires confiées au ministre chargé des Sports par le code du sport ou l’article L.613-1 du code de l’Éducation investissant le ministre de l’Éducation nationale du pouvoir de fixer les conditions d’obtention des diplômes nationaux).

Les autorités d’État, notamment celles installées dans les départements, pour l’essentiel les préfets, disposent, dans la mesure où un texte le leur attribue (CE 27 nov. 1995, Assoc. Départementale des pupilles de l’enseignement public du Gard) du pouvoir d’édicter des règlements administratifs supportant ainsi une véritable règle de droit.

Le domaine d’élection de ce pouvoir réglementaire préfectoral est celui de la police administrative générale (CGCT, article L. 2215-1s.) et spéciale (chasse, pêche, gares, environnement, etc.). Par ailleurs, en vertu de la jurisprudence Jamart, précitée, ces autorités administratives disposent du pouvoir réglementaire nécessaire à l’exercice de leurs fonctions de chef de service.

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