Encore appelée parfois dol par réticence, la notion de réticence dolosive fait recours au manquement dont fait preuve une des parties au contrat en cachant à l’autre des informations vitales pour la conclusion du contrat. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en droit français, la réticence dolosive est considérée comme étant une cause de nullité de tout contrat. Ceci se justifie par le fait que, tout comme le dol dont elle procède, la réticence dolosive fait partie également des vices du consentement.
Depuis l’arrivée de l’ordonnance du 10 février 2016, qui a introduit une réforme du droit des contrats, la notion de réticence dolosive est vraiment bien admise et relativement bien expliquée par le législateur.
Dans cet article, nous allons présenter et expliquer ce que recouvre le terme de « réticence dolosive ». Dans cette perspective, deux volets seront abordés dans ce cours de droit des contrats gratuit. Le tout premier permettra de lever le voile sur les généralités autour de la réticence dolosive. Le second volet va s’attarder à présenter le régime juridique qui encadre la réticence dolosive.
Généralités sur la réticence dolosive
Clarification conceptuelle
Tout d’abord, il faut reconnaître que la réticence dolosive provient du mot « dol » qui, lui-même, est une notion juridique très présente en droit des contrats. Mieux comprendre la réticence dolosive passe nécessairement par une compréhension claire au préalable du dol. C’est l’article 1137-1 du Code civil qui en donne une explication sommaire. Deux terminologies importantes ressortent de cet article dans la caractérisation du dol. Il s’agit des terminologies « mensonges » et « manœuvres ».
En effet, en vue de pousser leur cocontractant à rentrer en relation contractuelle avec eux, certains contractants, animés de mauvaise foi, usent de certaines techniques non recommandées, voire même interdites par la loi. Ces techniques ou stratégies ont pour but de mettre l’autre contractant dans l’erreur et de l’amener à contracter. Ce sont ces stratèges qui prennent la dénomination juridique de « manœuvres » ou dans quelques cas de « mensonges ».
Concrètement, une manœuvre représente un stratagème que le contractant met en place, ayant pour effet de maquiller la réalité et de conduire son cocontractant à nouer le lien contractuel.
Exemples pratiques :
- Madame Anne est une commerçante qui veut procéder à la cession de fonds de commerce à Monsieur Yves qui se porte acquéreur. En réalité, la valeur du fonds de commerce est de 90.000 euros. Pour tromper Monsieur Yves et le convaincre à acquérir le fonds de commerce, Madame Anne falsifie l’acte de commerce et les états financiers. Finalement, elle cède le fonds de commerce à 250.000 euros. On conclura qu’elle a usé de dol et cette cession de fonds risque de courir à une annulation par le juge.
- Prenons un second cas d’un contrat de vente d’un véhicule entre deux personnes. Considérons la situation où le vendeur, en vue de vite procéder à la vente (ou de retirer un prix de vente supérieur au prix vénal du véhicule) décide de maquiller le compteur de kilométrage du véhicule. Dans ce cas, l’acheteur peut demander l’annulation de la vente aux motifs que le vendeur a usé de dol dans le cadre de leurs relations contractuelles.
Quant au mensonge, il s’agit d’une affirmation erronée que l’une des parties fait et qui induit l’autre partie dans l’erreur. Prenons le cas d’un contrat de cautionnement conclu entre deux personnes. Si le banquier rassure la caution du fait que le débiteur est solvable en vue de faire valider le cautionnement alors même que le compte du débiteur est largement déficitaire, on conclura que ce banquier a commis un dol.
Au-delà des fausses déclarations, la notion du mensonge est aujourd’hui élargie par la jurisprudence. En effet, on considère que le fait de ne pas fournir des informations essentielles constitue également un dol. C’est ce que l’on appelle en droit des obligations un mensonge par omission. Dans le langage juridique, on parle aussi de réticence dolosive.
Contenu de la réticence dolosive
Définition de la réticence dolosive
On entend par réticence dolosive, le fait qu’une des parties au contrat s’abstient de fournir à l’autre partie des informations nécessaires, avec pour finalité de conduire l’autre à accepter la formation du contrat. Ce silence gardé est assimilable par la Cour de cassation au dol. Or le dol étant un des vices du consentement, par analogie, la réticence dolosive en est aussi un.
Dans sa définition, il apparait clairement que la réticence dolosive naît de l’intention de son auteur de cacher des informations à l’autre partie. De façon plus claire, la réticence dolosive suppose une volonté intentionnelle d’entraîner le cocontractant dans l’erreur. Il s’agit de l’élément intentionnel de la réticence dolosive.
Une conséquence ressort de ce qui précède : l’absence d’une intention délibérée implique l’absence de réticence dolosive. Ainsi, si dans un contrat de vente, une partie commet une dissimulation intentionnelle en cachant des informations nécessaires à l’autre, on dira que celle-ci a fait montre de réticence dolosive. Si par contre la dissimulation n’était pas intentionnelle, on ne saurait punir le vendeur.
Cependant, tout renseignement dissimulé n’équivaut pas aussitôt à une réticence dolosive. Encore faut-il que ce renseignement détienne un caractère déterminant pour le cocontractant. La consommation en litres d’essence d’une voiture neuve au moment de sa vente est déterminante du consentement de l’acheteur. Cacher cette information peut revenir pour le vendeur à faire preuve de réticence dolosive.
Mentionnons aussi que chaque partie au contrat est libre de ne pas faire savoir à l’autre une estimation de la valeur de son bien ou du service qu’il veut lui rendre. On ne pourrait pas parler de réticence dolosive dans ces cas. De façon plus claire, chacun peut conclure le contrat en vue de bénéficier des avantages économiques et d’en tirer un profit sur l’autre. On ne peut obliger donc un contractant de dévoiler à l’autre partie la valeur de la prestation qui lui échoit.
Les éléments caractéristiques de la réticence dolosive
Il existe trois éléments cumulatifs qui caractérisent toute réticence dolosive.
Le cas de la dissimulation intentionnelle
Pour qu’il y ait réticence intentionnelle, le premier élément que le juge vérifie c’est de savoir s’il y a eu une dissimulation intentionnelle. Même dans le cas où elle n’induit pas une intention de nuire au cocontractant, la dissimulation intentionnelle se conçoit après tout comme une violation aux règles et principes du droit des contrats.
Tout d’abord, la dissimulation intentionnelle est une violation à l’obligation précontractuelle qui demande à chaque partie d’informer son cocontractant vis-à-vis de toute information nécessaire au consentement de l’autre. Ensuite, la dissimulation intentionnelle est une violation à l’obligation de loyauté qui demande que chacun exécute le contrat en manifestant la bonne foi (Voir : La définition de la bonne foi en droit des contrats).
Le cas de la dissimulation par le cocontractant
Fondamentalement, c’est la dissimulation qui émane de l’une des parties qui est punissable. Si une tierce-personne disposant de certaines informations ne la communique pas, nul ne saurait l’en accuser.
Exemple pratique : On ne peut invoquer une réticence dolosive dans une affaire où la construction d’un bâtiment est autorisée par la municipalité d’une ville alors que le maire, sachant pertinemment qu’un complexe commercial est sur le point d’être construit à côté du bâtiment a gardé silence. Le silence gardé par le maire n’est pas illicite en ce sens qu’il n’est ni débiteur ni créancier du contrat de vente. Il est un tiers au contrat et aucune obligation de loyauté ni d’information ne pèse sur sa tête.
Le cas du consentement de la victime
Le juge cherchera à savoir enfin si la dissimulation a influé sur une qualité essentielle du contrat de telle sorte à provoquer le consentement de la victime. Autrement dit, si la réticence dolosive porte sur les qualités substantielles que recherchait la victime, le juge pourra annuler le contrat. Mais si la dissimulation ne porte pas sur l’une des qualités essentielles de la convention, l’auteur peut en être excusable.
Le cas spécifique du droit de la consommation
Aujourd’hui, le législateur a manifesté une volonté ferme de protéger le consommateur dans ses relations avec les professionnels. C’est dans ce sens qu’il existe un code spécifique qui encadre le droit de la consommation. Il y est fait obligation aux professionnels de ne pas faire usage de dissimulation d’information à l’égard des consommateurs et de fournir à ceux-ci toutes informations utiles et nécessaires.
Alors que le droit commun des contrats met en place des règles globales et générales, le droit spécial de la consommation reste beaucoup plus strict sur la question de la réticence dolosive. Il fait d’ailleurs peser sur la tête de tout professionnel une inconditionnelle obligation d’information. Si un professionnel omet de fournir un renseignement pouvant éclairer le consentement d’un de ses clients et que celui-ci a contracté en toute ignorance, ce professionnel sera probablement sévèrement puni par la loi.
Le régime juridique de la réticence dolosive
La réticence dolosive et l’obligation d’information
Bien avant l’essor de la loi de ratification de la réforme du droit des contrats, l’obligation précontractuelle d’information était déjà reconnue par la loi et par la jurisprudence. Ainsi, elle était considérée par la jurisprudence comme étant l’accessoire de certaines autres obligations principales comme celle de garantie des vices cachés ou celle de sécurité.
Après la ratification de la loi portant réforme du droit des contrats, cette obligation est devenue une règle dont les mentions ont été portées dans le nouveau code. Il est clairement indiqué dans l’article 1112-1 que dans tout contrat, il pèse sur la tête de chacun des contractants une obligation générale d’information. Cette obligation devient une norme impérative que doivent respecter tous ceux qui décident de se mettre en relation contractuelle.
Les implications de la réticence dolosive
L’auteur de la réticence dolosive
Auparavant, ce n’était que l’une des parties au contrat qui pouvait être chargé d’avoir faire preuve de réticence dolosive. En d’autres termes, si la manœuvre ou, plus précisément, la rétention d’information émanait d’un tiers, la réticence dolosive n’était pas consommée. Toutefois, suite à l’avancée du droit des contrats, force est de constater que d’autres personnes, extérieures au contrat, peuvent avoir part dans la réticence dolosive.
Ainsi, lorsqu’une tierce personne et d’un commun accord avec une des parties au contrat, s’abstient de fournir les informations nécessaires au consentement du cocontractant, on retiendra la réticence dolosive contre le tiers de même que le contractant qui n’est pas de bonne foi.
Les sanctions de la réticence dolosive
La réticence dolosive est sanctionnée de la même manière que le dol lui-même. En droit civil, le dol encourt deux types de sanctions. Ainsi pareillement la réticence dolosive est sujette à deux sanctions.
La nullité du contrat en cas de réticence dolosive
Il s’agit de la première sanction dès lors que la réticence dolosive est confirmée et que tous ses critères sont remplis. En effet, le contrat encourt une nullité lorsqu’on arrive à établir que la réticence dolosive existe réellement. Cependant au regard de l’article 1131 du Code civil, il est question d’une nullité relative. Ceci se justifie compte tenu du fait que la réticence dolosive est un vice du consentement qui intervient au moment de la conclusion du contrat.
- Posons-nous maintenant la question: Qui est habileté à agir en nullité en cas de réticence dolosive ?
Pour le législateur, c’est la victime et rien que la victime qui détient l’action en nullité lorsque la réticence dolosive est confirmée. On comprend donc qu’une autre personne ne peut demander la nullité du contrat alors même qu’elle n’a pas subi un préjudice dû à la réticence dolosive. Cette mesure permet de ne pas mettre en péril la sécurité juridique qui protège les contrats conclus entre les personnes.
- Cas jurisprudentiel : L’arrêt du 2 octobre 1974
La Cour de cassation a rendu un arrêt qui met en exergue un cas où la réticence dolosive a pu entraîner la nullité du contrat de vente d’une maison. Dans ce cas, le vendeur d’une maison, sachant pertinemment qu’il sera installé à côté de la demeure une porcherie a fait fi de cette information à l’acquéreur.
Le vendeur est allé loin dans son intention dolosive puisqu’il a inséré dans les clauses du contrat une clause selon laquelle il n’assurait aucune garantie des vices qui naitraient de la vente. La Cour de cassation n’a pas hésité à prononcer la nullité de la vente.
La mise en jeu de la responsabilité délictuelle
En droit français, user de réticence dolosive au moment de conclure un contrat représente ainsi une faute civile sanctionnée par la loi. Dans ce cas de figure, la victime d’une réticence dolosive peut également agir en responsabilité civile délictuelle à l’encontre de celui qui en est l’auteur.
- Pourquoi s’agit-il spécifiquement d’une responsabilité délictuelle ?
Tout simplement parce que la réticence dolosive affecte la victime dans la phase précontractuelle. Comme mentionnée plus haut, il s’agit d’une erreur provoquée par l’auteur en vue de conduire la victime à la signature du contrat.
Lorsque cette responsabilité civile délictuelle est mise en branle contre l’auteur et confirmée par le juge, la victime obtiendra des dommages et intérêts. Ces derniers servent à la réparation du préjudice et des torts que la victime a endurés à cause de la réticence dolosive.
Une autre question peut apparaitre après cette seconde sanction de la réticence dolosive. On peut se demander si les deux sanctions peuvent s’appliquer de façon cumulative. Il faut répondre ici par l’affirmative. En effet, le choix final revient à la victime. Elle peut demander d’obtenir la nullité relative du contrat et de la faire accompagner du paiement de dommages et intérêts. Elle peut aussi ne pas vouloir l’annulation du contrat, et dans ce cas uniquement exiger que lui soit payé des dommages et intérêts.
- Cas jurisprudentiel : L’arrêt du 28 mai 2008
Dans cette affaire qu’a connue la Cour de cassation, une société qui vendait un appartement à une autre a dissimulé à l’acheteur une information ayant un caractère déterminant dans le consentement de l’autre société qui était l’acheteur. En effet, le vendeur avait laissé croire à l’acheteur que la maison disposait d’un jardin, sachant pertinemment que l’espace vert appartenait à la commune et que cette dernière avait prévu de construire des logements.
Pour la Cour de cassation, ce n’était pas le caractère intentionnel qui était important dans cette affaire, mais plutôt la réticence dolosive dont a fait preuve le vendeur. Pour finir, la cour a sommé le vendeur au paiement de dommages et intérêts à la société acheteur.
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