La conception du préjudice d’agrément a fait l’objet de nombreuses évolutions jurisprudentielles qui ne cessent de l’élargir depuis son origine. Initialement apparue dans les années 1960, cette notion de préjudice d’agrément avait à l’origine vocation à désigner la privation pour une victime de la possibilité d’exercer une activité particulière.
Il s’agissait notamment des activités dans les domaines sportifs et culturels, mais pour des victimes ayant déjà un niveau assez élevé (sportif presque professionnel, musicien d’un niveau particulier, etc.). La Cour de Cassation est venue progressivement étendre cette notion de préjudice d’agrément considérée à l’origine comme « élitiste » (d’après les propos de Geneviève Viney).
Définition juridique du préjudice d’agrément
Le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs. Est inclue dans le préjudice d’agrément la limitation de la pratique antérieure dès lors qu’elle ne se fait plus avec la même intensité, mais de façon modérée et dans un tout autre but.
En effet, depuis un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation rendu en date du 29 mars 2018, les juges sont venus entériner la position des cours d’appel selon laquelle le préjudice d’agrément ne concerne pas seulement les activités « sportives, ludiques ou encore culturelles devenues impossibles, mais également celles qui deviennent plus limitées ».
À leur suite, la Cour de cassation considère désormais que le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.
Ce faisant, la Cour de Cassation élargit de manière clairement explicite la définition du préjudice d’agrément telle que posée dans la nomenclature Dintilhac. Cette même nomenclature dont se prévalent régulièrement les assureurs et autres organismes indemnitaires pour exclure l’indemnisation du préjudice d’agrément lorsqu’il n’existe pas d’impossibilité, mais seulement une limitation pour la victime d’exercer ses activités sportives et de loisirs antérieurs.
Ainsi, la régularité de la pratique de l’activité n’est donc pas le seul critère d’appréciation du préjudice d’agrément. Et pour cause, la modération, l’intensité de même que le changement d’objectif poursuivi sont également désormais des outils qui permettent de vérifier la constitution du préjudice d’agrément.
Bon à savoir : En parlant d’incapacité à pratiquer régulièrement une activité spécifique, vous pouvez aussi consulter notre guide concernant l’ITT (incapacité temporaire totale et incapacité temporaire de travail).
Le préjudice d’agrément et la nomenclature Dintilhac
Selon le rapport Dintilhac, il s’agit de réparer le préjudice d’agrément spécifiquement lié à l’impossibilité pour une victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.
Le rapport précise d’ailleurs que le poste de préjudice d’agrément doit être apprécié in concreto (voir la différence entre in concreto et in abstracto). Il doit nécessairement tenir compte de tous les paramètres individuels de la victime tels que son âge ou son niveau.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’origine, le Conseil d’État ne s’individualise pas le préjudice d’agrément. Il le prenait en compte qu’au titre des troubles dans les conditions d’existence (décision du Conseil d’État rendue le 9 juin 1971).
Toutefois, aujourd’hui le Conseil d’État en fait un poste de préjudice à part entière et définit le préjudice d’agrément comme le préjudice qui est « lié à l’impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs » (CE, 7 oct. 2013).
Pour l’indemnisation, le juge utilise la méthode d’indemnisation du référentiel de l’ONIAM et tient compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) et des justificatifs produits. Il se classera parmi les préjudices extrapatrimoniaux.
On remarquera enfin que seul le préjudice d’agrément permanent est envisagé par la Nomenclature Dintilhac. Après quelques hésitations, la Cour de cassation en a déduit que le préjudice d’agrément temporaire « est inclus dans le déficit fonctionnel temporaire » (Cass. 2e civ. 5 mars 2015).
Avec cette décision de justice de 2015, la Cour de cassation décide donc de faire une stricte application de la nomenclature Dintilhac qui prévoit que le déficit fonctionnel temporaire recouvre le préjudice d’agrément temporaire.
Vous êtes victime d’un préjudice corporel ?
Préjudice d’agrément : Montant de l’indemnisation et calcul
Le montant de l’indemnisation au titre du préjudice d’agrément dépendra de multiples facteurs qui influeront sur le montant de l’indemnisation (découvrez aussi le montant d’indemnisation après une agression avec ITT). En effet, en fonction de son âge, de son degré de « professionnalisme », du taux d’incapacité et d’autres paramètres, le montant d’indemnisation du préjudice d’agrément variera inéluctablement.
Ainsi, l’indemnisation se fera donc au cas par cas, mais n’est traditionnellement pas d’un montant très important.
Pour rapporter la preuve que l’activité sportive ou de loisir était bien une passion, les éléments suivants peuvent notamment être apportés :
- Les attestations relatives aux activités de loisirs dont est désormais privée la victime ;
- Les photographies (de voyages, des ouvrages réalisés, de la victime pratiquant son activité, etc.) ;
- Les titres de transport (des voyages effectués), tickets d’entrée (des expositions, des pièces de théâtre ou de toute autre manifestation à laquelle la victime ne peut plus assister ou participer) ;
- Les licences sportives, bulletins d’inscriptions aux épreuves sportives ;
- Les factures de matériels (de l’activité antérieurement pratiquée, etc.) ;
- La copie des visas d’un passeport, etc.
Le montant de l’indemnisation du préjudice d’agrément est généralement calculé sur la base d’une proportion de 5 à 20 % du montant attribué au titre du déficit fonctionnel permanent, en fonction de la situation de la victime.
Exemples de préjudice d’agrément
Comme nous venons de le voir, depuis la nomenclature Dintilhac, laquelle a autonomisé le déficit fonctionnel, la jurisprudence est revenue, en droit commun, à une conception plus stricte du préjudice d’agrément.
Ainsi, la réparation d’un poste de préjudice personnel qui est distinct et dénommé préjudice d’agrément « vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » (Cass. 2e civ, 28 mai 2009 ; étendu par l’arrêt Cass. 2e civ., 29 mars 2018 publié au Bulletin officiel).
Ont ainsi été jugées comme des activités spécifiques :
- L’abandon d’un tour du monde en vélo, du ski et de la musique
- La danse de salon ou le jardinage
- La pétanque, le bricolage, le tir à l’arc
- L’horticulture
Il n’est point besoin d’être sportif de haut niveau (pas plus que d’être licencié d’une fédération sportive) pour être indemnisé du poste de préjudice d’agrément. Il est en revanche nécessaire de qualifier précisément les activités spécifiques dont est désormais privée la victime (Cass. 2e civ., 11 févr. 2016) et ce, même si le préjudice est total (Cass. 2e civ., 10 déc. 2015).
Cependant, s’agissant des jeunes enfants qui, par nature, ont vocation à s’initier à tous loisirs quels qu’ils soient, l’on saurait exiger d’eux qu’ils démontrent d’appétence pour une activité spécifique. Une perte ou une limitation d’une fonction constitue en elle-même de facto un préjudice d’agrément.
Note : Vous pouvez aussi voir d’autre guide intéressant concernant les différentes indemnisations en passant sur notre page « Préjudice corporel ». Nous vous présentons sur cette page l’indemnisation après un accident de la route, indemnisation pour une chirurgie de réduction mammaire ratée, indemnisation pour agression volontaire, etc.