L’exception d’inexécution est une notion juridique du droit des obligations qu’il est impérieux de connaître et de maîtriser en ce sens qu’elle intervient souvent dans les contrats conclus entre les parties en tant que mécanisme de sanction. Ainsi, l’exception d’inexécution peut se définir comme le droit qui appartient à l’une des parties de ne plus exécuter ses obligations dès lors que l’autre partie a cessé d’exécuter les siennes. On parle alors de suspension des obligations.
Ce qu’il faut savoir, c’est que ce n’est pas dans toutes les relations contractuelles que l’on peut faire jouer l’exception d’inexécution. Il faut d’abord que l’on se situe sur le terrain d’une convention synallagmatique (ou contrat synallagmatique) et encore faudra-t-il que le contractant ait commis un manquement suffisamment sérieux avant que l’on ne puisse se prévaloir de l’exception d’inexécution.
En effet, suite à la réforme du droit des obligations, le législateur s’est penché sur la question de l’exception d’inexécution dans plusieurs articles du Code civil.
Cependant, il a spécialement indexé le mécanisme de l’exception d’inexécution dans le contrat de vente (article 1612 du Code civil) et dans le contrat d’échange (article 1704 du Code civil). Pour le reste des questions relatives à l’exception d’inexécution, il faut faire recours à la jurisprudence.
Pour ce qui concerne le droit civil à proprement parler, le mécanisme juridique de l’exception d’inexécution sert essentiellement à titre de justice privée en ce sens qu’il s’agit d’un procédé visant à exercer un pouvoir de contrainte sur la partie défaillante dans une relation contractuelle.
Toutefois, en cas de contestation de l’exception d’inexécution, le recours au juge judiciaire peut être fait par l’une des parties au contrat (celle qui subit en premier la cession de l’exécution des obligations de son cocontractant).
Notre article a pour vocation d’aider à la compréhension du mécanisme juridique désigné par l’exception d’inexécution. Nous allons essentiellement nous maintenir dans le champ d’application du droit des contrats pour expliquer ce mécanisme juridique.
Pour ce faire, l’article sera subdivisé en deux parties principales. Dans la première partie, nous ferons une présentation générale de l’exception d’inexécution, tandis que dans la seconde partie, il sera question des spécificités liées à cet instrument en droit très particulier.
Présentation générale de l’exception d’inexécution : Code civil
Approche définitionnelle de l’exception d’inexécution
Origine de l’exception d’inexécution
Avant de donner la définition de l’exception d’inexécution, il est indispensable d’expliquer son histoire. En réalité, aucun ancien article du Code civil ne prévoyait le mécanisme de l’exception d’inexécution alors que ce procédé était fréquemment utilisé en droit des obligations.
Ainsi, c’est en se basant sur la jurisprudence en la matière que le législateur a prévu, au moment de la prise de l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, d’insérer dans le Code civil des dispositions traitant spécialement de l’exception d’inexécution.
Une analyse de l’article 1217 du Code civil permet de déceler les cinq types de sanctions reconnues en droit commun au moment de la mauvaise exécution ou de l’inexécution des obligations essentielles dans un contrat.
En conséquence, le créancier de l’obligation non fournie (ou des obligations) peut prendre plusieurs décisions, dont celle de poursuivre l’exécution forcée, de demander au juge de réduire le prix ou encore de ne pas exécuter sa propre obligation : il s’agit dans ce cas de l’exception d’inexécution.
Mais que signifie dans le fond ce mécanisme reconnu aujourd’hui en droit du contrat ?
Définition
Il faut se référer à trois articles du Code civil pour mieux appréhender le contenu de la définition de l’exception d’inexécution. Il s’agit des articles 1217, 1219 et 1220. C’est principalement dans l’article 1219 que le législateur met en évidence les conditions qui entourent l’exception d’inexécution en droit français.
Il ressort de cet article que l’exception d’inexécution est la faculté dont dispose une partie dans une relation contractuelle de refuser d’exécuter ses obligations compte tenu du fait que son cocontractant n’a pas exécuté ses propres obligations ou a cessé d’exécuter les siennes.
Autrement dit, en raison d’un manquement dans l’exécution du contrat ou d’une inexécution globale par l’un des contractants, le second s’abstient également d’exécuter les obligations qui sont les siennes.
Les conditions nécessaires de l’exception d’inexécution
Plusieurs conditions sont requises avant qu’on ne puisse soulever une exception d’inexécution. Celles-ci sont cumulatives.
Les conditions cumulatives conduisant à l’exception d’inexécution
On dénombre trois critères cumulatifs importants qui fondent le principe de l’exception d’inexécution. Le schéma ci-dessous fait ressortir chacun de ces trois critères.
Le critère de la réciprocité des engagements
Tout d’abord, comme mentionnée dans l’introduction, l’exception d’inexécution est applicable dans un contrat synallagmatique. On entend par contrat synallagmatique, une convention par laquelle chaque partie au contrat est soumise à des obligations contractuelles vis-à-vis de l’autre (Lire : Régime général des obligations). Autrement dit, chacune d’elles se retrouve à la fois dans la position de créancier et de débiteur.
Ainsi, dans un contrat où subsiste une obligation unilatérale pesant sur une seule partie, on ne peut matériellement parler d’exception d’inexécution. À titre d’illustration, dans un contrat de donation, la défaillance du donateur à remettre la chose prévue au bénéficiaire, ne peut pousser ce dernier à invoquer une exception d’inexécution.
Le critère de l’effectivité de l’inexécution
Une fois que le premier critère est rempli et que l’on est en présence d’obligations réciproques, il faudra vérifier si l’une des parties au contrat a manqué d’exécuter sa prestation. Autrement dit, il faudra vérifier que l’inexécution du contrat est certaine et réelle.
La simple perspective d’une mauvaise exécution de l’obligation ne doit pas conduire le cocontractant à suspendre l’exécution de ses propres obligations aux motifs d’une exception d’inexécution.
- Exemple pratique:
Monsieur Dupont et Madame Lochard sont dans un lien contractuel depuis la signature de leur contrat. De ce fait, Monsieur Dupont livre à chaque fin du mois de la farine à sa cliente qui est boulangère moyennant le paiement du prix de la marchandise.
Or Monsieur Dupont apprend que Madame Lochard qui est dans une relation amoureuse depuis peu avec un homme de nationalité grecque devrait voyager tout prochainement en Grèce pour une durée indéterminée afin de le rejoindre.
Se disant que Madame Lochard ne pourra manifestement pas le payer lors de livraison, Monsieur Dupont décide de suspendre l’exécution du contrat jusqu’au retour de sa cliente.
- Commentaire:
Il ne pourra en aucun cas invoquer l’exception d’inexécution puisque la défaillance qu’il craint n’est pas encore survenue et Madame Lochard n’a pas refusé d’exécuter la contrepartie de ses obligations.
Pour ce qui concerne la nature de l’inexécution contractuelle, il peut s’agir soit d’une mauvaise exécution du contrat par le client (le vendeur qui livre du sel alors que le client lui a passé une commande pour de la farine).
Il peut s’agir également d’une exécution de mauvaise foi par le débiteur (le vendeur qui livre, en toute conscience, de la farine de basse qualité à son client). On peut également se retrouver dans le cas d’une inexécution totale ou d’une inexécution partielle.
Le critère de la gravité de l’inexécution
À côté des deux premiers critères de l’exception d’inexécution, il faut aussi analyser la gravité du manquement ou de l’inexécution.
Tout d’abord, si l’inexécution ne porte pas sur une obligation essentielle du contrat, rien ne justifiera pour l’autre partie de refuser d’exécuter ses propres obligations contractuelles. Ce qui sera donc recherché par le juge au moment de l’exception d’inexécution, c’est le rapport de proportionnalité entre celle-ci et l’inexécution des obligations par la partie défaillante.
- Exemple pratique:
Monsieur Leberger a conclu un contrat de location d’un véhicule avec Madame Séchet. Les parties se sont entendues pour que Monsieur Leberger mette à disposition le véhicule pour Madame Séchet dès lors que celle-ci aura payé la première mensualité.
Depuis plus de deux mois, Madame Séchet n’a pas versé le premier loyer (obligation essentielle à la base de la conclusion du contrat). Monsieur Leberger, par application du principe de l’exception d’inexécution est en droit de ne pas exécuter son obligation qui consiste à mettre le véhicule à disposition de Madame Séchet.
Les autres conditions
Il est important de préciser qu’il ne suffit pas que toutes les conditions susmentionnées soient réunies pour que l’exception d’inexécution puisse commencer à opérer. Encore faudra-t-il que les obligations des parties soient interdépendantes.
Ceci signifie que ce sont les clauses d’un même contrat qui créent l’ensemble des obligations entre les parties. Autrement dit, ni le créancier ni le débiteur ne doit être tenu par une stipulation autre que celle provenant du contrat qui les lie.
Par ailleurs, pour que l’exception d’inexécution puisse opérer, il est primordial que les obligations soient à exécution simultanée. En d’autres termes, il n’est pas possible pour une partie de soulever une exception d’inexécution alors que son cocontractant avait donné un délai pour exécuter sa prestation contractuelle.
Enfin, il est recommandé aussi à la partie qui veut invoquer l’exception d’inexécution d’en faire la notification à la partie fautive. La notification peut être faite par le biais d’une mise en demeure que le créancier adresse à la partie ayant manqué à ses obligations.
Pour se donner plus de sécurité au moment de l’exception d’inexécution, la partie créancière peut faire constater sa mise en demeure préalable par un huissier de justice.
Les spécificités relatives à l’exception d’inexécution
Les intérêts et les effets relatifs au principe de l’exception d’inexécution
Les effets relatifs au principe de l’exception d’inexécution
L’effet principal de l’exception d’inexécution est qu’elle crée une suspension immédiate des obligations de celui qui l’exerce. Rappelons qu’il ne s’agit pas ici d’une résolution du contrat, puisque ce dernier continue d’être maintenu. C’est seulement que l’exécution des obligations d’une partie est différée à un terme ultérieur.
Le second effet est que l’exception d’inexécution rallonge le contrat, en ce sens que les parties n’évoluent plus dans leur relation contractuelle tant qu’une issue n’est pas trouvée à l’exception d’inexécution.
NB : vous pouvez voir les effets de la résolution du contrat en cliquant sur ce lien.
Les intérêts relatifs au principe de l’exception d’inexécution
L’exception d’inexécution présente un double intérêt qu’il est important de souligner. En premier lieu, on ne peut obliger ou contraindre le créancier qui a invoqué l’exception d’inexécution d’exécuter ses obligations qu’il devait au fautif. C’est la précision qu’avait apportée la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt rendu en date du 11 février 2003.
Ensuite, par le mécanisme de l’exception d’inexécution, le créancier offre une ultime chance à l’autre partie d’exécuter ses engagements.
Les autres mesures applicables en cas d’inexécution contractuelle
Les conséquences de l’inexécution contractuelle ne se résument pas obligatoirement dans l’application du principe de l’exception d’inexécution.
Le cas de l’exécution forcée
En raison de la nature de l’obligation, la partie lésée peut faire une assignation du débiteur fautif auprès des cours et tribunaux dans le but de contraindre ce dernier à exécuter ses obligations.
On parle dès lors d’exécution forcée des obligations contractuelles. Dans de pareils cas, avant l’assignation en justice, il est conseillé au créancier de mettre en demeure la partie défaillante en lui demandant de se régulariser.
Si après l’écoulement de l’échéance mentionnée dans la mise en demeure, celle-ci n’obtempère pas, l’affaire pourra être amenée devant les juridictions et le créancier pourra demander au juge d’obliger son cocontractant à l’exécution de ses obligations.
Il est important de préciser qu’il existe plusieurs variantes d’exécution forcée du contrat : on peut avoir des cas d’exécution forcée en nature ou d’autres cas d’exécution forcée d’une prestation financière.
Il faut distinguer cette dernière variante du paiement de dommages et intérêts qui constituent une sanction appliquée par le juge en raison du préjudice subi par le créancier.
Le cas de la résolution du contrat
Si l’exception d’inexécution n’aboutit pas et que la partie fautive persiste à ne pas tenir ses obligations contractuelles envers le créancier malgré l’injonction du juge, le juge peut procéder à la résolution du contrat à ses torts exclusifs.
Dans ce cas, le juge va s’assurer d’abord de la bonne foi de la partie qui a soulevé l’exception d’inexécution. Ensuite, il vérifiera la nature de l’inexécution mise en cause. Rappelons que même en cas d’inexécution minime ou partielle, la résolution judiciaire peut opérer.
Toutefois, les parties peuvent prévoir elles-mêmes d’insérer dans leur convention une clause destinée à sanctionner la mauvaise exécution du contrat : il s’agit de la clause résolutoire. Dès qu’elle est actionnée dans les conditions retenues par les parties, la clause résolutoire a pour but de conduire les parties à la fin de contrat.
Après le projet de réforme du droit des obligations, c’est le nouvel article 1224 du Code civil qui traite de toutes les questions relatives à la clause résolutoire.
Les limitations au principe de l’exception d’inexécution
Même lorsque les trois conditions susmentionnées sont réunies, il ne faut pas automatiquement conclure à l’application de l’exception d’inexécution : ce principe admet quelques limitations.
La première limitation à l’exception d’inexécution se retrouve dans les situations qualifiées de cas de force majeure. Quand on fait référence au cours de droit des obligations, on entend par cas de force majeure une situation imprévue qui dépasse les parties elles-mêmes et contre laquelle elles ne peuvent ni résister ni surmonter.
Si l’un des contractants n’exécute pas son obligation en raison d’une circonstance de force majeure, sa responsabilité contractuelle ne devrait pas être engagée. Par conséquent, son cocontractant ne pourrait pas suspendre l’exécution de son obligation en invoquant le principe de l’exception d’inexécution.
La seconde limitation à l’exception d’inexécution a trait à une situation similaire désignée sous le nom de cas fortuit. La différence majeure entre le cas fortuit et le cas de force majeure se situe dans le fait que le premier provient d’un événement interne au contrat (notamment du côté du débiteur), alors que le second provient d’une situation extérieure qui échappe aux parties.
Ainsi, lorsque le manquement contractuel est dû à une situation de ce type, le cocontractant lésé ne peut invoquer une exception d’inexécution.
Exemple pratique : Cas fortuit | Force majeure
Deux parties ont conclu un contrat dans lequel l’une avait l’obligation contractuelle de livrer des sacs de coton à l’autre en contrepartie du paiement d’un montant fixé lors de la formation du contrat. Suite à un incendie qui a ravagé tout l’entrepôt du livreur, celui-ci se retrouve dans l’impossibilité d’exécuter la livraison de marchandise.
Il s’agit à ce niveau d’un cas de force majeure dont l’autre partie doit tenir compte. Elle ne doit pas, par exemple, intenter une action en responsabilité contre le livreur sous le fondement d’une faute contractuelle.
Enfin, en parlant de limitations, il faut préciser que l’exception d’inexécution est inopérante lorsqu’elle va à l’encontre d’une mesure d’ordre public. Prenons comme exemple de disposition d’ordre public le paiement des charges de copropriété.
Exemple pratique : Arrêt chambre civile de la Cour de cassation 19-12-2007
En considération d’un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 décembre 2007, les juges de la haute juridiction ont rendu inopérante l’exception d’inexécution soulevée par des copropriétaires.
En effet, ceux-ci étaient liés au paiement des charges de copropriété aux termes de mesures d’ordre public relatives à la loi n°65-557 du 10 juillet 1965. Ils avaient ainsi prétexté le fait que l’assemblée générale n’avait pas exécuté les travaux convenus pour se soustraire au paiement des charges de copropriété, ce que la Cour de cassation a censuré.