Qu’est-ce qui ressort de la solution dégagée par l’arrêt Vilgrain du 27 février 1996 de la Cour de cassation ?

Arrêt Vilgrain du 27-02-1996

L’arrêt Vilgrain du 27 février 1996 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est un arrêt essentiel en droit commercial qui traite des conditions de la qualification du dol lors de la cession des parts sociales dans un contexte de dissimulation d’informations.

Initialement, la jurisprudence soutenait que sauf disposition spéciale, le silence ne pouvait en aucun cas être considéré comme un dol. Il constituait en quelque sorte une arme secrète de la conclusion des contrats.

Mais, en 1971, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’était ravisée en estimant que pouvait être considéré comme « dol », le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter. Ainsi, il (le dol) se caractérise par la rétention d’une information capitale ou d’une obligation d’information déterminante.

Dès lors, la Cour de cassation avait une position assez mitigée sur la considération du dol. Elle considérait que l’obligation d’information pesait tantôt sur l’acheteur, tantôt sur le vendeur, comme c’est le cas du présent arrêt Vilgrain.

En l’espèce, une actionnaire avait hérité d’un certain nombre d’actions d’une société dont elle ne connaissait pas la valeur exacte. Toutefois, elle souhaitait les vendre. C’est ainsi qu’elle s’était adressée au président de la société, Monsieur Vilgrain, en lui demandant de rechercher un acheteur par son entremise.

Le président s’était dès lors porté fort, ainsi que trois actionnaires pour qu’ils puissent racheter à l’héritière, les actions pour un montant de 3 000F par action. Mais dans l’hypothèse où les vendeurs céderaient l’ensemble des actions dont ils étaient propriétaires avant deux ans, 50 % du montant excédant le prix unitaire de 3.500 francs lui serait versé.

Quatre jours plus tard, ils avaient conclu l’opération et les acquéreurs avaient revendu les titres acquis à la société Bouygues au prix de 8 800 F par titre. La cédante initiale lorsqu’elle a eu connaissance de cette cession avait alors estimé que son consentement (la définition ici) était vicié par un dol.

De plus, le dirigeant de la société avait fait une rétention d’information alors même qu’une obligation d’information pesait sur lui. En effet, Monsieur Vilgrain avait dissimulé des informations capitales qui, si elles avaient été portées à la connaissance de la cédante au moment des négociations, cette dernière n’aurait jamais cédé ses actions pour ce montant.

C’est pourquoi cette dernière a saisi les instances judiciaires afin d’obtenir réparation du préjudice subi dans le cadre de cette cession entachée de réticence dolosive. Elle aurait dû céder ses actions au prix minimum de 7000 F. Quant au défendeur, il conclut quant à lui au rejet des prétentions de la cédante.

La Cour d’appel a fait droit à la demande de la requérante. Elle a ainsi estimé que Monsieur Vilgrain avait sciemment dissimulé les négociations engagées avec la banque afin de vendre lesdites actions à une valeur nettement supérieure alors qu’elle n’était pas du tout informée de l’accord entre Monsieur Vilgrain et la Banque.

Selon, cette juridiction d’appel, la réticence dolosive était belle et bien caractérisée en raison des manœuvres de dissimulation et non du fait de la plus-value que le cessionnaire aurait réalisée.

C’est contre cet arrêt de la Cour d’appel que le défendeur, Monsieur Vilgrain a formé un pourvoi en cassation qui a ensuite donné lieu à l’arrêt Vilgrain du 27/02/1996.

Le problème de droit soulevé devant la Cour de cassation consistait à savoir à qui devait incomber l’obligation d’information dans le cadre d’une cession de titres.

Dans l’arrêt Vilgrain, la Cour de cassation affirme que l’obligation d’information pèse sur l’acquéreur qui est le dirigeant de la société en l’espèce. Ainsi, dès lors qu’il détient des informations fiables sur la valeur nette des actions et en les dissimulant comme il l’a fait, le dol est caractérisé à son encontre.

En effet, selon la haute juridiction, il pèse sur tous les dirigeants de société une obligation de loyauté à l’égard de tout associé. C’est pourquoi la Cour rejette le pourvoi en cassation dans l’arrêt Vilgrain.

Par ailleurs, cette question de droit qui a été résolue par cette décision de justice a ensuite été remise au goût du jour dans une affaire dite d’arrêt Baldus rendu le 3 mai 2000 (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 mai 2000, 98-11.381).

Toutefois, la Cour de cassation a adopté une solution contraire à travers cette nouvelle jurisprudence. En effet, il ressort de l’arrêt Baldus que l’obligation d’information incombe au vendeur c’est-à-dire le cédant. Selon les faits de l’espèce, la cédante avait vendu à un photographe expert, Monsieur Baldus, des centaines de photographies au prix de 1000F en 1986 et en 1989 dans un contexte d’enchères.

C’est après la cession qu’elle apprenait que les photographies avaient une valeur plus importante et qu’elle avait bien réalisé la vente avec un expert en photographie qui était censé en principe attirer son attention sur la valeur réelle desdites photographies.

Ainsi, elle portait l’affaire sur le plan pénal, mais sans succès. Elle attrait alors son acheteur devant les juridictions civiles. Mais la Cour de cassation avait estimé qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur et qu’il y avait lieu de casser l’arrêt de la Cour d’appel qui précisait que l’acquéreur aurait dû l’informer de la valeur réelle.

À la lecture de cet arrêt Baldus, la Cour semble inverser l’obligation d’information en affirmant qu’aux termes des dispositions de l’article 1116 du Code civil, aucune obligation ne pèse sur l’acheteur. En adoptant cette position, la Cour de cassation admet que l’arrêt Vilgrain est une exception à l’arrêt Baldus. Ainsi, l’arrêt Vilgrain est un cas spécial de reconnaissance du dol en droit des sociétés (le cours complet ici).

Pour dire les choses autrement, nous pouvons constater que l’arrêt Vilgrain a admis la reconnaissance spéciale du dol en droit des affaires dont la consécration du principe tient sa source dans celui de l’arrêt Baldus.

L’arrêt vilgrain : La consécration spéciale du dol en droit des affaires

La consécration du dol en droit des affaires dans l’arrêt Vilgrain provient d’une volonté de reconnaissance particulière en raison de la nature des faits en cause, mais aussi de la volonté de sanctionner des dirigeants sociaux qui ne respectent pas le pacte social né de l’affectio societatis.

La reconnaissance spéciale du dol en droit des affaires

À la surprise générale dans l’arrêt Vilgrain, la Cour de cassation a reconnu la réticence dolosive contre le dirigeant qui avait dissimulé à la cédante la valeur exacte des actions, alors même qu’il était tenu d’informer tous les associés de la société de sa situation réelle. En effet, ils étaient tous unis par le pacte social que le dirigeant devait sauvegarder.

Dès lors, pour que la Cour de cassation puisse accéder à sa demande alors même que la venderesse s’était fait assister par un professionnel du droit, notamment un avocat, elle ne pouvait plus invoquer l’erreur ni la violence. Elle a ainsi fondé ses moyens sur la réticence dolosive qualifiée de dol passif, d’ailleurs, reconnue au même titre que le dol depuis l’arrêt du 15 janvier 1971, de la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En effet, le dol se caractérise par des manœuvres ou même des mensonges visant à vicier le libre consentement du cocontractant au sens de l’article 1116 du Code civil, contrairement à la réticence qui se manifeste par un silence fautif. C’est cette réticence dolosive que la Cour d’appel a retenue en l’incluant dans le champ d’application de tous les articles concernant le dol pour tirer subséquemment les mêmes conséquences de droit.

La réticence retenue contre le dirigeant, selon les faits de l’espèce, a pour fondement la dissimulation des négociations avec d’autres institutions pour une valeur doublement supérieure à la valeur de cession des actions de la cédante alors que celle-ci n’était pas du tout informée d’une quelconque négociation ni de la valeur exacte des actions à ce moment précis.

Toutefois, la cédante disposait d’une autre option dans la cession des actions lui conférant 5O% de plus-values en cas de cession dans les deux années. Mieux, le défendeur soutenait que son manque d’information aurait pu être comblé par le fait qu’elle soit assistée d’un expert ou d’un professionnel de droit.

Mais l’arrêt de la Cour d’appel, qui a été confirmé par celui de la Cour de cassation, soutenait que si la venderesse était informée des négociations et de la valeur des titres, elle ne les aurait jamais cédés pour ce prix.

Puisqu’elle se basait sur les objections du dirigeant de la société. Dans le cas d’espèce et selon la Cour, il ne revenait pas moins à la venderesse de s’informer sur la valeur réelle, mais plutôt au dirigeant acquéreur desdits titres de communiquer sur cette valeur en raison de son obligation de loyauté.

Cette position de la Cour de cassation dans l’arrêt Vilgrain est une sanction sévère en raison de la qualité de l’acquéreur qui est le dirigeant de la société sur qui pèse une obligation de loyauté envers tout associé de la société unie par le pacte social.

Une sanction sévère en raison de la qualité du dirigeant

La réticence dolosive a été retenue contre l’acquéreur qui était le dirigeant de la société. En cette qualité, il pesait sur lui un devoir de loyauté. Dans l’arrêt Vilgrain, cette position de la Cour de cassation se justifiait par le contrat de société qui liait les parties avant la cession même des titres.

De ce fait, le dirigeant de la société se devait de respecter le pacte social, mais aussi l’exécution de bonne foi du contrat ; un principe sacro-saint retenu en droit des obligations français.

Cette sanction sévère s’explique aussi par son comportement de dissimulation des négociations aux associés alors même qu’il avait acheté des titres pour son propre compte afin de les vendre plus cher, notamment à une valeur doublement supérieure à celle convenue avec les associés.

Le dirigeant de la société devait donc informer tous les associés de la situation réelle de la société ; mais aussi de tout ce qui pouvait toucher aux intérêts des associés. Ainsi, les négociations enclenchées entraient bien dans le champ du contrat social qui les liait.

C’est pourquoi dans l’arrêt Vilgrain la Cour de cassation a sanctionné exceptionnellement le dirigeant de la société en rappelant l’obligation d’information qui pesait sur celui-ci en raison du pacte social. La Cour de cassation en a conclu à la réparation du préjudice.

Pourtant, quelque temps plus tard, la Cour de cassation dans l’arrêt Baldus opérait un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il ne pèse sur l’acquéreur aucune obligation d’information. Par cette décision, la haute juridiction fera ainsi de l’arrêt Vilgrain, un arrêt spécial ou d’exception. C’est l’affirmation du principe de l’obligation d’information suivant les circonstances.

Arrêt vilgrain : L’admission du principe d’obligation d’information

L’obligation d’information est capitale en droit des affaires depuis l’arrêt Vilgrain, et ce, malgré la décision des juges concernant l’arrêt Baldus. C’est ainsi que la jurisprudence se fonde soit sur l’existence d’une obligation précontractuelle d’information et la sauvegarde de la liberté de contracter ; ou alors sur l’obligation de contracter de bonne foi pour sanctionner le dol tiré de l’obligation d’information du partenaire contractuelle.

L’existence d’une obligation précontractuelle d’information face à la liberté de contracter

Pendant longtemps, la Cour de cassation a subordonné la sanction de l’obligation d’information à l’existence d’une obligation précontractuelle en droit des contrats. Ainsi, toute information qui pouvait influencer le consentement du partenaire devait lui être communiquée par celui qui la détenait, et ce, même avant la conclusion du contrat.

Toutefois, il ne fallait pas perdre de vue la liberté contractuelle et la liberté de conclure de bonne affaire en toute légalité. C’est le principe consacré par l’arrêt Baldus.

Selon la Cour de cassation dans cet arrêt, tout vendeur est libre de fixer son prix. Il ne revient pas à l’acquéreur de l’informer de la valeur exacte des biens alors que c’est le cédant lui-même qui, après analyse, a fixé son prix. Cette position de la Cour vient sauvegarder l’idée de contracter librement pour réaliser des bénéfices. Dans le cas contraire, le contrat ne serait plus utile.

À partir de cet arrêt, il revient à chaque vendeur d’expertiser ses biens avant de les mettre sur le marché, car la Cour de cassation ne veut pas confronter l’obligation d’information et la recherche de gain si déterminant pour la liberté de contracter.

Or, dans l’arrêt Vilgrain, il faut le rappeler, il y a un contrat social qui subsiste avant la conclusion du contrat de cession de vente des titres (Lire aussi : Qu’est-ce que la cession de contrat ?). Ce contrat porte à lui seul l’obligation de loyauté et d’information. La base même de la décision de Cour de cassation se fonde sur ce contrat et non sur le profit. Le dirigeant ne pouvait pas dissimuler des informations aux associés.

C’est pourquoi s’il existe un contrat avant la conclusion d’un autre contrat alors le dirigeant se doit d’informer les actionnaires ou associés de la situation réelle de la société ainsi que des négociations en cours.

Ne pas le faire afin d’en tirer un profit en achetant leurs actions pour des montants dérisoires constitue une réticence dolosive ayant les mêmes effets que le dol lui-même au sens de l’article 1116 du Code civil. C’est une exception aux droits sociaux en matière de droit des affaires.

Par ailleurs, l’exécution de bonne foi peut déterminer le juge à ne pas retenir le dol.

L’obligation de contracter de bonne foi

La liberté de contracter évolue de pair avec la bonne foi dans les affaires. Dès lors, lorsqu’une partie contracte de bonne foi, on ne saurait faire peser sur elle une obligation d’information à son encontre. Il en va de même lors de l’exécution des contrats.

La bonne foi lors de la conclusion du contrat doit se manifester par des actes concrets démontrant que le cocontractant n’a pas une intention fautive de cacher des informations. C’est pourquoi la Cour de cassation cherche toujours à savoir si la réticence dolosive ne constitue pas une atteinte à la bonne foi.

Ainsi, dans l’arrêt Baldus (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 mai 2000, 98-11.381), le photographe n’a pas été inquiété. Cependant, dans l’arrêt Vilgrain, l’acquéreur et dirigeant a été sanctionné cette fois-ci, car la Cour a fait prévaloir l’obligation de loyauté.

Le point commun entre toutes ces décisions de la Cour de cassation est que la réticence dolosive se caractérise par un manquement à une quelconque obligation d’information. Elle estime en effet, que dès lors qu’à chaque fois qu’une partie s’abstient intentionnellement dans le dessein de tromper son partenaire, ce manquement à l’obligation de bonne foi à lui seul, est constitutif d’un dol.

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