L’arrêt Fullenwarth rendu le 5 mai 1984 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est un illustre arrêt de la jurisprudence qui met en lumière la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, une des hypothèses de la responsabilité du fait d’autrui.
Incombe aux parents l’obligation de réparer le préjudice causé par leurs enfants mineurs. Cette obligation est la contrepartie de l’autorité parentale et du devoir de garde des parents. Elle est prévue par l’article 1242 alinéa 4 anciennement article 1384 alinéa 4.
L’arrêt Fullenwarth présenté tranche les divergences jurisprudentielles relatives à l’exigence d’une faute de l’enfant et in extenso de la prise en compte de son discernement.
Il est admis de manière inédite qu’un simple fait causal suffit pour engager la responsabilité des parents du fait de leurs enfants. Les arrêts Derguni et l’arrêt Lemaire rendus le même jour témoignent du tournant jurisprudentiel entrepris dans la réforme du droit de la responsabilité civile pour faute.
Pour certains, l’arrêt Fullenwarth incarne une plus grande protection des victimes, qui jusqu’alors pâtissaient d’un système à double faute, tandis que pour d’autres il constitue un trop grand danger pour les parents voire à une réification des enfants.
Les faits et la procédure de l’arrêt Fullenwarth
Un enfant de sept ans tire une flèche en direction d’un autre enfant avec un arc fabriqué par lui. Cet événement a pour effet d’éborgner l’enfant visé.
Le père de la victime, en sa qualité de représentant légal, demande réparation en assignant le parent de l’enfant à l’origine de l’incident. Il se fonde sur l’ancien article 1384 alinéa 4 devenu l’article 1242 alinéa 4 et relatif à la responsabilité des parents du fait de leur enfant. Cette hypothèse de responsabilité du fait d’autrui est envisagée par les législateurs comme le pendant de l’autorité parentale. Ils ont autorité sur eux et doivent, par conséquent, répondre de leurs faits.
Le 25 septembre 1979, l’arrêt de la chambre civile de cour d’appel de Metz infirme le jugement de première instance et déclare le parent défendeur responsable du fait de son enfant.
Insatisfait de la décision de la cour d’appel de Metz, le parent défendeur forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par cette dernière.
Le Premier président de la Cour de cassation constatant que l’arrêt soulève une question de principe susceptible de provoquer une divergence de positions des juges du fond, renvoie par ordonnance du 17 mars 1983 les causes et les parties devant l’Assemblée plénière.
Les prétentions et le problème de droit
La cour d’appel de Metz dans une appréciation factuelle considère que l’acte commis par l’enfant est « objectivement fautif ». Les juges du fond se livrent, ainsi, à une appréciation in concreto de ce que devrait être la faute. L’acte objectivement fautif correspondrait, par exemple, à un acte à l’origine d’une faute indépendamment de l’âge, de la capacité de raisonnement et de discernement de son auteur. Par conséquent, un enfant de sept ans comme un adulte de 27 ans peuvent commettre une faute sans discussion ni débat autour de leur capacité.
Le parent demandeur au pourvoi avance qu’en raison du discernement insuffisant de son enfant de 7 ans au moment des faits la faute ne peut pas être constituée. Le discernement renvoie à la conscience. Il est instrument de perception et de jugement, qui donne à chacun de quoi démêler le bien du mal, le licite de l’illicite, et donc d’orienter ses actions en conformité à la loi. Le discernement est une notion capitale à la responsabilité pénale par exemple.
Le parent défendeur appuie ses prétentions sur l’ancien article1382 relatif à la responsabilité du fait personnel, actuellement : Article 1240 du Code civil, et l’article 1384 alinéa 4 prévoyant la responsabilité des parents du fait de leur enfant du Code civil qu’il estime violés par la décision de la cour d’appel.
Le Premier président de la Cour de cassation demande, par ordonnance à l’Assemblée plénière, de répondre à ce qu’il considère comme étant une question de principe « s’il est possible d’imputer à un enfant, auteur de blessures involontaires, l’entière responsabilité de l’accident, sans rechercher si cet enfant avait un discernement suffisant pour être l’objet d’une telle imputation ».
La solution de l’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984
Par son arrêt du 9 mai 1984 de l’Assemblée plénière, la Haute Cour rejette le pourvoi et confirme l’arrêt Fullenwarth de la cour d’appel de Metz.
Elle décide que « pour que soit présumée (…) la responsabilité des parents, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime».
Elle renverse ce qui était le principe jusque-là à savoir l’établissement d’une faute de l’enfant pour engager la responsabilité des pères et mères. Au travers de cet arrêt Fullenwarth, la Cour rompt avec un siècle de jurisprudence. Désormais, il suffit d’établir la preuve que l’enfant a commis l’acte à l’origine du dommage. C’est l’introduction du principe de responsabilité directe des parents.
Pour en faire un rapide exposé, l’ancien article 1384 alinéa 4 prévoyait que « le père et la mère, en tant qu’ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux » (Lire : Principe de la responsabilité civile délictuelle). De ses dispositions l’on peut dégager quatre conditions :
- Les pères et mères qui ont le droit de garde. La garde est ici appréhendée dans son sens matériel et l’on peut lui substituer « l’autorité parentale »
- De leurs enfants mineurs. La jurisprudence précise qu’il faut que l’enfant soit mineur au moment des faits.
- L’enfant mineur commet un fait à l’origine du dommage
- Les parents et les enfants mineurs cohabitent
Dans une lecture univoque des conditions du précédent article, la jurisprudence ainsi que la doctrine s’accordaient à dire que le fait du mineur devait être fautif. Parfois, il était demandé d’établir une double faute. En effet, pour les rédacteurs du Code civil de 1804 la responsabilité des parents du fait de l’enfant n’était pas une évidence.
De ce fait, la faute de l’enfant à l’origine du dommage était additionnée à celle des parents. Cette faute consistait en une faute de surveillance ou d’éducation. L’engagement de la responsabilité des parents se devait de reposer sur un élément directement lié à leurs devoirs de parents. À titre d’illustration, à l‘occasion de l’arrêt du 13 juin 1968 la Cour de cassation décide que «la responsabilité du père à raison du dommage causé par son enfant mineur habitant avec lui découle de ses obligations de surveillance et de direction sur la personne de ce dernier ».
Les exigences propres au comportement de l’enfant sont devenues au fil du temps de moins en moins rigoureux. Cette responsabilité du fait d’autrui constituait alors une responsabilité indirecte. Elle supposait que l’enfant ait commis un fait fautif ayant provoqué le préjudice subi par la victime ou bien qu’il ait été gardien d’une chose ayant causé ce dommage. Ainsi, « si la responsabilité des parents suppose que celle de l’enfant ait été préalablement établie, la loi ne distingue pas entre les causes qui ont pu donner naissance à la responsabilité de l’enfant » (affaire Gesbaud, 2e chambre civile 10 février 1966).
C’est l’objectivation de la responsabilité des parents. Elle revient à dire que l’acte fautif ou illicite de l’enfant n’est plus requis, les parents sont donc responsables sur le simple constat d’un dommage en relation de causalité avec cet acte, peu importe que celui-ci ne puisse engager la responsabilité personnelle du mineur.
Ainsi, un simple fait causal, mais néanmoins dommageable de la part de l’enfant suffit pour que les parents soient condamnés à en réparer les conséquences. Le fait du mineur permettant de mettre en œuvre la responsabilité des parents serait donc « proche du fait de la chose qui engage la responsabilité du gardien ».
En l’espèce, l’enfant de sept ans a tiré une flèche en direction de l’autre, ce qui a eu pour conséquence de l’éborgner. Sans conteste, l’enfant de sept ans est bien à l’origine du fait causal du dommage. Ainsi l’Assemblée plénière considère qu’il y a lieu de retenir de son père, civilement responsable, sur le fondement de l’ancien article 1384alinéa 4.
La portée de l’arrêt Fullenwarth
D’une responsabilité soumise à une condition double de faute, la jurisprudence a évolué vers une responsabilité pour faute du mineur pour aboutir, finalement, à une responsabilité de plein droit sans faute. C’est un mouvement de révolution de la faute et de la responsabilité pour faute qui est motivé par un souci de protection des victimes.
L’abandon de la condition de faute est l’élément le plus marquant dans ce tournant jurisprudentiel. Dans cet arrêt Fullenwarth la Haute cour affirme timidement, mais non sans conviction son positionnement. Elle décide qu’il n’est plus nécessaire que le fait de l’enfant à l’origine du dommage découle d’un événement fautif. En abandonnant la faute, elle indique également que la faculté de discernement ou l’imputabilité de la faute à son auteur est inutile.
La décision s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel mûr pour ces changements et nuances. En effet, il est à souligner que le même jour ont été rendus les arrêts Derguini et Lemaire. Dans ces arrêts, tout aussi célèbres que celui soumis à la présentation, la Cour de cassation abandonne la condition d’imputabilité de la faute d’un enfant en bas âge. Il était soumis au juge du droit la question de savoir si une faute pouvait être retenue à l’encontre d’un enfant en bas âge privé, par principe, de discernement. Il est décidé que le comportement d’une victime en bas âge n’en est pas moins fautif indépendamment de sa capacité à discerner.
Dans l’arrêt Fullenwarth, l’Assemblée plénière va encore plus loin et s’affranchit de cette condition et de cette interrogation. La doctrine évoque l’absurdité d’une telle situation à laquelle la solution de cet arrêt pourrait conduire. Malgré ces critiques, la solution a, par la suite, été clairement réaffirmée avec l’arrêt Levert dans lequel la Cour retient que la responsabilité des parents « n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant » (Cass 2e chambre civile 10 mai 2001) .
L’Assemblée plénière de la Haute juridiction le 13 décembre 2002 en apportant à la précédente solution toute la force d’une formule de principe lui a donné une portée plus éclatante encore en affirmant que « pour que la responsabilité de plein droit des pères et mères (…) il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ».
Cette solution, certes très favorable aux victimes, a pour conséquence regrettable de réifier l’enfant. Par ailleurs, elle a considérablement fragilisé la présomption simple de faute pesant alors sur les parents. Celle-ci était devenue artificielle, et dès le lendemain de l’arrêt Fullenwarth, la porte était ouverte à une autre évolution.
Le pas a été franchi quelques années plus tard, à l’occasion de l’arrêt Bertrand (Cass 2e chambre civile 19 février 1997). Dans cet arrêt de revirement, la Cour de cassation énonce que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvaient exonérer M. Bertrand de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui ».
L’arrêt Fullenwarth et l’arrêt Bertrand appartiennent à une même acception de la responsabilité des parents du fait de leur enfant. En effet, dans un souci de cohérence, la Haute cour n’a pu admettre une exonération fondée sur la bonne éducation ou la surveillance diligente des parents et dans un même temps abandonné le fait fautif de l’enfant. La responsabilité parentale constitue donc aujourd’hui une responsabilité objective et son caractère indirect ne tient plus qu’à la reconnaissance du fait causal de l’enfant.
Toute cette évolution est le signe d’un changement radical dans la conception de la responsabilité parentale. Celle-ci n’est plus la relève d’une responsabilité pesant d’abord sur l’enfant, mais l’expression d’une responsabilité directe, liée au fait dommageable lui-même. Plus simplement, elle n’est plus tributaire de l’examen préalable de la responsabilité de l’enfant, ce qui rend inutile la qualification de l’acte à l’origine du dommage.
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