L’arrêt Fraisse de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 02/06/2000 est un arrêt majeur en droit constitutionnel français, car il est venu réaffirmer la supériorité de la Constitution nationale sur les conventions internationales.
En effet, cet arrêt Fraisse sans toutefois trancher avec la jurisprudence antérieure en l’occurrence celle du Conseil d’État dans l’arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998, soulève et résout une question de taille en matière constitutionnelle : Celle de la supériorité entre la Constitution ou les normes de valeur constitutionnelles et les normes de droit international ou communautaire.
D’ailleurs, il était à une époque admis et par la Cour de cassation (arrêt Cafés Jacques Vabre de 1975) et par le Conseil d’État (arrêt Nicolo du CE de 1989) que les normes internationales étaient supérieures aux normes de droit interne français.
Mais depuis l’arrêt Sarran et Levacher du Conseil d’État précité, la jurisprudence semble dorénavant constante et inflexible sur la question : La Constitution ou les normes de valeur constitutionnelle notamment les lois organiques priment sur les normes internationales ou communautaires.
Par cet arrêt Fraisse, la Cour de cassation confirme et conforte donc la jurisprudence du Conseil d’État en concluant dans son attendu décisoire que la supériorité conférée aux engagements internationaux par l’article 55 de la Constitution ne s’appliquait pas aux normes de valeur constitutionnelle en droit interne français.
Les faits et la procédure de l’arrêt Fraisse du 2 juin 2000 de la Cour de cassation
Les faits de l’arrêt Fraisse sont les suivants : Mlle Fraisse avait sollicité une inscription sur la liste électorale permettant aux habitants de la Nouvelle-Calédonie de participer à l’élection du congrès et des assemblées de provinces conformément à l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 (n ° 99-209) relative à la Nouvelle-Calédonie des électeurs admis à participer à l’élection ci-dessus mentionnée.
Toutefois, elle s’est vu refuser cette inscription sur la liste par une décision de la commission administrative de Nouméa. En effet, ce refus est fondé sur le fait que la requérante demeurait depuis moins de dix ans sur le territoire calédonien comme le précise l’article 188 de ladite loi organique qui conditionne l’autorisation de l’inscription à une présence d’au moins dix années sur le territoire.
Mlle Fraisse décide alors de saisir le tribunal de première instance de Nouméa pour faire annuler la décision de la commission. Malheureusement, sa requête tendant à l’annulation de ladite décision est aussi rejetée par le tribunal dans son jugement du 3 mai 1999.
En conséquence, elle forma un pourvoi en cassation. Le premier président de la Cour de cassation renvoya l’affaire devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation puisqu’en l’espèce il s’agit d’une question de principe dans l’arrêt Fraisse.
Le 2 juin 2000, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui est sa formation solennelle rend un arrêt de rejet largement commenté par les observateurs épris de droit comme à l’accoutumée.
Les prétentions des parties et le problème de droit de l’arrêt Fraisse
Dans l’arrêt Fraisse, la requérante du pourvoi faisait grief au jugement du juge du tribunal de première instance de Nouméa de rejeter sa demande en annulation de la décision de la commission administrative ayant refusé son inscription sur la liste électorale.
Elle allègue que l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 (n ° 99-209) relative à la Nouvelle-Calédonie exigeant d’un citoyen français « un domicile de dix ans pour participer à l’élection des membres d’une assemblée d’une collectivité de la République française » est incompatible avec les textes issus du droit international ; notamment, les articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, l’article 3 du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et enfin, l’article 6 du traité de Maastricht signé le 7 février 1992.
La question de droit à laquelle devait répondre la Cour de cassation dans l’arrêt Fraisse était celle de savoir quelle était la valeur constitutionnelle accordée aux lois organiques et quelle était leur place dans la hiérarchie des normes.
La solution dégagée par l’arrêt Fraisse
En réponse au problème de droit posé dans l’arrêt Fraisse, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a d’abord commencé par préciser que « le droit de Mlle X… à être inscrite sur les listes électorales pour les élections … n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire ».
On ne pourrait pas dire mieux ! En effet, par principe, les questions relatives à l’organisation des élections relèvent exclusivement de la souveraineté nationale. Par conséquent, aucune norme supranationale, communautaire ou internationale, soit elle ne devrait supplanter sur les normes internes en la matière (voir le droit constitutionnel français ici) ; du moins celles de valeur constitutionnelle.
Poursuivant son raisonnement, la haute juridiction française de l’ordre judiciaire rappela dans l’arrêt Fraisse que l’article 188 de la loi organique en cause avait une valeur constitutionnelle.
Pas du tout étonnant non plus puisque cette loi reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des orientations prévues au sein de l’accord de Nouméa qui, selon l’article 77 de la Constitution, a-t-elle aussi une valeur constitutionnelle. Il en résulte donc que les lois organiques ou la loi organique au sens large ont en principe une valeur constitutionnelle.
En effet, la loi organique tire sa valeur de l’article 46 de la Constitution qui fait d’elle une norme complémentaire à celle-ci. En ce sens qu’elle vient la compléter en précisant les modalités d’organisation et de fonctionnement de pouvoirs publics par la norme suprême. En réalité, la loi organique joue un rôle de complémentarité avec la Constitution. Là où cette dernière est laconique et floue, la loi organique est prolixe et claire.
Ainsi, en rappelant que l’article 188 de la loi organique en cause avait valeur constitutionnelle, la Cour de cassation dans l’arrêt Fraisse admet de facto la supériorité de celle-ci sur les lois ordinaires, mais toutefois, celle-ci demeure en dessous de la Constitution. En effet, dans le bloc de constitutionnalité, aucune norme n’égale la Constitution.
Mais, c’est surtout la solution retenue par la haute juridiction relativement au problème de droit soulevé qui est encore plus intéressante. En effet, les juges de la cassation ont estimé que « la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle ».
Cette solution de la Cour de cassation dans l’arrêt Fraisse ne souffre point de clarté. En fait, comme pour ne laisser aucune zone d’ombre quant à la compréhension et à l’interprétation de sa décision, elle a pris le soin de préciser que contrairement à ce que beaucoup pensaient ou de la pratique qui avait cours dans beaucoup d’États, la primauté des normes internationales ne concerne pas les lois de valeur constitutionnelle.
Ainsi, comme l’article 188 de la loi organique en cause a été reconnu comme étant de valeur constitutionnelle par l’article 77 de la Constitution, le grief fait par la requérante au jugement du premier degré prétendant que cet article serait contraire aux normes internationales précitées n’était donc pas fondé. En conséquence, dans l’arrêt Fraisse, la Cour a rejeté le pourvoi.
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De la lecture de la solution dégagée par la cassation se dégagent deux de constats de taille :
Premièrement, les lois organiques se situent à un niveau supérieur aux normes internationales en droit interne français comme l’a réaffirmé un récent arrêt du Conseil d’État (CE, Ass., 21 Avril 2021).
Secondement, la supériorité accordée aux normes internationales ou communautaires en droit interne français ne vaut que pour les lois ordinaires qui restent inférieures aux normes de valeur constitutionnelle.
Se trouvent donc, exclues du principe, la Constitution et les lois organiques qui sont de par leur finalité et la spécificité de leur procédure d’adoption élevées au rang de normes constitutionnelles. C’est pourquoi un contrôle préalable de constitutionnalité est requis les concernant avant leur promulgation contrairement aux lois ordinaires.
Quelle est la portée de l’arrêt Fraisse du 2 juin 2000 ?
Par cet arrêt Fraisse de l’Assemblée plénière, la Cour de cassation érige une solution de principe : la supériorité des normes de valeur constitutionnelle sur toutes les normes internationales ainsi que sur les normes européennes y compris en droit interne français.
Cependant, il faut noter que ce n’est pas du tout nouveau. Nous l’avons déjà dit, l’arrêt d’espèce est confirmatif de l’arrêt Sarran du Conseil d’État de 1998. Toutefois, il est révélateur de quelque chose qui ne demeure pas sans importance, l’inflexibilité des deux hautes juridictions françaises des deux ordres sur le fait que les normes de valeur constitutionnelle ont une valeur supérieure aux normes internationales et européennes en droit interne français.
Cette position est confirmée par de récents arrêts et semble être partie pour perdurer (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, n°226514 et l’arrêt Arcelor du Conseil d’État du 8 février, n°287110).
Ainsi, en estimant que l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 en cause avait une valeur constitutionnelle, la Cour de cassation dans l’arrêt Fraisse a tout simplement conclu que le pourvoi en question était sans fondement d’où le rejet.
Chose encore surprenante, c’est qu’aucune spécificité n’a été accordée aux normes européennes. En effet, nombre de commentateurs pensaient qu’au regard du droit positif français en l’occurrence la Constitution, les normes européennes devaient prévaloir sur celle-ci.
Même s’il convient de dire que le Règlement européen occupe une place spéciale dans le débat compte tenu de son effet direct immédiat. On ne peut tout de même dire qu’il ait une valeur supérieure aux normes de valeur constitutionnelle.
Toutefois, concernant les Directives européennes, la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2004 en renfort à la jurisprudence de la Cour de cassation se référant aux dispositions de l’article 88-1 de la constitution qui prévoit expressément que « [la] République participe à l’Union européenne (…) » a aussi conclu que la Constitution a valeur de supériorité sur les normes européennes.
Raison pour laquelle l’arrêt Arcelor du Conseil d’État (CE, Assemblée, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, n°287110) est venu corroborer la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004 précitée.
La solution se comprend mieux quand on se rapporte à l’article 54 de la Constitution. En effet, cet article conditionne la signature ou la ratification d’un engagement contraire ou comportant une clause contraire à la Constitution à la révision de cette dernière.
Somme toute, en l’état actuel de la jurisprudence française, il ne fait l’ombre d’un doute que la Constitution ou les normes de valeur constitutionnelle ; en l’occurrence les lois organiques priment sur les normes communautaires ou internationales.