L’arrêt Besse rendu par la Cour de cassation en assemblée plénière le 12 juillet 1991 est une jurisprudence fondamentale, en ce que cet arrêt apporte une solution aux divergences jurisprudentielles qui préexistaient, notamment entre la première et la troisième chambre civile, au sujet de l’effet relatif du contrat.
L’effet relatif du contrat implique que vis-à-vis des tiers, le contrat ne leur est pas applicable. Il a, à priori, un effet relatif. Pour les tiers qui n’ont pas exprimé leur consentement, le contrat ne peut donc pas les obliger. C’est le principe de l’effet relatif du contrat, qui est le corollaire de l’effet obligatoire. Ce principe connaît cependant des limites en droit des contrats.
Dans l’arrêt Besse, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur l’effet relatif du contrat dans un litige opposant un maître d’ouvrage et le sous-traitant de l’entrepreneur principal dans un contrat de construction d’une maison. La plomberie du pavillon litigieux confiée au sous-traitant s’avère être défectueuse.
Le maître d’ouvrage entend engager la responsabilité du sous-traitant. La nature d’une telle responsabilité est au cœur de l’arrêt Besse. La solution de l’arrêt Besse met fin au conflit jurisprudentiel en faisant primer la responsabilité délictuelle pour régler les litiges concernant des ensembles contractuels, et considérant que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage.
Les faits et la procédure de l’arrêt Besse
Le litige de l’arrêt Besse porte sur un contrat de construction. Monsieur Besse conclut un contrat dont l’objet est la construction d’un immeuble d’habitation, avec un entrepreneur principal. Ce dernier contracte lui-même avec un sous-traitant pour effectuer des travaux de plomberie sur le chantier.
Plus de dix après la livraison de l’immeuble, le maître de l’ouvrage relève des défauts dans les travaux de plomberie. Il assigne l’entrepreneur principal et son sous-traitant en réparation du préjudice subi.
La décision attaquée dans l’arrêt Besse est l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nancy le 16 janvier 1990. Les juges du fond déclarent l’action de Monsieur Besse contre le sous-traitant irrecevable, en décidant que lorsque le débiteur d’une obligation contractuelle charge une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose que d’une action contractuelle envers cette personne.
Le sous-traitant pouvait donc opposer au débiteur tout moyen de défense et toute disposition légale issus du contrat de construction conclu entre le débiteur et l’entrepreneur principal, notamment le délai de forclusion décennale.
Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Besse
Le maître d’ouvrage fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Nancy d’avoir déclaré sa demande contre le sous-traitant irrecevable en raison de la prescription de l’action. Les juges du fond rejettent la demande, aux motifs que l’action que le maître de l’ouvrage détient à l’égard du sous-traitant chargé d’une partie des travaux est nécessairement contractuelle.
Le sous-traitant pouvait se prévaloir de l’obligation de garantie décennale des articles 1792 et 2270 du Code civil, qui pèse sur l’entrepreneur principal. Le maître d’ouvrage se pourvoit donc en cassation aux fins de faire appliquer la responsabilité délictuelle, en vertu de l’ancien article 1165 du Code civil.
La question de droit de l’arrêt Besse porte sur l’effet relatif des contrats. Il s’agissait pour la Cour de cassation de se prononcer sur la nature de l’action en réparation dirigée contre un tiers au contrat, entre action contractuelle et action délictuelle.
La solution de l’arrêt Besse rendue en date du 12 juillet 1991
L’arrêt Besse est rendu par la Cour de cassation réunie en assemblée plénière le 12 juillet 1991. La décision est rendue au visa de l’ancien article 1165 du Code civil, qui consacrait le principe de l’effet relatif des conventions. Il disposait que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ».
Dans la solution de l’arrêt Besse, la Cour de cassation affirme qu’aucun lien contractuel n’existe entre le sous-traitant et le maître de l’ouvrage dans le contrat de construction. Les règles de la responsabilité contractuelle ne trouvent donc pas à s’appliquer. Le maître d’ouvrage détient une action « de nature quasi délictuelle » soumise au délai de prescription de trente ans.
La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel de Nancy en date du 16 janvier 1990. Elle casse partiellement l’arrêt rendu par les juges du fond, en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre le sous-traitant.
La portée de l’arrêt Besse rendu le 12 juillet 1991 par la Cour de cassation
L’arrêt Besse traite de l’effet relatif du contrat, régi par l’ancien article 1165 du Code civil. C’est aujourd’hui l’article 1199 (en vigueur depuis le 1er octobre 2016) qui énonce le principe de la relativité du contrat. Le contrat ne crée d’obligation qu’entre les parties.
Cela signifie qu’un tiers ne peut être, par principe, ni débiteur ni créancier d’une obligation, il ne peut pas lui-même devoir une obligation en raison d’un contrat auquel il est extérieur. C’est le principe le plus immédiat de la relativité du contrat.
Si le tiers ne peut être ni débiteur ni créancier, en revanche, il se peut qu’il soit victime de l’inexécution d’un contrat ou qu’il engage sa responsabilité. L’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat peut rejaillir sur un tiers et faire que ce tiers subisse un préjudice ou soit à l’origine d’un préjudice du fait de cette inexécution ou mauvaise exécution.
Dans l’arrêt Besse, le maître d’ouvrage Monsieur Besse entend exercer une action directe contre le sous-traitant dans un ensemble contractuel. Lorsque des contrats sont liés, est-ce que l’on peut agir contre des membres de cet ensemble contractuel qui ne sont pas le cocontractant ?
Le contrat de construction est un exemple éloquent. Le maître d’ouvrage conclut un contrat avec un entrepreneur principal, celui qui va construire. L’entrepreneur principal, pour l’exécution de ses obligations, conclut des contrats avec des tiers.
L’un de ces contrats est mal exécuté, le maître de l’ouvrage en subit un préjudice. Il peut engager la responsabilité de l’entrepreneur principal ou des tiers. Mais la question se pose de savoir si l’action doit être délictuelle ou contractuelle .
La jurisprudence de la Cour de cassation a évolué sur la question au fil des années. Dans un premier temps, cette jurisprudence était allée très loin dans l’acceptation d’une action contractuelle. Dès lors qu’il s’agissait d’un groupe de contrats, la responsabilité était contractuelle.
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 1986 a retenu la responsabilité contractuelle à propos de l’action d’un maître d’ouvrage pour des produits d’isolation thermique défectueux fournis à l’entrepreneur principal, elle a considéré que l’action était contractuelle dès lors qu’il y avait transfert de propriété de la chose, et qu’en réalité les actions étaient attachées à la chose et se transmettaient comme accessoire avec la chose en passant d’un acquéreur à un autre. L’accessoire (l’action) suit le principal (la chose).
La première chambre civile de la Cour de cassation avait considéré que dans la situation où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette même obligation le créancier ne dispose que d’une action de nature contractuelle contre cette personne et « qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué » (Cassation, Chambre civile 1, 8 mars 1988).
En cause, la société Clic Clac Photo qui avait reçu de son client des diapositives destinées à être agrandies. La société Photo Ciné Strittmatter à qui avait été confié ce travail avait perdu lesdites diapositives. La Cour de cassation avait refusé de reconnaître l’engagement de la responsabilité délictuelle.
La première chambre civile, la même année, avait affirmé que dans un groupe de contrat la responsabilité contractuelle régit obligatoirement la demande en réparation de toutes les personnes qui ont souffert d’un dommage que parce qu’ils étaient dans un lien avec le contrat initial et que dans ce cas « le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle même en l’absence de contrat entre eux » (Cassation, Chambre civile 1, 21 juin 1988).
Il s’agissait pour la Cour de cassation de statuer sur la responsabilité de la société Saxby, fournisseur de la société Aéroports de Paris, pour des dommages causés à la compagnie aérienne Braathens SAFE.
Cette jurisprudence portée par la théorie des groupes de contrat a été accueillie avec réticence par la troisième chambre civile de la Cour de cassation notamment. L’arrêt Besse rendu le 12 juillet 1991 est un revirement de jurisprudence illustrant l’opposition entre la première et la troisième chambre civile.
L’assemblée plénière y met fin avec la décision de l’arrêt Besse. S’agissant de travaux de plomberie dans un contrat de construction d’un immeuble d’habitation, la Cour de cassation décide que l’action est délictuelle et non contractuelle.
L’arrêt Besse amorce l’avènement du principe de la réparation par l’engagement de la responsabilité délictuelle, pour ne pas réserver la responsabilité contractuelle qu’à des exceptions plus spécifiques. Si l’action est transmise avec la chose, on se trouve dans l’action contractuelle.
S’il n’y a pas transmission de la chose, c’est-à-dire que la chaîne de contrat est non translative de propriété (le cas de l’arrêt Besse), on se trouve dans le cas d’une action délictuelle. Cette règle a par la suite été confirmée dans des arrêts de la troisième chambre civile (Cassation, Chambre civile 3, 23 septembre 2009, Cassation, Chambre civile 3, 9 juillet 2014) : il y avait responsabilité contractuelle dès lors qu’il y avait transfert d’une chose.
La troisième chambre civile a semé le trouble dans un arrêt du 26 novembre 2014 (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 26 novembre 2014) : un couple (maîtres de l’ouvrage) avait confié à une entreprise de construction la construction d’une maison d’habitation. L’entrepreneur avait sous-traité la réalisation de la couverture de la maison.
Le sous-traitant a conclu un contrat avec un fournisseur de tuiles. Les tuiles s’étant décolorées, le couple intente une action en réparation contre l’entrepreneur de l’ouvrage et le fournisseur de tuiles. La Cour de cassation a décidé dans cet arrêt que le maître d’ouvrage détenait une action délictuelle alors même qu’il y a eu transfert de la chose.
Elle a semblé prendre en compte la nature du contrat plutôt que le transfert de la chose. Le contrat avait pour objet la pose de couverture. Conformément à la solution de l’arrêt Besse, le maître d’ouvrage ne pouvait engager la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur principal et du fournisseur, l’entrepreneur.
Le critère distinctif est la transmission ou non d’une chose. Tout comme avec l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, l’arrêt Besse est aussi critiquable et témoigne de la difficulté de la jurisprudence à déterminer la nature de l’action, entre action contractuelle et délictuelle.
Dans un arrêt récent, en date du 5 mai 2021 (Cassation, Chambre civile 1, 5 mai 2021), la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité délictuelle dans le cadre d’une convention d’assistance bénévole.
La Cour de cassation a confirmé l’existence d’une convention d’assistance bénévole et a reconnu des fautes respectives d’un assistant et de l’assisté à l’occasion du rangement effectué bénévolement au domicile de l’assisté, qui a causé de graves blessures à l’un des assistants.
L’assistant a commis une faute délictuelle en jetant un carton du balcon sans assurer la sécurité des personnes pouvant se trouver au rez-de-chaussée. L’assisté a, lui, commis une faute contractuelle en donnant un ordre à l’assistant, ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour la sécurité d’autres personnes.
La Cour de cassation a considéré que les fautes « ont toutes deux concouru à la réalisation du dommage […] à hauteur respectivement de 70% […] et 30% ». Elle admet donc un partage de responsabilité, dont le fondement est différent selon la faute de chacun.
La faute commise par l’assistant ne pouvait pas être considérée comme exclusive de la responsabilité contractuelle de l’assisté au titre de ses propres manquements à l’égard de la victime. En conséquence, la réparation à la charge de l’assisté devait être limitée dans la proportion fixée par la cour d’appel.
super compréhensible, merci beaucoup !