Quel est l’intérêt de l’arrêt Mercier du 20 mai 1936 rendu par la Cour de cassation ?

Arrêt Mercier

L’arrêt Mercier rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 1936 a instauré en droit civil une responsabilité de nature contractuelle dans le domaine médical, qui permet de faire reconnaitre la faute d’un praticien lorsqu’un dommage est subi par un patient dans le cadre d’un acte médical.

La jurisprudence de l’arrêt Mercier est devenue notoire en ce qu’elle érige une obligation contractuelle de moyens pesant sur le praticien. Cette obligation est contenue dans le contrat médical qui lie le praticien et son patient.

Elle engage un médecin à mettre tout moyen raisonnable en œuvre pour atteindre le résultat recherché lorsqu’il procure des soins médicaux. L’absence de diligence d’un médecin dans la pratique de son activité peut donc entrainer l’engagement de sa responsabilité civile.

L’arrêt Mercier est l’un des arrêts constituant le point de départ d’une jurisprudence en constante évolution sur la question de la faute et de la responsabilité médicales. Le législateur est aussi intervenu à plusieurs reprises après l’arrêt Mercier pour encadrer les régimes de responsabilité dans divers cas de dommages subis par des patients. L’intérêt de l’arrêt Mercier demeure pour comprendre la position jurisprudentielle qui préexistait.

Arrêt MercieR : Les faits et la procédure

En 1925, la dame Mercier est atteinte d’une affection nasale. La patiente est traitée par le docteur Nicolas, radiologue, au moyen d’un traitement par rayons X. Suite à ce traitement, une radiodermite des muqueuses de la face est diagnostiquée chez la patiente.

En 1929, les époux Mercier intentent une action en dommages-intérêts pour la somme de 200 000 francs contre le docteur Nicolas, estimant que la maladie qui s’est déclarée est due à une faute imputable à ce dernier, responsable de l’opération.

Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Mercier

Le défendeur forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix le 16 juillet 1931. Il reproche à la cour d’appel d’avoir refusé d’appliquer la prescription triennale de l’article 638 du Code d’instruction criminelle (remplacé par le Code de procédure pénale en 1958), en considérant que l’action civile intentée par le demandeur relève d’un contrat conclu antérieurement entre le docteur et ses patients, et non du délit de blessures par imprudence qu’aurait commis le praticien.

Selon la cour d’appel, le contrat imposait au médecin l’obligation de donner « des soins assidus, éclairés et prudents » à ses patients.

D’après le pourvoi du défendeur, ledit contrat ne comporte pas d’assurance contre tout accident causé involontairement. Il entend faire admettre que la responsabilité du médecin est fondée sur une faute délictuelle, qui déclenche l’application du Code pénal instituant la prescription triennale.

Dans l’arrêt Mercier, la Haute juridiction a eu à déterminer si la responsabilité du médecin ayant commis une faute causant un dommage à un patient est d’ordre contractuel ou délictuel.

La solution de l’arrêt Mercier rendue en date du 20 mai 1936

La chambre civile de la Cour de cassation se prononce dans l’arrêt Mercier rendu le 20 mai 1936. Elle confirme la décision de la cour d’appel d’Aix d’écarter l’application de la prescription triennale, et juge qu’un contrat se forme entre le médecin et son patient.

Selon la Cour de cassation, la convention emporte obligation pour le praticien de donner des soins « consciencieux, attentifs » et « conformes aux données acquises de la science », réserve faite de circonstances exceptionnelles. L’obligation qui pèse sur le médecin est donc une obligation contractuelle.

Puisque la relation entre le praticien et le patient est régie par un contrat comportant une obligation contractuelle, la Cour de cassation dans l’arrêt Mercier estime que la violation de cette obligation, même involontaire, relève de la responsabilité contractuelle.

Ainsi, l’action civile intentée par les époux Mercier puise son origine dans la convention préexistante entre les deux parties et entraîne l’application d’une responsabilité contractuelle à l’encontre du docteur Nicolas. La loi pénale ne trouve donc pas à s’appliquer dans l’arrêt Mercier.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

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La portée de l’arrêt Merci rendu le 20 mai 1936 par la Cour de cassation

À travers l’arrêt Mercier, la Cour de cassation crée le contrat médical et le régime de la responsabilité contractuelle médicale qui en découle. La responsabilité contractuelle médicale rend le praticien débiteur d’une obligation de moyens à l’égard du patient, qu’il ne peut pas s’engager à guérir, mais à qui il doit des soins « non pas quelconques », mais consciencieux, selon les données scientifiques disponibles.

En effet, l’obligation de moyens commande au débiteur de prendre tous les moyens raisonnables qu’offre le domaine d’activité en cause pour parvenir à la réalisation de la prestation ou de l’objet du contrat. Il ne s’engage pas à atteindre le résultat, mais est tenu de choisir les moyens les meilleurs. Le degré d’intensité est ce qui distingue l’obligation de moyens de l’obligation de résultat.

La reconnaissance de la faute médicale s’appuie sur la réunion des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile : Une faute, un dommage ainsi qu’un lien de causalité entre la faute et le dommage. La responsabilité du médecin peut être engagée s’il est prouvé qu’il a commis une faute dans son obligation de moyens, en faisant état de sa négligence par exemple, alors qu’il se doit d’être diligent. La charge de la preuve incombe au patient qui allègue avoir été victime d’une faute médicale.

Avant l’arrêt Mercier, la relation médecin/patient n’était gouvernée par aucun formalisme particulier. Dans l’arrêt Mercier, la Cour de cassation affirme que cette relation fait l’objet d’un « véritable » contrat. Elle affirme également que le fondement d’une telle relation est uniquement contractuel, et non délictuel.

La distinction entre les responsabilités contractuelle et délictuelle dans le domaine de la faute médicale a pourtant connu un revirement après l’arrêt Mercier, qui a donc perdu en pertinence après 1936. On considérait depuis l’arrêt Mercier que la responsabilité médicale est une responsabilité contractuelle.

Devant les difficultés éprouvées par les victimes à obtenir indemnisation en faisant la preuve d’une faute du médecin, la jurisprudence civile a d’abord instauré un régime de présomption de responsabilité du praticien, notamment dans les cas d’infection nosocomiale, puis une obligation de « sécurité de résultat », sans jamais établir un régime de responsabilité sans faute.

En 2002, le législateur est intervenu et a créé un principe légal de responsabilité pour faute médicale : c’est la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé que l’on appelle aussi la loi Kouchner. Les dispositions de la loi Kouchner se retrouvent dans le code de la santé publique (art L. 1142-1). Elle encadre la responsabilité médicale des professionnels et établissements de santé, toujours fondée sur une faute dont il faut faire la preuve.

L’article L.1142-1 du Code de la santé publique dispose qu’en dehors des cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnée à la quatrième partie du code de la santé publique, ainsi que tout établissement, service ou encore organisme dans lesquels sont réalisés « des actes individuels de prévention, mais aussi de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables… qu’en cas de faute ».

Pour les médecins et établissements de santé tels que les hôpitaux et les cliniques, une responsabilité sans faute est créée pour les cas d’infections nosocomiales, avec la preuve de l’existence d’une cause étrangère comme seul moyen d’exonération possible.

L’article L.1141-1 continue en ce sens : « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultants d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».

La responsabilité sans faute peut aussi être mise en œuvre pour les dommages causés par un produit de santé défectueux (Voir : la responsabilité du fait des produits défectueux) ou par les instruments que le professionnel de santé utilise dans le cadre de son activité. L’action en responsabilité contre un professionnel ou un établissement de santé se prescrit par dix ans depuis l’avènement de la loi du 4 mars 2002.

Par ailleurs, un fonds chargé d’indemniser gratuitement les victimes d’accidents médicaux lorsque ceux-ci ne résultent pas d’une faute ou lorsqu’il y a défaillance de l’assurance a été créé : c’est le fonds ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections latrogènes et des Infections Nosocomiales).

La Cour de cassation a donc abandonné le fondement de la jurisprudence de l’arrêt Mercier pour fonder la responsabilité médicale sur les textes du code de la santé publique.

L’abandon de la jurisprudence de l’arrêt Mercier a été confirmé dans plusieurs arrêts (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2010, 09-69.195).

La loi du mars 4 mars 2002 a posé les obligations mises à la charge de divers praticiens, également soumis à des codes de déontologie et décrets. Elle concerne les sages-femmes, pharmaciens et préparateurs en pharmacie, chirurgiens-dentistes, infirmiers, psychomotriciens, orthophonistes, opticiens lunetiers, audioprothésistes, ou encore les diététiciens.

Le législateur a également opéré un mouvement d’unification des responsabilités contractuelle et délictuelle, avec les législations sur les victimes d’accidents de la circulation (loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite loi Badinter), ou sur la responsabilité du fait des produits défectueux (loi n°98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux). L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile (29 avril 2016) relativisait et réorganisait déjà les deux régimes de responsabilité.

Plus récemment, en 2018, la Cour de cassation a encore précisé les contours de la responsabilité médicale (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 avril 2018, 17-15.620). En l’espèce, une femme enceinte est suivie par un gynécologue obstétricien exerçant à titre libéral.

Elle accouche d’un enfant en état de mort apparente, présentant des séquelles cérébrales. Des expertises médicales sont conduites par le demandeur. Elles concluent à l’exigence pour le praticien, qui n’a pas été diligent, de procéder à une césarienne d’urgence.

Les parents de l’enfant intentent une action en responsabilité civile contre le praticien. Le praticien conteste sa responsabilité et produit une expertise judiciaire ainsi que plusieurs avis médicaux, tendant à remettre en cause les conclusions de l’expertise du demandeur sur la nécessité de pratiquer une césarienne d’urgence.

Dans cette affaire, la cour d’appel de Bordeaux juge que les avis médicaux présentés par le défendeur ne sont pas recevables, datant de trois mois après la naissance de l’enfant. Elle estime que « les données acquises de la science doivent s’apprécier à la date de l’évènement examiné ».

Il s’agissait pour la Cour de cassation d’accepter ou non l’appréciation de l’existence d’une faute médicale de l’obstétricien au regard d’expertises postérieures à l’accouchement.

La Cour de cassation censure la cour d’appel au motif qu’« un professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement et qu’il incombe, alors, à des médecins experts judiciaires d’apprécier, notamment au regard de ces recommandations, si les soins litigieux peuvent être considérés comme appropriés ».

Dans l’arrêt Mercier, la Cour de cassation a recours à la notion de « données acquises de la science » pour motiver sa décision, sans détermination temporelle de leur appréciation.

Dans l’arrêt du 5 avril 2018, la Cour de cassation précise que le médecin à qui est imputée une faute médicale peut se prévaloir de données médicales postérieures à l’acte médical qu’il a effectué, au même titre que des données antérieures ou édictées à la date de l’acte médical.

Le rôle d’un expert judiciaire parait donc d’autant plus primordial pour attester de l’état des données médicales qui gouverne un acte médical litigieux. Cette décision nourrit de nouveaux débats quant à la question l’appréciation de l’existence d’une faute médicale.

Elle pourrait également soulever un déséquilibre entre les parties au litige. Si le praticien peut se prévaloir des données médicales postérieures à l’acte commis, qui a causé un dommage à un patient, ce dernier, pour établir une faute du praticien, ne peut s’appuyer que sur les données médicales disponibles à la date des soins.

Pour aller plus loin, consultez aussi nos autres guides sur les arrêts de principe en droit français en matière de responsabilité civile :

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Paul Sessouka

J’ai vraiment aimé la fiche est détaillé et lucide

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