Pourquoi l’arrêt Baby loup du 25 juin 2014 rendu par la Cour de cassation est-il un arrêt emblématique ?

Arrêt Baby loup 25 juin 2014

L’arrêt Baby Loup rendu le 25 juin 2014 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation constitue l’épilogue d’un feuilleton judiciaire fortement médiatisé digne d’un film hollywoodien. Que de scénarios, que de retournement de situations.

En raison du tollé politique que l’affaire Baby Loup a suscité, l’arrêt d’espèce qui sonne le glas de cette affaire fait probablement partie des arrêts les plus commentés du monde judiciaire de la dernière décennie tant il a marqué de son empreinte le milieu judiciaire.

Toutefois, au-delà de la tournure politique entrainée par l’arrêt Baby Loup, le présent arrêt a posé un principe général dont l’application est largement admise aujourd’hui par les juridictions.

En effet, il constitue le point de départ de l’extension du principe fondamental de la neutralité imposé dans le service public aux entreprises de droit privé.

Les faits et la procédure de l’arrêt Baby Loup

En substance dans l’arrêt Baby Loup, une femme de confession musulmane a été engagée à travers un contrat à durée indéterminée par une crèche en qualité d’éducatrice de jeunes enfants pour officier comme directrice adjointe. Ladite crèche était gérée par l’association Baby Loup, une personne morale de privé.

En mai 2003, la salariée a bénéficié d’un congé maternité suite à son accouchement suivi d’un congé parental jusqu’au 8 décembre 2008.

Pendant la période du congé, celle-ci a été informée par la directrice de la crèche de l’entrée en vigueur d’un nouveau règlement intérieur adopté le 15 juillet 2003 en vertu duquel, il était désormais interdit de se rendre à la crèche avec un foulard islamique.

Toutefois, en dépit de son information, la salariée de retour à son congé le 9 décembre 2008 se présenta dans les locaux de l’association vêtue de son foulard islamique.

Sur le champ, elle fut invitée à se changer.

Néanmoins, cette dernière déclina l’invitation. Elle fut alors convoquée pour un entretien préalable de licenciement le même jour et immédiatement mise à pied à titre conservatoire. Malgré le prononcé de sa mise à pied, la salariée se présenta à plusieurs reprises dans les locaux de l’association.

Exaspérée par son attitude, la direction de l’association décida alors de la licencier pour faute grave, licenciement qui lui fut notifié le 19 décembre 2008.

S’estimant victime d’une discrimination en raison de ses convictions religieuses, la salariée a saisi le conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie à la date du 9 février 2009 en nullité de son licenciement et en réclamant une indemnité de 80.000 €.

Parallèlement, elle a introduit une requête auprès de la Halde (la Haute Autorité de la Lutte contre les discriminations et pour l’Égalité) pour discrimination (Voir l’instruction de la requête ici). En mars 2010, celle-ci rendait sa décision condamnant la crèche pour discrimination.

Néanmoins, le 11 avril de la même année, l’autorité fut invitée à réexaminer le dossier par sa nouvelle directrice nommée quelques jours plutôt. Mais, le 2 novembre 2010, la Halde confirma sa précédente décision.

Soutenue par la nouvelle directrice de la Halde, la crèche a obtenu gain de cause au conseil de prud’hommes. En effet, dans sa décision du 13 décembre 2010, le conseil a estimé que la salariée avait fait preuve « d’insubordination caractérisée et répétée » et l’avait donc déboutée.

L’ancienne directrice adjointe de la crèche en l’occurrence la salariée a interjeté appel de la décision du conseil devant la cour d’appel de Versailles. Le 27 octobre 2011, elle fut déboutée par l’arrêt confirmatif de la cour.

Par conséquent, la salariée décida alors de se pourvoir en cassation. Le 13 mars 2011, la chambre sociale de la haute juridiction judiciaire a rendu un arrêt infirmatif en cassant et annulant celui de la cour d’appel et renvoyant les parties devant la cour d’appel de Paris.

Toutefois, le 27 novembre 2013, la juridiction de renvoi a confirmé le jugement du premier juge (conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie) du 13 décembre 2010.

Aussi, l’ex-directrice de la crèche a formé un nouveau pourvoi en cassation.

Le 16 juin 2014, ce dossier brûlant a été en urgence examiné par la Cour de cassation, mais cette fois-ci par sa formation solennelle, l’Assemblée plénière. À l’issue de son examen dans l’arrêt Baby Loup, la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet, confirmatif de l’arrêt de la juridiction de renvoi.

Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Baby Loup

En effet, dans l’arrêt Baby Loup, la requérante se fondant sur plusieurs moyens, reprochait à l’arrêt de la juridiction de renvoi de rejeter sa demande en nullité du licenciement.

Premièrement, elle alléguait que l’association Baby-Loup n’était pas une entreprise de conviction. Selon elle, pour la qualifier ainsi, cela nécessitait de cette dernière l’adhésion à une doctrine philosophique ou religieuse dont son objet serait dédié à la promotion et à la défense d’une idéologie.

Pour autant, les statuts de l’association ne définissaient que des missions dirigées vers la petite enfance, sans aucune adhésion requise à une quelconque idéologie. La défenderesse imposait seulement des principes de laïcité et de neutralité aux employés dans son règlement intérieur. De surcroît, le choix de l’entreprise de conviction devait être philosophique, idéologique ou religieux, estimait la requérante.

En conséquence, la nécessité de respecter une norme juridique ou des contraintes attachées à la nature des activités de l’entreprise ne pouvait justifier l’imposition de la neutralité aux salariés tel que motivé par la Cour d’appel lorsqu’elle évoquait la protection de la liberté de conscience, religieuse et de pensée de l’enfant ainsi que le respect de « la pluralité d’opinions religieuses des femmes dans le cadre de l’insertion sociale et professionnelle dans un environnement multiconfessionnel ».

Ensuite, la demanderesse dans l’arrêt Baby Loup avait souligné que le principe de laïcité n’était pas applicable aux salariés d’un employeur de droit privé qui ne gérait pas un service public (Pour tout savoir, cliquez ici). Donc, une entreprise de conviction restreignant la manifestation de la liberté religieuse par ses salariés sur le seul principe de neutralité ne pouvait être créée que par la loi.

Ainsi, une restriction de la liberté religieuse des salariés garantie par le Code du travail devait être justifiée comme le précise l’article L1121-1 dudit code par :

    • La nature de la tâche à accomplir
    • Doit répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante
    • Doit être proportionnée au but recherché.

En foi de quoi, la requérante avait estimé que la Cour d’appel devait rechercher l’incompatibilité entre le port du voile islamique avec son travail. Ainsi, elle avait soutenu que l’interdiction de porter un signe ostentatoire face à une obligation générale de neutralité n’était pas proportionnée.

En outre, les moyens suivants invoqués par la demanderesse alléguait que le licenciement n’était autorisé que si les convictions du salarié étaient contraires à celle de l’entreprise de conviction et non d’une faute du salarié justifiant son licenciement pour faute grave. Or dans l’arrêt Baby Loup, c’était le règlement intérieur de l’association qui imposait une conformité à la conviction de neutralité.

Ainsi, il ressortait que l’employé en désaccord avec son employeur qui invoquait une clause illicite ne saurait être fautif. Concrètement, la salariée soutenait que la différence de traitement fondée sur la religion ou la conviction d’une personne n’était pas en soi illicite.

Toutefois, une clause réduisant la protection des droits des salariés pouvait l’être. Surtout quand elle restreint le droit des personnes, le cours complet ici, ou les libertés individuelles tout en ne répondant pas aux besoins de la profession et proportionnés au but recherché par celle-ci.

A fortiori, la clause litigieuse posant une obligation générale, imprécise et absolue de neutralité et interdisant le port de signes ostentatoires comme suit : « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ». Cette dernière serait donc illicite et disproportionnée.

De plus, la requérante reprochait à la Cour d’appel d’avoir dénaturé les termes et la portée du règlement intérieur. En effet, pour elle cette dernière aurait retenu que l’application de la neutralité voulue par l’employeur était limitée aux activités en contact avec les enfants en excluant les autres, notamment celles destinées à l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulaient hors de la présence des enfants.

Le dernier grief de la requérante reprochait à l’arrêt attaqué de confirmer le licenciement alors qu’il serait discriminatoire et fondé sur la violation d’une liberté fondamentale. En effet, elle estimait que le refus de se conformer à la décision illicite de l’employeur ayant prononcé une mise à pied à titre conservatoire ainsi qu’un licenciement pour faute grave ne pouvait constituer une faute.

Dès lors, son refus de retirer son voile islamique en restant sur son lieu de travail n’aurait aucunement affecté le fonctionnement de l’association. Également, la salariée reprochait à l’arrêt de la Cour de n’avoir pas recherché si son refus exercé en application d’une liberté était constitutif d’une faute punissable disciplinairement.

Enfin, elle faisait grief à l’arrêt d’invoquer des faits autres que ceux contenus dans la lettre de licenciement en les qualifiant de « faits d’agressivité à l’égard de ses collègues ». Alors que ces derniers faits ne devraient en aucun cas pouvoir justifier le licenciement pour faute grave dont elle avait fait l’objet.

En l’espèce, le problème de droit auquel la Cour de cassation devait répondre dans l’arrêt Baby Loup était celui de savoir si le règlement intérieur d’un employeur de droit privé pouvait valablement restreindre la liberté religieuse de ses salariés.

Quelle est la solution de l’arrêt Baby Loup rendue en date du 25 juin 2014 ?

Par l’arrêt Baby Loup en date du 25 juin 2014, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation via sa formation solennelle a pu répondre à une question de droit posée par l’affirmative en rejetant le pourvoi de la salariée.

En effet, au visa des articles L1121-1 et 1321-3 du Code du travail, la Cour a posé un principe général selon lequel une entreprise privée pouvait instaurer des restrictions à la liberté d’un salarié de manifester ses convictions religieuses dès lors qu’elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, de même que proportionnées au but recherché.

Toutefois, le juge suprême de droit commun a précisé que lesdites restrictions ne devaient pas être générales et imprécises, notamment lorsqu’elles intéressent une liberté fondamentale.

Ensuite, la Cour a relevé que la cour d’appel avait fait une bonne appréciation des conditions de fonctionnement de l’association en la présentant comme « une association de dimension réduite n’employant que de 18 salariés où ceux-ci pouvait être en relation directe avec les enfants et les parents ».

Ainsi, en appliquant le principe précédemment posé au cas d’espèce elle en a conclu que la restriction de liberté de manifester sa religion comme définie dans le règlement intérieur n’avait pas un caractère général, mais était suffisamment précise et justifiée par la nature des tâches que les salariés de l’association devaient accomplir et que cette restriction était proportionnée au but recherché.

Cependant, dans l’arrêt Baby Loup, la Cour de cassation a estimé que l’association en cause n’était pas une entreprise de conviction comme l’avait qualifié la Cour d’appel.

En effet, elle a constaté que celle-ci n’avait pas pour objet de faire la promotion ou de défendre des convictions religieuses, politiques ou encore philosophiques. Pour la haute juridiction de l’ordre judiciaire, les statuts de l’association visaient le développement d’une activité liée à la petite enfance, en dehors de l’implication de toute conviction religieuse.

Considérant les motifs ci-dessus évoqués, la Cour de cassation en conclut que le licenciement de la directrice adjointe en l’espèce la demanderesse était justifiée et donc valable.

En effet, le refus de celle-ci de se plier au règlement intérieur et son entêtement à se présenter aux locaux de l’association vêtue de son foulard en dépit de sa mise à pied ont constitué une faute grave justifiant son licenciement pour insubordination et violation du règlement intérieur.

Cette solution retenue par la Cour de cassation qui tranche avec celle de son arrêt rendu par sa chambre sociale le 19 mars 2013 dans la même affaire est en effet confirmé par la jurisprudence postérieure qui admet désormais la restriction des libertés fondamentales par le règlement d’un employeur de droit privé à partir du moment où ce dernier remplit les conditions posées par la Cour dans le présent arrêt.

D’ailleurs, la justice européenne a elle aussi conforté la position de la haute juridiction judiciaire française dans son arrêt Micropole du 14 mars 2017 en estimant que la règle interne d’une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe dès lors que cette interdiction n’entraîne pas en fait un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données (Arrêt Micropole Univers du 14 mars 2017 rendu par la CJUE).

Quelle est la portée de l’arrêt Baby Loup rendu le 25 juin 2014 par la Cour de cassation ?

Cet arrêt Baby Loup de la haute juridiction judiciaire fera sans nul doute date dans l’histoire. En effet, comme précédemment évoqué, ce dernier a constitué un « déclic » pour l’extension du principe de neutralité jusqu’ici d’application seulement dans le service public au secteur privé.

En effet, le principe de neutralité est un principe fondamental du service public qui consiste en l’interdiction faite aux agents des services publics d’exprimer leurs opinions politiques ou religieuses dans l’exercice de leur mission. En fait, elle est un versant de la notion plus large de laïcité contenue dans l’article 1er de la Constitution de 1958.

Ainsi, il implique pour les concernés, la non-discrimination notamment en fonction de la race, des opinions ou activités politiques, syndicales, des convictions religieuses, philosophiques de l’agent. Ce n’est finalement autre que le respect du principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi.

? Note : En parlant de l’égalité de tous devant la loi, découvrez aussi sur notre site « L’apport de l’arrêt Barel du 28 Mai 1954 rendu par le Conseil d’État ». Faits et Procédure | Prétentions des parties | Solution | Portée. Guide complet pour votre commentaire d’arrêt !

À travers l’arrêt Baby Loup, les hauts magistrats ont érigé un principe général qui est celui de la possibilité pour tous les employeurs de droit privé de limiter dans leur règlement intérieur l’expression des libertés fondamentales, dont celles qui sont de nature religieuse à condition que cette restriction soit justifiée par la nature de l’activité accomplie et que cette limitation soit proportionnelle au but recherché (Cour de cassation, Chambre sociale, 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-23.743).

Aussi, est-il que la restriction doit être justifiée par « une exigence professionnelle essentielle et déterminée » (Cour de cassation, arrêt du 22 novembre 2017 et CJUE arrêt du 14 mars 2017, Micropole Univers).

Cette jurisprudence largement admise aujourd’hui a été codifiée dans le Code du travail à l’article L1321-2-1 par la loi Travail du 8 août 2016.

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