Quel est l’apport de l’arrêt Barel du 28 Mai 1954 rendu par le Conseil d’État ?

Arrêt Barel

L’arrêt Barel rendu le 28 mai 1954 par le Conseil d’État est un arrêt majeur de la jurisprudence administrative. Et pour cause, l’arrêt d’espèce est remarquable à plusieurs égards. Tout d’abord, c’est par l’arrêt Barel que le Conseil d’État a pour la toute première fois reconnu explicitement le principe de l’égalité de tous les Français aux emplois publics.

Ce célèbre arrêt est donc le point de départ de la reconnaissance de l’égale admissibilité de tous aux emplois publics. Ce principe devient ainsi non seulement effectif, mais surtout un droit subjectif opposable à l’administration.

Également, à travers cet arrêt Barel, le Conseil d’État érige en principe général le respect du pouvoir réglementaire. En effet, si la haute juridiction a admis que le secrétaire d’État à la présidence était dépositaire d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de fixer les conditions de participation au concours de l’ENA (École Nationale d’Administration), il prit tout de même le soin de préciser que ce pouvoir n’est pas absolu et dispensé de tout contrôle juridictionnel.

Enfin, l’arrêt Barel du 28 mai 1954 est révélateur d’un principe important en contentieux administratif. En précisant les règles relatives à la charge de la preuve ainsi que les pouvoirs d’instruction du juge administratif, le Conseil d’État a reconnu dans l’arrêt d’espèce que la procédure d’instruction devant la juridiction administrative avait bien un caractère inquisitoire.

En effet, de la lecture de l’arrêt, il ressort que ce n’est pas sur le demandeur que pèse la charge de la preuve, mais c’est au juge qu’il appartient d’ordonner les mesures d’instruction nécessaires pour compléter le dossier lorsque la requête comporte tout un ensemble de présomptions sérieuses. Le demandeur a toutefois l’obligation d’être précis et d’appuyer ses allégations des moyens de preuve en sa disposition.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Barel ?

En substance, le secrétaire d’État à la présidence usant des prérogatives qui lui sont conférées par le décret du 18 juillet 1953 a arrêté la liste des candidats admis à concourir pour l’admission à l’École Nationale d’Administration par les décisions du 3 et 7 juillet 1953. Ces dernières décisions ont refusé cinq candidatures, dont celle de M. Barel.

Toutefois, quelques jours après, la presse a fait l’écho d’un communiqué selon lequel un membre du cabinet du secrétaire d’État aurait déclaré que le gouvernement ne voulait accepter aucun candidat communiste à l’E.N.A. S’estimant victimes d’une discrimination en raison de leurs opinions politiques, les cinq malheureux décident alors de saisir le Conseil d’État compétent pour statuer sur le litige.

Dans l’arrêt Barel, le Conseil d’État a fait droit à leurs requêtes, mais en les joignant puisque celles-ci tendent toutes à juger les mêmes questions. Statuant par une seule décision le 28 mai 1954, la haute juridiction administrative décide d’annuler les décisions du secrétaire d’État.

Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Barel

Dans le cas d’espèce, il est fait grief aux décisions du secrétaire d’État de refuser la participation des requérants aux examens de l’École Nationale de l’Administration à cause de leurs opinions communistes.

En effet, dans cet arrêt Barel, ces derniers allèguent qu’ils n’ont été éliminés de la liste arrêtée par le secrétaire d’État relativement aux candidats admis à passer les épreuves du concours d’admission à l’ENA qu’en raison de leurs opinions politiques. Pour ce faire, ils présentent à la Haute juridiction, des circonstances et de faits que ce dernier juge, précis et constituant des présomptions sérieuses dans cette affaire.

Ici, le Conseil d’État dans l’arrêt Barel devait s’interroger sur la validité du refus d’autorisation de participation d’un candidat à un concours en raison de ses opinions politiques.

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Quelle est la solution de l’arrêt Barel rendue en date du 28 mai 1954 ?

Au problème de droit soulevé dans l’arrêt Barel, le Conseil d’État a répondu par l’affirmative en annulant les décisions du secrétaire d’État. De la solution retenue par le juge suprême administratif se dégagent trois constats qui ne sont pas du tout anodins.

  • Premièrement, le Conseil d’État ne remet pas en cause le pouvoir discrétionnaire dont le secrétaire d’État est dépositaire pour la détermination des conditions de participation aux concours de l’ENA, qu’il s’agisse du « nombre de places mises au concours, de la date d’ouverture des épreuves ou de la liste des candidats admis à y prendre part ».

C’est une interprétation tout à fait compréhensible.

Puisque, le secrétaire d’État tient cette attribution du décret du 18 juillet 1953 précité. Donc, à moins de méconnaître une base légale qui fonde la compétence de ce dernier quant à l’établissement de la liste des candidats admis à concourir aux examens de l’École Nationale d’Administration, le Conseil d’État ne peut en prétendre autrement.

S’il ne peut remettre le pouvoir discrétionnaire du secrétaire d’État résultant d’un bien fondé en droit, le Conseil d’État peut toutefois apprécier son étendue. C’est ce que ce dernier a fait dans l’arrêt Barel.

En effet, tout en reconnaissant qu’il existe un pouvoir discrétionnaire en la personne du secrétaire d’État qui lui permet d’arrêter « la liste des candidats » et ce, dans « l’intérêt du service, si les candidats présentent les garanties requises pour les fonctions auxquelles donnent accès les études poursuivies à l’ENA » et en tenant compte « de faits et manifestations contraires à la réserve que doivent observer les candidats », le Conseil d’État juge tout de même dans cette affaire que ce pouvoir ne peut s’exprimer que dans la limite du respect du principe de légalité.

Ainsi, par la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire dont dispose le secrétaire d’État pour déterminer et fixer les conditions de participation au concours de l’ENA, le juge administratif confirme explicitement son arrêt fameux arrêt Bouteyre du 10 mai 1912, qu’il est venu reconfirmer dans son arrêt El Haddaioui du 10 avril 2009.

Dans ces deux arrêts, le Conseil d’État a en effet estimé avec vigueur que l’usage du pouvoir discrétionnaire par son détenteur légal ne peut méconnaître le principe de l’égal accès de tous les citoyens aux emplois publics.

  • Deuxièmement, par le présent arrêt Barel, la haute juridiction administrative érige un principe général du droit devenu incontournable au fil du temps. De ce fait, il s’est appuyé sur les fondamentaux des arrêts Trompier-Gravier du 5 mai 1944 et de l’arrêt Aramu du 26 octobre 1945 qui auront consacré l’existence des PGD en droit français (Principes généraux du Droit).

Ce n’est pas sans importance pour l’arrêt d’espèce. En effet, les principes généraux du droit sont des principes non écrits, c’est-à-dire non expressément formulés dans des textes, mais qui, une fois dégagés et consacrés par le juge, s’imposent à l’Administration dans ses diverses activités. Pour ce faire, les juges puissent non seulement de leur sagesse et connaissance du droit, mais aussi des pratiques consacrées en droit comparé.

C’est ce qui fait de l’arrêt Barel un arrêt important. Puisqu’en érigeant dans l’arrêt d’espèce, le principe de l’égal accès aux emplois publics en PGD (principe général du droit), la juridiction suprême de l’ordre administratif affirme avec rigueur que désormais, aucune discrimination quelle qu’elle soit, qui ne serait pas justifiée par « l’intérêt du service désiré par le candidat ou le souci de l’efficacité de l’administration » ne pourrait être admise. Ce n’est pas surprenant puisque les principes généraux du droit s’imposent à l’Administration telle que nous l’avons relevé précédemment.

À rappeler aussi que depuis l’arrêt Dehaene du 7 juillet 1950, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a un caractère de principe général du droit (PGD).

D’ailleurs, la force obligatoire de ces PGD a été fortement rappelée par une jurisprudence constante du Conseil d’État (CE, Arrêt AJDA du 8 juillet 200 ; CE, arrêt Sté KPMG et autres du 24 mars 2006 et CE, arrêt Mme Sadlon du 25 septembre 2013 par exemple).

D’où, il ressort que l’arrêt Barel est révolutionnaire en ce qu’il a rendu effectif le traitement égal des candidats concourant aux emplois publics.

Cependant, il convient de souligner qu’évoquant l’égalité d’accès de tous aux emplois publics, le Conseil d’État se réfère aussi à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel précise que tous les citoyens sont égaux et sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents […]».

En effet, le Conseil a jugé que le requérant, en l’espèce les requérants, n’est pas tenu d’apporter la preuve de ce qu’ils allèguent « mais doit seulement se montrer précis et réunir, à l’appui de ses allégations, tous les moyens de preuve dont il peut disposer », donc, un début de preuve suffit.

Néanmoins, il faut noter que depuis l’arrêt du 21 décembre 1960 Vicat-Blanc, cette exigence de commencement de preuve n’est plus de mise. Le Conseil d’État n’exige plus que la requête présente des « présomptions sérieuses ».

Cela est lourd de conséquences. En effet, en exemptant le requérant de la charge de la preuve (Plus de détail via l’article 1353 du Code civil), le Conseil d’État laisse entendre que c’est au juge d’instruire le dossier en vue d’apprécier son bien-fondé. Pour ce faire, il dispose comme le précise le Conseil d’État du : « pouvoir d’exiger de l’Administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations ».

Mais, depuis l’arrêt du 26 janvier 1968 Société Maison Genestal, cette injonction limitée à la production des dossiers a été élargie aux « raisons de fait ou de droit » ayant motivé la décision de l’Administration.

Revenons-en au fait de l’arrêt Barel. La haute juridiction administrative a demandé au secrétaire d’État de produire les dossiers sur lesquels il a fondé sa décision. N’ayant pas satisfait à sa demande, le Conseil en a conclu que les allégations des requérants constituaient des « présomptions sérieuses ». Par conséquent, il a annulé la décision du secrétaire d’État.

En effet, la haute juridiction administrative a estimé qu’il ressortait « que le motif allégué par les auteurs des pourvois doit être regardé comme établi » et qu’ainsi « les requérants sont fondés à soutenir que les décisions déférées au Conseil d’État reposent sur un motif entaché d’erreur de droit » ce qui justifiait la demande d’annulation pour excès de pouvoir.

L’expression « qu’il ressort » est en soi assez significative. En fait, elle met ici en exergue le pourquoi même de la motivation du Conseil d’État. Le secrétaire d’État ayant refusé de fournir les dossiers ayant motivé sa décision qui auraient pu éclairer la haute juridiction, cette dernière a fait droit aux demandes des requérants. Ainsi, a-t-il retenu que « leurs interventions sont recevables » d’autant plus que les « groupements intervenants ont intérêt à l’annulation des décisions attaquées ». D’où l’annulation de la décision du secrétaire d’État.

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Quelle est la portée de l’arrêt Barel rendu le 28 mai 1954 par le Conseil d’État ?

De toute évidence, l’arrêt Barel constitue une véritable révolution en ce qu’il a amorcé l’effectivité d’un principe qui, malgré qu’il ait été prévu par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, était jusqu’ici lettre morte. Il s’agit en l’occurrence du principe de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois publics.

Cette jurisprudence est largement admise de nos jours. Elle a d’ailleurs été élargie à toutes les formes de discriminations en vue de tenir compte de diverses situations. C’est ainsi que dans deux autres arrêts, la juridiction suprême de l’ordre administratif a vigoureusement condamné les traitements discriminatoires dans l’armée de terre et de l’air en annulant un décret qui limitait le nombre d’élèves de sexe féminin dans les effectifs (CE, Arrêt Mlle Aldige du 11 mai 1998 et CE, Mlle Martel du 29 décembre 1993).

Aussi, le même juge a, par un arrêt du 10 janvier 2011, annulé une décision du garde des Sceaux ayant refusé le détachement d’un magistrat en raison de son appartenance syndicale (CE, Arrêt Mme Lévèque du 10 janvier 2011).

Toutefois, il convient de préciser ici que dans un arrêt M.Billiemaz et autres en date du 12 décembre 2003, le Conseil d’État a précisé que le principe d’égalité impose pour tous les concours d’accès aux emplois publics ne s’oppose pas pour autant à ce que les règles de recrutement qui sont destinées à permettre d’apprécier les aptitudes ainsi que les qualités des candidats à l’entrée de la fonction publique soient différenciées pour tenir compte de situations diverses, et en particulier les études suivies par eux ou leurs expériences professionnelles antérieures, ainsi que des besoins du service public.

Il en ressort que seuls les besoins du service public ainsi que le souci d’efficacité de l’administration peuvent justifier un traitement différencié des candidats aux emplois publics.

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