L’arrêt Appietto rendu en date du 20 novembre 1963 par la première chambre civile de la Cour de cassation est un arrêt majeur de la jurisprudence judiciaire, notamment en cas de nullité du mariage.
En effet, par ce dernier, la haute juridiction française de droit a marqué à travers un raisonnement subtilement construit, la distinction entre les mariages fictifs ou simulés encourant par principe la nullité et les mariages aux effets délibérément limités par les futurs époux.
Ce faisant, les seconds ont été reconnus valables par le juge, car ne poursuivant pas en réalité un but étranger à l’institution du mariage tant chère à la société dont le juge est le protecteur. C’est toute la beauté de l’arrêt Appietto sous commentaire.
En effet, ce dernier a consacré le principe suivant lequel une union contractée en vue d’obtenir un avantage particulier, intrinsèquement tributaire de l’institution matrimoniale, c’est-à-dire le mariage, n’encourt pas nullité même si les futurs époux ont entendu se soustraire de certaines obligations.
Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Appietto ?
En l’espèce, un homme et une femme ont décidé de contracter un mariage dans le seul but de légitimer l’enfant qu’ils avaient eu ensemble. En effet, le futur époux avait convenu avec sa compagne qu’il ne vivrait pas avec elle après le mariage et par conséquent, qu’il divorcerait aussitôt après l’officialisation de leur union. Toutefois, l’épouse n’a pas respecté son engagement, car celle-ci a refusé le divorce une fois l’union scellée.
Le mari a alors décidé d’agir en nullité du mariage pour défaut de consentement. Dans un arrêt confirmatif rendu en date du 9 avril 1962, il est débouté de sa demande par la Cour d’appel de Bastia au motif que le consentement n’avait pas été vicié ni par une erreur, encore moins par la violence.
En conséquence, le requérant a formé un pourvoi en cassation en vue d’obtenir la cassation de l’arrêt confirmatif d’appel et donc, indirectement, l’annulation du mariage. Le 20 novembre 1963, son pourvoi a été également rejeté par la première Chambre civile de la Cour de cassation.
Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Appietto
En effet, le demandeur soutenait que le mariage contracté était nul en raison de l’absence réelle de volonté de contracter. Dès lors, le consentement, condition nécessaire pour la validité du mariage se trouvait vicié selon ce dernier. Ainsi, il entendait obtenir auprès du juge judiciaire, l’annulation du mariage en ce que les futurs époux « n’avaient pas l’intention véritable et sérieuse de fonder une famille ».
En substance, la haute juridiction civile l’arrêt Appietto devait répondre à la question de savoir s’il était possible par convention entre les époux de limiter les effets légaux du mariage.
Quelle est la solution de l’arrêt Appietto rendue en date du 20 novembre 1963 ?
En réponse à la question de droit soulevée dans l’arrêt Appietto, la Cour de cassation a répondu par la négative.
En effet, la haute juridiction judiciaire a estimé que si un mariage peut être annulé en cas de défaut de consentement en ce que, ce dernier aurait été vicié ou ayant un « but étranger à l’institution matrimoniale », auquel cas, celui-ci reste valable lorsque les futurs époux ont voulu contracté en vue de « […] limiter ses effets légaux […] », comme c’est le cas en l’occurrence, où les époux « […] n’ont donné leur consentement que dans le but de conférer à l’enfant commun la situation d’enfant légitime ».
Ainsi, loin d’avoir un but étranger à l’institution matrimoniale, l’union d’espèce visait essentiellement à permettre aux conjoints d’obtenir un avantage particulier difficilement envisageable en dehors de l’institution matrimoniale. Par conséquent, la Cour de cassation a estimé que leur mariage était légalement fondé.
De cette solution indubitablement lourde de conséquences se dégagent deux constats majeurs d’une importance particulière. Premièrement, par l’arrêt Appietto, la Cour de cassation rappelle fortement le caractère indispensable du consentement comme condition de validité du mariage.
Ainsi, a-t-elle reconnu dans l’arrêt Appietto que la nullité du mariage peut être acquise en cas de défaut de consentement. Un consentement libre et exempt de tout vice est donc nécessaire pour la validité de toute union matrimoniale. Ce n’est nullement étonnant puisque l’article 146 du Code Civil, pose le principe en ces termes : « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».
D’ailleurs, il est d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les mariages contractés dans un but étranger à l’union matrimoniale, par exemple, en vue de permettre à l’un des époux d’obtenir la nationalité française (Cass. 1ere Civ., 6 juin1999) ou dans le seul but d’obtenir des avantages patrimoniaux (Cass. 1ere Civ., 28 octobre 2003) sont nuls.
Dans toutes ces situations, il est évident que les futurs époux n’ont pas voulu entrer dans l’institution matrimoniale puisque le but recherché n’était pas de fonder une famille, mais juste de retirer un avantage particulier lié au mariage. C’est pourquoi ces mariages ont été annulés, car fictifs ou simulés.
Secondement, la Cour de cassation dans l’arrêt Appietto a pris le soin de relever que les mariages aux effets conventionnellement limités comme c’est le cas en l’espèce n’étaient pas nuls.
En effet, s’il est vrai que le défaut de consentement constitue une cause de nullité du mariage, on peut tout de même se demander si ce dernier est vicié ou fait défaut dans l’hypothèse où les futurs époux ont entendu limiter les effets légaux de leur union. La Cour de cassation a répondu par la négative.
En effet, la haute juridiction judiciaire a jugé que le mariage aux effets conventionnellement limités était tout à fait légal. C’est ainsi qu’elle a jugé dans l’espèce que le mariage n’est pas nul « lorsque les conjoints ont cru pouvoir limiter ses effets légaux, et notamment n’ont pas donné leur consentement que dans le but de conférer à l’enfant commun la situation d’enfant légitime ».
Ainsi, la solution de l’arrêt Appietto semble raisonnable et soutenable. En effet, contrairement aux mariages fictifs ou simulés qui poursuivent un but étranger à l’union matrimoniale, les mariages dont les effets ont été délibérément limités par les conjoints cherchent à faire jouir ces derniers de certaines conséquences de l’institution matrimoniale tout en essayant de les soustraire des conséquences qui ne leur sont pas favorables.
Dans ce cas, le consentement, condition essentielle pour la validité du contrat de mariage, ne fait donc pas en réalité défaut. Seulement, les conjoints essaient d’aménager les effets de leur union suivant leurs intérêts. Tel fut le cas dans l’espèce où les futurs époux voulant légitimer leur enfant commun ont décidé de contracter mariage. On ne peut donc pas dire que le consentement faisait défaut. Les futurs conjoints cherchaient simplement à pouvoir limiter les effets de leur union.
Au-delà de la simple distinction opérée par la Cour de cassation entre les mariages fictifs ou simulés, annulables et les mariages aux effets conventionnellement limités légalement fondés en droit, la limitation des effets étant inefficace, le juge judiciaire par l’arrêt Appietto, a également rappelé le caractère institutionnel de l’institution matrimoniale.
Ainsi, la solution retenue dans l’espèce s’accommode bien avec cette acception puisqu’en déboutant M. Appietto, la Cour de cassation a reconnu que l’on ne saurait par convention se soustraire de certains effets du mariage pour en jouir d’autres.
Le mariage serait donc une institution dont les effets proviennent essentiellement de la loi et jalousement protégée par le juge. Par conséquent, les conjoints dans l’arrêt Appietto ne pouvaient en aucun cas vouloir légitimer leur enfant et se soustraire des autres conséquences résultant de l’institution du mariage.
On comprend ainsi la solution en la situant dans son contexte historique. Puisqu’en effet, à cette époque, le législateur distinguait la filiation légitime de la filiation naturelle.
Ainsi, la loi ne reconnaissait pas les mêmes droits aux enfants nés du mariage et ceux nés d’une relation extra-conjugale. Il était par exemple soutenu qu’un enfant issu d’une union extra-conjugale ne pouvait pas hériter qu’à condition d’être légitimé. La légitimation de l’enfant était donc une conséquence intrinsèquement directe du mariage. Dès lors, le mariage contracté en vue de légitimer un enfant même sans une réelle volonté de fonder une famille devait être considéré comme valable.
Cette discrimination entre les enfants dits légitimes et ceux nés d’unions hors mariage appelé avec une certaine condescendance, les enfants naturels ou illégitimes, dura jusqu’en 2005, date à laquelle l’ordonnance du 4 juillet 2005 a réformé le droit de la filiation en l’abolissant.
Raison pour laquelle, cette solution n’est plus qu’un souvenir lointain puisqu’aujourd’hui, il n’existe plus de différence entre la filiation naturelle et la filiation légitime. Les enfants nés d’une union extra-conjugale ont désormais les mêmes droits que ceux nés d’une union conjugale.
Quelle est la portée de l’arrêt Appietto rendu le 20 novembre 1963 par la Cour de cassation ?
Si l’arrêt Appietto du 20 novembre 1963 sous commentaire est intéressant pour nourrir la réflexion sur l’évolution de la jurisprudence en droit de la famille par la recherche et l’appréhension des différentes fluctuations qu’elle a subies dans le temps, celui-ci ne semble plus être qu’une réalité d’une autre époque. En effet depuis 2005, au nom de l’égalité des enfants à l’héritage, il n’est plus fait de distinction entre les enfants issus d’une relation conjugale légalement formée et ceux d’une relation extra-conjugale. Tous les enfants, du fait de la loi, ont désormais droit à l’héritage.
D’ailleurs, depuis la Convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage de 1975, cette discrimination entre les enfants avait été dénoncée et interdite même s’il a fallu attendre en France 2005 pour qu’une loi intervienne pour l’abolir et établir l’égalité entre les enfants. D’ailleurs, depuis l’arrêt Mazurek du 1er février 2000, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît les droits successoraux identiques à tous les enfants qu’ils soient issus d’une filiation autrefois dite légitime ou naturelle.