C’est quoi le privilège du préalable ?

Privilège du préalable

Le privilège du préalable qui est encore appelé aujourd’hui le privilège d’action d’office consiste en la possibilité pour l’administration d’user de ses prérogatives en contraignant les administrés à appliquer ses décisions en toutes circonstances, même si celles-ci semblent résulter d’un acte illégal.

Ainsi, les destinataires de la décision administrative n’ont d’autres choix que d’obtempérer et d’appliquer la décision, tant que l’annulation de la décision n’a pas encore été prononcée par une juridiction.

En effet, en droit français, il n’est pas possible de se rendre justice soi-même. Il faut obligatoirement passer par le canal d’un juge qui délivrera un titre exécutoire par lequel le justiciable peut avoir gain de cause, mais aussi perdre le procès. Il n’en est pas ainsi pour l’administration. Elle n’a pas besoin du consentement des administrés ni de leur accord avant de prendre des décisions et celles-ci sont exécutoires de plein droit. C’est ce qui explique le privilège du préalable reconnu à l’administration.

Un fait intéressant à savoir : c’est que l’un des critères principaux qui permettent d’établir la distinction entre le droit public et le droit privé est justement le fait que ce privilège du préalable existe pour l’administration et certaines personnes publiques qui la composent lorsque celles-ci prennent des décisions. Il n’en est pas ainsi pour les personnes privées qui ne disposent d’aucun privilège du préalable.

Dans ce cours de droit en ligne gratuit de Partiels-droit, nous vous donnerons toutes les informations à connaître sur la notion du privilège du préalable. Ainsi, la première partie sera consacrée à la définition du privilège du préalable. Puis dans une seconde partie, nous expliquerons son régime juridique.

Présentation du privilège du préalable

Définition du privilège du préalable

La définition du privilège du préalable

Lorsqu’on parle du privilège du préalable, il s’agit de l’opportunité offerte à l’administration de contraindre l’ensemble des administrés par ses décisions et contre leur gré, sans demander au juge de lui en donner l’autorisation au préalable. La volonté de l’administration qui est imposée aux administrés a donc un caractère unilatéral.

Ainsi, lorsque l’acte administratif est pris, les administrés doivent obtempérer en se conformant à ce que prévoit cet acte même s’ils sont contre la décision (Voir : l’acte administratif unilatéral pour aller plus loin et la différence avec les autres types d’actes administratifs).

Toutefois, puisque la France est un État de droit, les administrés ont la possibilité de contester la décision devant le juge administratif a posteriori de l’exécution de la décision administrative.

Néanmoins, il faut savoir que la décision contestée sera toujours applicable et le recours devant le juge ne rendra pas suspensive la décision. Le juge analysera la légalité de la décision que contestent les administrés et décidera s’il faut la suspendre ou non.

C’est dans ce sens que le doyen Maurice Hauriou a conclu qu’en droit administratif, il faut considérer l’administration comme étant son propre juge. Ceci se justifie en ce sens que ses décisions qui s’imposent aux administrés sont comparables aux jugements rendus par le juge. En effet, c’est le doyen Hauriou qui a utilisé et expliqué pour la première fois la notion du privilège du préalable.

Les avantages du privilège du préalable

On peut se poser la question de savoir l’intérêt que revêt le privilège du préalable pour l’administration. Pour y répondre, nous allons analyser un arrêt du Conseil d’État rendu en date du 2 juillet 1982. Il s’agit de l’arrêt Huglo.

Dans cet arrêt, la haute juridiction a reconnu que le privilège du préalable constituait l’un des socles sur lesquels reposent les règles du droit public. Il s’agit d’une règle fondamentale qui est devenue incontournable dans le domaine du droit administratif.

Intérêt du privilège du préalable

L’administration doit nécessairement réaliser des missions qui ont une utilité publique. Pour ce faire, il est important de la doter de moyens adéquats et suffisants en vue de remplir ces missions dont le but final est la satisfaction de l’intérêt général.

Dans cette optique, il n’est bien évidemment anormal que des intérêts particuliers viennent bloquer les décisions administratives parce que les personnes privées ne sont pas au-dessus de l’intérêt général assuré par l’administration. C’est pourquoi le législateur a mis en place le privilège du préalable à la portée des autorités administratives en vue de faire passer en force les actes administratifs.

L’autre versant de l’avantage lié au privilège du préalable est qu’aucune autorité administrative ne peut refuser d’utiliser ce privilège en comptant sur le juge pour l’exercer par le biais d’une décision. C’est ce qui est confirmé par l’arrêt du Conseil d’État rendu le 30 mai 1913.

Par cette jurisprudence, l’arrêt de la haute juridiction confirme que l’autorité administrative a une obligation solennelle de recourir au privilège du préalable lorsque le besoin se fait sentir.

** Voir aussi : Notre cours complet sur la responsabilité administrative. Nous vous livrons dans ce cours : La définition et l’Origine | Les différents types et conditions d’engagement ! **

L’organisation du privilège du préalable

Le contenu du privilège du préalable

Le principe du privilège du préalable fait ressortir deux éléments importants. D’abord, les droits propres qui appartiennent à l’administration et ensuite l’effet exécutoire que revêtent les décisions prises par l’administration.

La réalisation par l’administration de ses droits

À ce niveau, il faut préciser que l’administration est toute puissante : on dit qu’elle dispose de la puissance publique. Elle a la prérogative d’utiliser ses propres moyens en vue de résoudre des questions juridiques qui se posent à elle.

Autrement dit, l’administration peut lancer la réalisation de ses droits sans passer le canal du juge administratif ou même du juge judiciaire. Il s’agit des prérogatives de puissances publiques.

La décision de l’administration est exécutoire

Toute décision administrative est appelée à entrainer un changement dans une situation juridique préexistante. On dit qu’elle produit des effets de droit. Par ailleurs, la caractéristique principale des décisions administratives est qu’elles sont exécutoires.

Application du privilège du préalable

Le privilège du préalable peut être appliqué face à toute personne de droit privé avec qui l’administration est en relation que ce soit dans une relation contractuelle (marché public, réalisation d’ouvrage public, etc.) ou dans une relation extra contractuelle.

Lorsque le particulier résiste face à la décision de l’administration et ne veut pas l’appliquer, l’administration ne peut pas recourir à la force de façon automatique.

L’exécution forcée de la décision administrative n’est possible que dans des cas limitativement prévus par la loi. D’abord, il faut qu’il existe une disposition réglementaire ou légale qui confère à l’administration le droit explicite de recourir à l’exécution forcée de sa décision contre l’administré.

Ensuite, si l’administration fait face à un cas urgent comme un péril imminent, elle peut aussi contraindre de force les administrés. Hormis ces cas, l’administration n’a plus de possibilité pour contraindre manu militari les administrés qui ne mettent pas en pratique ses décisions. Cependant, ceux-ci, en agissant de la sorte, se verront sanctionner par le juge.

Par ailleurs, le fait que les deux parties soient toutes des personnes publiques n’empêche pas le privilège du préalable d’exister. Autrement dit, une personne publique peut faire jouer le privilège du préalable à l’encontre d’une autre personne publique.

Cependant, précisons tout de même que lorsque ce privilège met en relation deux personnes publiques, il est exigé que soit respecté un principe hiérarchique entre les deux.

Toutefois, deux administrations situées sur le même ordre ne peuvent pas faire jouer le privilège du préalable l’une à l’égard de l’autre. De même, lorsqu’une administration ne dispose que d’un simple contrôle de légalité ou de tutelle sur une autre, elle ne peut faire jouer le privilège du préalable contre celle-ci.

Le régime juridique du privilège du préalable

Les effets du privilège du préalable

La légalité des actes de l’administration

L’effet principal du privilège du préalable est la légalité de tous les actes administratifs. Toutefois, le principe de légalité auquel est aussi soumise l’administration est très encadré.

Toute décision de l’administration est présumée légale

Il n’est pas obligatoire pour l’administration que ses décisions soient conformes au droit avant de les prendre et de les mettre en vigueur. Elles sont supposées être légales et d’application immédiate, même les décisions tendant à susciter des controverses chez les administrés. Autrement dit, on ne peut douter de la légalité d’un acte ou d’une décision émanant de l’autorité administrative.

Toutefois, cette légalité n’est pas sans limites : personne, ni même l’administration ne peut enfreindre les lois de la nation. Ainsi, a posteriori les actes administratifs peuvent être annulés par décision du juge. C’est pourquoi celle-ci a le devoir de prendre des actes légaux (et donc de vérifier que ses décisions sont conformes au droit avant de prendre une décision pour éviter que celle-ci soit annulée par la suite).

Toute décision de l’administration est soumise au principe de légalité

L’administration est soumise elle-même au principe de légalité : malgré que ses décisions soient supposées légales, l’administration n’est pas au-dessus de la loi. Elle doit respecter la hiérarchie des normes et ne pas prendre des décisions manifestement contraires à la légalité interne, ou à la légalité externe telle que prévu par la hiérarchie des normes juridiques présentée par le schéma ci-dessous.

Ainsi, une décision de l’administration qui est illégale va courir l’annulation devant les juridictions, et dans le cas où elle va à l’encontre des droits fondamentaux ou qu’elle brime une liberté fondamentale, elle encourt la censure du Conseil constitutionnel. C’est de ce principe que naissent les différents recours contentieux contre l’administration auprès des juridictions administratives.

Les actes de l’administration sont exécutoires dans l’immédiat

Le second effet du privilège du préalable est lié à l’exécution de la décision de l’administration : elle doit être immédiate et sans controverse pour tous les administrés.

Ces décisions ou actes administratifs sont comparables à des mesures d’ordre public qui doivent être exécutées de façon immédiate. La seule contrainte préalable pour la personne publique est de publier les décisions ou d’en faire la notification aux administrés, mais une fois ce cap passé, peu importe que la décision soit attaquée ou non, elle doit être respectée.

Les administrés peuvent en démontrer l’illégalité plus tard au niveau de la justice administrative, c’est-à-dire auprès d’un tribunal administratif ou d’une Cour administrative d’appel, mais ils doivent d’abord exécuter la décision attaquée.

La décision de l’administration n’est pas suspendue d’office

Quel que soit le type de recours contre la décision de l’administration, la décision attaquée n’est pas suspendue automatiquement.

En effet avant de lancer un recours auprès d’une cour administrative, les administrés peuvent faire un recours administratif. Ils ont la possibilité de demander à l’administration elle-même, à travers un recours gracieux ou hiérarchique de suspendre la décision illégale. Ce recours n’a pas d’effet suspensif de la décision contestée.

S’ils n’ont pas gain de cause, ils peuvent saisir le juge administratif par le biais d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un recours de pleine juridiction. Le premier servira à vérifier si l’acte administratif est bien légal, le second permettra en plus de soumettre l’administration à une astreinte ou au paiement de dommages et intérêts aux administrés dont les droits ont été lésés.

Mais, quelles que soient les voies de recours, tant que l’annulation de l’acte administratif n’est pas prononcée par le juge, il continue de courir. Autrement dit, le juge ne peut prononcer un sursis à exécution lorsque la demande d’annulation lui est présentée par le justiciable.

La procédure de contestation du privilège du préalable

En considération des points mentionnés ci-dessus, c’est la sanction d’un acte administratif par le juge administratif qui permet à l’administré de ne pas être contraint à l’appliquer. La saisine du juge en vue de faire tomber le privilège du préalable dont dispose l’administration obéit à une procédure précise qui est différente de la procédure civile.

En la matière, l’administré qui est le requérant sera considéré auprès de la juridiction administrative comme étant le demandeur, ce qui fait de l’administration le défendeur de la requête en annulation.

Par ce fait, qui déroge au droit commun, c’est sur la tête de l’administré, qui a introduit les requêtes, que va peser la charge de la preuve qu’il y a une violation des lois et règlements ou qu’il y a un excès de pouvoir de l’administration lors de la prise de la décision.

Par ailleurs, le code de justice administrative a prévu des délais de recours qui doivent être respectés par les administrés au risque de ne pas voir leur demande recevable par les tribunaux administratifs.

Les limites au privilège du préalable

Le privilège du préalable dont dispose l’administration connait certains tempéraments notamment par rapport au fait que le juge ne peut suspendre la décision prise.

Contexte du référé suspension

Ne pas donner la possibilité aux administrés de faire arrêter l’exécution de certaines décisions de l’administration, c’est permettre à l’administration d’agir de façon arbitraire, ce qui peut entrainer de graves conséquences parfois irréversibles pour les administrés.

En effet, certaines décisions ou actes administratifs unilatéraux, même déclarés illégaux a posteriori ne feront jamais rentrer les administrés dans leur droit.

Dans ce contexte, il est primordial que le juge administratif puisse statuer en demandant un sursis ou une suspension de l’acte administratif qui fait l’objet de contestation. D’ailleurs, il s’agit, selon le Conseil constitutionnel d’un principe important qui est à valeur constitutionnelle et dont dispose tout citoyen français.

C’est dans le but de protéger les libertés fondamentales que le référé suspension a été mis en place par la loi du 30 juin 2000. Cette loi porte sur la possibilité d’un référé ouvert à tout administré face aux décisions de l’administration et à son privilège du préalable.

Le fonctionnement du référé suspension

Il faut considérer l’article L521-1 du code de justice administrative pour mieux comprendre comment fonctionne le référé suspension. Selon cet article certaines conditions doivent être respectées avant que le référé ne puisse être exercé.

L’existence d’une voie de recours préalable

Il est nécessaire avant que le référé soit introduit qu’il y ait eu d’abord un recours en annulation ou un recours en réformation de l’acte administratif. Il est aussi important à ce niveau de préciser que la question de la recevabilité du recours doit être réglée.

Si le recours en réformation est irrecevable, il n’existe pas de possibilité pour le requérant d’utiliser la voie des référés. Par ailleurs, il faut un respect du délai de recours auprès des cours et tribunaux administratifs.

L’urgence de la situation

Il faut que le litige (celui que l’administré porte devant les tribunaux), présente un caractère urgent. Autrement dit, si le juge n’intervenait pas, une situation irréparable ou irréversible pourrait ainsi se produire au désavantage du justiciable.

L’existence d’un doute sérieux par rapport au caractère légal de la décision

Le code de justice a également prévu qu’il doit exister un doute sérieux relatif au fait que l’acte administratif semble ne pas être conforme au droit.

C’est seulement lorsque ces différentes conditions sont établies que le juge des référés va procéder à la suspension de la décision contestée. Il le fait par le biais d’une ordonnance qui intime l’injonction à l’administration de suspendre sa décision. Il en ressort clairement que c’est l’ordonnance prise par le juge des référés qui permet de rendre suspensif la décision administrative contestée et non le recours introduit par l’administré.

Dès que la suspension est ordonnée par le juge des référés, les tribunaux administratifs vont statuer sur la requête initiale en annulation ou en réformation de l’acte administratif. Une fois qu’un jugement est rendu par rapport à ce recours, la suspension est levée et elle prend fin.

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