Qu’est-ce qu’un double degré de juridiction ?

Double degré de juridiction

Le double degré de juridiction est issu de la possibilité qu’offre le droit français à tout requérant de porter une affaire déjà jugée devant une autre juridiction du même ordre, mais d’un degré plus élevé. En effet, rendre justice n’est pas chose aisée, surtout lorsqu’on sait que la prérogative visant à trancher les litiges revient aux hommes.

Il arrive ainsi que les décisions rendues soient entachées d’erreurs. Or, le but poursuivi par le droit et la justice plus particulièrement consiste à mettre fin aux conflits entre des personnes. De ce fait, pour réduire considérablement les chances pour l’appareil judiciaire de connaître des erreurs, le droit français admet un principe permettant aux justiciables de se faire entendre de nouveau devant les juridictions et par d’autres magistrats : c’est le principe du double degré de juridiction.

Cependant pour que le double degré de juridiction soit possible, il faut que la décision de justice soit d’abord contestée, qu’elle ne soit pas irrecevable devant la juridiction supérieure compétente pour la connaitre à nouveau. Une fois ces conditions réunies, un effet suspensif est attaché à la première décision jusqu’à ce que ne soit rendue la nouvelle décision.

Dans le présent article, nous avons pour tâche d’expliquer ce qu’est le double degré de juridiction en droit français. Afin de cerner la quintessence du principe du double degré de juridiction, nous revisiterons successivement l’architecture juridictionnelle française, ensuite nous évoquerons la procédure requise en cas d’application du double degré de juridiction. Nous nous pencherons également sur la consécration du double degré de juridiction devant les instances pénales.

Présentation générale du double degré de juridiction

Puisqu’il est important de comprendre le sujet, et avant de pouvoir justifier le principe du double degré de juridiction (2), une clarification conceptuelle est de rigueur (1).

Clarification conceptuelle

Le degré de juridiction fait référence à la place d’une juridiction dans l’organisation judiciaire. Ainsi, on dit que l’ancien tribunal de première instance, de même que l’ancien tribunal grande instance (TGI) aujourd’hui réunis au sein du tribunal judiciaire, sont ceux du premier degré tandis que, la cour d’appel serait considérée comme une juridiction du second degré.

En considération de ce préalable, le double degré de juridiction est conçu comme une procédure pouvant permettre aux justiciables (qu’ils se soient constitués partie civile ou non), de soumettre un litige auquel ils sont parties, à un juge autre que celui des tribunaux d’instance. Autrement dit, le justiciable porte une affaire déjà connue auprès d’une nouvelle juridiction compétente pour statuer à nouveau.

Ce nouveau magistrat compétent est appelé à statuer en fait et en droit. Le justiciable pourra, en vertu du principe, contester les décisions rendues contre lui en dernier ressort jusqu’en cassation (devant la Cour de cassation), considérée comme la plus haute juridiction dans l’ordonnancement judiciaire du droit français. Le schéma ci-dessous présente l’application du principe du double degré de juridiction.

Cependant, posons-nous une question simple, qu’est-ce qui peut motiver l’application du principe du double degré de juridiction ?

Pourquoi le principe du double degré de juridiction ?

Le double degré de juridiction est un principe juridique, d’abord applicable en procédure civile, puis également en matière pénale. Il faut dire que plusieurs raisons sous-tendent le maintien du principe et son respect scrupuleux.

En 1850, Achille MORIN soulignait que sous la République, le principe du double degré de juridiction, matérialisé par le droit d’appel restreint à l’époque aux litiges touchant la matière civile, était « une institution politique ayant pour but de centraliser les pouvoirs ». Si le principe est resté, ses motivations ne sont évidemment pas pareilles. Concrètement, le principe est conservé afin de réduire considérablement les erreurs judiciaires.

Partant du fait que l’examen d’une affaire par plusieurs juges évite les éventuelles erreurs, le législateur français n’a pas trouvé opportun de se séparer du principe. Une décision rendue, et soumise à un second examen au fond, a dès lors moins de chance d’être sujette à des erreurs. Son opportunité s’est logiquement renforcée au fil du temps, étant donné que dans toutes les matières du droit civil le double degré de juridiction est applicable.

Par ailleurs, aussi bien le droit privé (que l’on soit en procédure pénale ou en procédure civile), que le droit public, font application du double degré de juridiction devenu principe juridique à l’instar des autres règles de droit.

La contestation des jugements rendus en toute légalité est possible grâce à l’organisation juridictionnelle française qu’il est important de présenter.

L’organisation judiciaire française

L’application du principe du double degré de juridiction repose entièrement sur le fonctionnement de l’organisation juridictionnelle en France, permettant une hiérarchisation des juridictions (1). Cette hiérarchisation induit une catégorisation des juges (2).

Les degrés de juridiction

Dans le système judiciaire français, les juridictions de droit commun sont organisées en deux ordres. D’une part l’ordre judiciaire, avec pour compétence les différends qui opposent les personnes entre elles (il peut s’agir de contentieux civils ou des infractions punissables par le droit pénal).

D’autre part, nous distinguons l’ordre administratif dont la compétence tourne autour du contentieux administratif. Chacun de ces deux ordres est structuré de façon à faire respecter le principe du double degré de juridiction. Chacun de ces ordres disposent également des juridictions spécialisées qui sont compétentes pour recevoir les litiges susceptibles d’appel.

Au niveau des juridictions de l’ordre judiciaire, on distingue d’abord les juridictions du premier degré, représentées par : les anciens tribunaux de grande instance, les anciens tribunaux d’instance, le tribunal de commerce, le conseil de prud’hommes, le tribunal de police, le tribunal correctionnel.

Ensuite viennent les juridictions du second degré qui ne sont rien d’autre que les cours d’appel. Cependant, au-dessus de ces deux degrés, on a la Cour de cassation française qui n’est pas un troisième degré de juridiction, mais plutôt la plus haute juridiction dans la hiérarchisation des cours et tribunaux. Pour former un appel devant une cour d’appel, il faut respecter les délais et passer par l’une des juridictions de droit commun du premier degré.

Relativement à l’ordre administratif, ce sont les tribunaux administratifs et les cours  administratives d’appel qui représentent respectivement le premier et le second degré de juridiction. Le Conseil d’État fait ensuite office de « Cour suprême » en matière administrative. Parallèlement à ce qui précède, cette haute juridiction ne constitue pas non plus un troisième degré de juridiction.

Toutefois, la particularité au niveau des tribunaux administratifs est que par le jeu du procédé du référé appliqué pour les cas urgents, le principe du double degré de juridiction peut connaître une légère modification dans son application.

De la qualité des juges

Comme décrit dans le précédent paragraphe, les hautes juridictions (Cour de cassation ou conseil d’État) ne sont pas considérées comme une juridiction du troisième degré. Ceci serait en partie dû à l’étendue de la responsabilité de ses juges.

Les attributions de chacune des juridictions obligent en effet à une distinction dans la qualité des juges. En conséquence, on dénombre les juges du fond, des juges du droit.

Sont de ce fait appelés les juges du fond, les magistrats des juridictions du premier et du second degré puisqu’ils statuent en fait et en droit. Autrement dit, cela signifie que ces magistrats, au moment de juger, vont discuter des faits puis rendre leurs décisions en vertu du droit.

À contrario, les juges de la Cour de cassation ne sont pas en principe appelés à statuer sur les faits, ils ne jugent qu’en droit (pour en savoir plus sur le sujet, découvrez notre article sur l’arrêt de la Cour de cassation). On pourrait simplement dire que les juges de cassation ont compétence pour statuer sur les jugements rendus par les tribunaux en premier et dernier ressort ou sur les arrêts rendus en dernier ressort.

Comment est actionné le principe du double degré de juridiction ?

Lorsqu’on est victime d’une infraction (prenons le cas de délits ou d’infractions répréhensibles devant une juridiction criminelle), le réflexe exige que l’on saisisse les tribunaux et en cas d’insatisfaction, que la cour d’appel soit saisie puis enfin la Cour de cassation si nécessaire.

C’est en suivant ce schéma qu’est rendu opérationnel le principe du double degré de juridiction (1). Par ailleurs, en matière criminelle, les voies de recours méritent une attention particulière (2).

Composante de la procédure

Une instance introduite auprès des juridictions spécialisées au sein du premier degré est le point de départ de la procédure judiciaire. Le juge saisi est ensuite tenu de trancher le litige, en appliquant des règles de droit. Ces règles peuvent viser des droits de la défense, des droits patrimoniaux, etc. En matière pénale, une condamnation peut accompagner la décision du juge.

Quel que soit le cas, la décision rendue par le juge est susceptible d’appel. Cependant si l’une des parties n’est pas satisfaite de la décision, celle-ci peut, en vertu de son droit d’appel, lancer un recours contre ledit jugement et la contester en faisant appel devant la cour d’appel : on dit qu’elle a interjeté appel.

L’appel est une voie de recours ordinaire dans la procédure juridique. Il a un effet suspensif, c’est-à-dire qu’il suspend le jugement précédemment rendu, et à un effet dévolutif qui donne pleine compétence aux juridictions supérieures pour connaître une nouvelle fois de l’affaire.

Concernant le rôle du juge du fond après les débats : le juge du fond va juger une seconde fois l’affaire et rendre sa décision qui consiste soit à infirmer le jugement rendu au premier degré ou le confirmer. C’est en cela même que réside le procédé du double degré de juridiction.

Ainsi, pendant que l’affaire devant la Cour de justice connaît son épilogue, s’il advenait qu’une des parties n’est toujours pas satisfaite de la décision de la cour, celle-ci peut-être, une fois encore attaquée devant une juridiction supérieure par l’appelant : dans ce cas, on dit que le pourvoi en cassation est formé.

La procédure devant la Haute Juridiction est un peu différente de celle des deux dernières. Ici, une des parties est contre la décision des juges du fond qui lui porte grief et elle demande l’avis des magistrats de la juridiction suprême. Leur décision peut aller dans le sens contraire de celle des juges du fond, soit parce que :

  • Ceux-ci n’ont pas fondamentalement appliqué la bonne règle de droit;
  • Ils n’ont pas suffisamment motivé leur décision ;

Ceci justifie le fait que le juge de cassation ne statue pas en fait, mais se concentre uniquement sur le droit. Ils examinent en effet la conformité de la décision à la légalité. Autrement dit, les juges étudieront ici le jugement rendu en premier et dernier ressort ou l’arrêt rendu en cassation, afin d’établir si éventuellement, les juges du fond ont méconnu le droit ou non.

C’est ce que précise l’article 12 du code de procédure civile. Par ce procédé, la Cour de dernier ressort permet d’éviter que les juges s’écartent de la règle de droit. Les décisions de la Cour de cassation sont de plusieurs ordres et ne font l’objet d’aucun recours.

À cet effet, la Cour de cassation rend :

  • Des arrêts de non-admission :

Tous les pourvois devant la juridiction suprême sont sujets à une analyse sous la houlette du président de la chambre.

  • Arrêts de rejet :

Lorsque le pourvoi n’est pas recevable ou mal fondé, la cour rejette purement et simplement le pourvoi. La procédure prend aussitôt fin ;

  • Les arrêts de cassation :

Ils viennent réconforter le demandeur au pourvoi. L’arrêt de cassation signifie que la Cour juge opportun le pourvoi. Elle va donc casser la décision des juges du fond, puis procéder à un renvoi de la cause devant une autre juridiction qui jugera de nouveau l’affaire.

À cette étape, la nouvelle cour d’appel peut toujours rendre un arrêt qui sera de nouveau cassé par la Cour de cassation. Dans ce cas de figure, au lieu de renvoyer l’affaire devant une troisième cour d’appel, c’est plutôt l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui va se pencher sur ce sujet, avant un renvoi devant une troisième cour d’appel autrement composée que les précédentes.

Très souvent, l’exécution de la décision de la cour requiert les services d’un huissier de justice.

  • L’arrêt de cassation sans renvoi :

Pour mieux le comprendre, il faut recourir à l’article 627 du Code de procédure civile. En effet à ce niveau, la haute juridiction casse l’arrêt du juge du fond sans pour autant renvoyer l’affaire auprès d’une nouvelle cour.

En statuant de la sorte, la Cour de cassation marque la fin de la procédure. Le seul recours appartenant aux parties demeure la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci veillera sur les intérêts des particuliers, en application du droit communautaire notamment pour dénoncer la violation des engagements communautaires par l’État français.

Le cas particulier du jugement criminel en droit pénal

Le principe du double degré de juridiction n’a été admis en procédure pénale que récemment comparativement à son application dans les procès civils et administratifs. Ce changement est motivé par des arguments tant en rapport au droit international qu’au droit interne (A). Le code de procédure pénale a ensuite codifié l’application du double degré de juridiction (B).

La justification du principe en droit pénal

Le premier argument qui milite en faveur de l’application du double degré de juridiction en droit pénal est le respect des normes communautaires. En effet, l’article 2 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme établit déjà la possibilité de soumettre à nouveau un contentieux à l’appréciation d’autres juges.

Aussi, un regard sur l’article 14-5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques vient renchérir la position de la convention européenne des droits de l’homme.

L’autre raison tient à la gravité de la peine. On conçoit mal qu’en la matière, les délits tout comme les contraventions soient sujets aux recours alors que les infractions criminelles pour leur part (Trouvez ici les éléments constitutifs d’une infraction), ne sont jugées qu’en premier et dernier ressort. Or, logiquement, les peines criminelles sont les plus sévères.

Cet argument est la première avancée dans l’exposé des motifs du projet de loi en faveur de l’institution d’un recours en appel quant aux décisions du tribunal criminel en France. La longueur de la procédure ainsi que la disparité des peines feront aussi office d’argument.

La métamorphose de la procédure pénale

Les grands changements constatés dans la procédure pénale en France ont eu pour corollaire, l’introduction du double degré de juridiction en matière criminelle.

Le législateur a jugé l’opportunité d’un tel aménagement. En effet, à travers la révision constitutionnelle du 06 mars 2016, il a permis l’entrée très appréciée du principe du double degré de juridiction en matière criminelle. Le droit pénal s’adapte ainsi aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme en permettant la création d’un tribunal criminel d’appel.

Les infractions criminelles sont dorénavant soumises au principe du double degré de juridiction devant les Cours ayant une compétence exclusive en matière criminelle à savoir :

  • La cour d’assises :

Il s’agit de la juridiction du premier degré en matière criminelle dans le système judiciaire français. Elle se réunit trimestriellement pour connaître des infractions criminelles. La procédure devant elle est ouverte par la saisine du ministère public par la victime ou par un OPJ (Officier de police judiciaire) des faits d’un crime.

Le procureur a la largesse d’ouvrir une information judiciaire par le biais du juge d’instruction. Celui-ci pourra recueillir toutes les informations judiciaires nécessaires à la manifestation de la vérité. Il n’est pas exclu que pendant ce temps, le mis en examen soit maintenu en détention provisoire.

Au terme de son enquête, le juge d’instruction (ou la chambre de l’instruction, selon les cas) saisit la cour d’assises qui, en droit et en fait, tranche le litige. La décision rendue et notée par le greffier qui est le garant de la procédure.

L’arrêt condamnant ou acquittant l’accusé est susceptible de recours devant la cour d’assises d’appel, sous réserve des qualités de l’appelant. Pour ce qui concerne les délits et crimes militaires en revanche, c’est le tribunal militaire qui est compétent pour les trancher;

  • La Cour d’assises d’appel :

Elle est une juridiction du second degré. En revanche, elle n’est pas une chambre de la cour d’appel. On peut donc saisir la cour pour juger une seconde fois l’affaire. La procédure devant la cour d’assises d’appel n’est pas différente de celle de la cour d’assises sauf qu’ici, le ministère public est représenté par le procureur général.

À l’issue du procès devant la cour d’assises d’appel, il est possible de faire un recours devant la Cour de cassation.

  • La Cour de cassation :

En matière criminelle, l’analyse des jugements ou arrêts devant la Cour de cassation est soumise à la chambre criminelle. La démarche suivie par cette chambre ne diffère pas de celle indiquée ci-dessus.

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