La déconcentration et la décentralisation sont des processus d’organisation des administrations qu’il est important de maîtriser pour mieux comprendre le fonctionnement des États. C’est surtout en droit constitutionnel qu’on fait référence aux termes de la déconcentration et la décentralisation puisqu’ils servent à désigner un mode d’organisation territoriale de l’État.
Pour bien cerner la différence entre la déconcentration et la décentralisation, il convient de définir la notion d’État unitaire. On entend par État unitaire, un État dans lequel il n’existe qu’une seule organisation politique et juridique pour l’ensemble du territoire ainsi que pour l’ensemble de la population qui y vit. On dit que dans cette forme d’organisation, l’État dispose de toutes les compétences étatiques qui ne peuvent être partagées.
Ainsi, il relève du pouvoir de chaque État de définir la politique d’aménagement du territoire et le mode d’organisation de l’État.
Dans cette optique, certains États préfèrent subdiviser leur territoire en de multiples circonscriptions administratives pour lesquelles sont désignées des autorités déconcentrées qui ont la charge de faire exécuter la politique du gouvernement au niveau local.
D’autres États, en revanche, créent de véritables entités autonomes dénommées collectivités territoriales ou collectivités locales à qui ils transfèrent une portion des compétences qui ne sont plus concentrées au niveau central.
Dans le présent article, nous nous intéresserons à chacun de ces deux mécanismes que constituent la déconcentration et la décentralisation. Ainsi, l’article sera subdivisé en trois parties.
Dans une partie 1, nous expliquerons le concept de la déconcentration. Ensuite, dans une deuxième partie, nous nous focaliserons sur la décentralisation. Enfin, il sera question de faire ressortir les points de divergence entre la déconcentration et la décentralisation dans une dernière partie.
Présentation de la déconcentration
Origine de la déconcentration
Il faut se rappeler que de nombreux États ont connu et certains continuent de connaître une centralisation forte. Dans ces États, la caractéristique principale est l’existence d’un pouvoir central fort : C’est le gouvernement qui met en œuvre une seule politique pour tout le territoire et pour toute la population. Autrement dit, le seul véritable pouvoir de décision appartient au gouvernement.
Parce que certains États ont estimé qu’il était très difficile de gouverner seul alors ceux-là ont décidé de déléguer certaines des compétences étatiques vers d’autres structures. En termes clairs, il est apparu nécessaire pour ces États de confier à des pouvoirs locaux le soin de prendre des décisions qui intéressent les circonscriptions administratives de l’État (académies, préfectures, etc.).
C’est dans ce sens qu’est apparu le mécanisme de la déconcentration qui a permis de confier aux autorités déconcentrées des pouvoirs de décision pour certaines matières qui concernent généralement des problématiques locales.
Toutefois, dans ce système, toutes les décisions importantes relèvent toujours des autorités centrales. Ainsi, le gouvernement à travers la déconcentration ne s’est pas totalement défait de ses rôles et prérogatives.
Caractéristiques de la déconcentration
Premier critère de la déconcentration : La délégation du pouvoir
Au sein des services publics, les décisions prises au niveau local relèvent d’une délégation de pouvoirs effectuée par l’administration centrale. Par conséquent, les services déconcentrés ne peuvent pas prendre des décisions qui vont dans le sens contraire de celles que prendrait le gouvernement. On en déduit qu’ils ne sont pas autonomes et ne disposent pas d’un pouvoir de décision étendu.
En effet, lorsque certaines questions sérieuses se posent dans le cadre du développement local, l’autorité déconcentrée doit se référer à l’échelon central pour savoir quelle position adopter.
À titre d’illustration, les préfets de région ne peuvent pas, par exemple, prendre à eux seuls des mesures relatives à la gestion de l’administration territoriale des circonscriptions administratives qui dépendent d’eux. Ils fonctionnent selon le canevas de l’organisation territoriale défini par le gouvernement.
Deuxième critère de la déconcentration : Existence d’un pouvoir hiérarchique
Dans la déconcentration, les autorités déconcentrées sont soumises à leur hiérarchie et sont responsables devant leurs dirigeants. Il s’agit d’un pouvoir hiérarchique qui rend les services déconcentrés subordonnés à des services centraux.
Par exemple, le préfet qui est une autorité déconcentrée et qui est nommé en conseil des ministres par un décret du président de la République sur proposition du ministre de l’Intérieur en coordination avec le Premier ministre est responsable devant eux.
Ainsi, il sera soumis aux directives que lui confie le gouvernement. Dans cette relation hiérarchique, le président de la République peut révoquer, voire même suspendre le préfet en France.
Troisième critère de la déconcentration : Absence de personnalité juridique
Dans la déconcentration administrative, les services déconcentrés ne jouissent pas de la personnalité morale. Autrement dit, elles agissent au nom et pour le compte de l’État central.
Ainsi, ils ne peuvent pas par exemple ester en justice puisqu’ils ne disposent pas de la personnalité juridique pouvant le leur permettre. On dit que les services déconcentrés ne sont pas titulaires de droits ou d’action devant les juridictions.
Exemple : Lorsqu’en droit administratif, un contentieux naît entre des préfets de département et les maires, il faut considérer que c’est la responsabilité de l’État central qui est engagée et non celle des départements ou des administrations régionales.
Un autre corollaire de la personnalité juridique est que les services déconcentrés ne disposent pas d’un budget propre. Faisant partie intégrante de la fonction publique, il n’est pas admis que les services déconcentrés jouissent d’une autonomie financière. Elles dépendent des finances publiques et leur gestion financière est directement liée à celle de l’État central à travers la loi de finances.
Modalités de la déconcentration
Au sein de la République française, le socle de la déconcentration se trouve dans le principe de subsidiarité par lequel il est attribué une compétence de droit commun aux services déconcentrés de l’État. De façon plus claire, le principe de subsidiarité impose que les attributions relevant du niveau supérieur ne puissent être « cascadées » au niveau inférieur.
Par ailleurs, au sein d’un même service déconcentré, on note l’existence d’un contrôle hiérarchique. En d’autres termes, l’autorité se situant au niveau élevé exerce un contrôle hiérarchique sur celle qui se situe directement sous elle. Ce contrôle peut s’exercer sur un acte administratif ou sur toute décision administrative rendue par l’autorité située au niveau inférieur.
Cette mesure revêt un double intérêt. Tout d’abord, elle permet à la personne morale déconcentrée de donner l’occasion aux usagers de pouvoir exercer leur action administrative dans leur ressort territorial.
Ensuite, elle permet également aux autorités de rang élevé (tel que les préfets, les ministres, les gestionnaires des établissements publics, etc.) de pouvoir remplacer ou annuler tout acte de l’administration territoriale contraire à la légalité et de pouvoir sanctionner les agents publics qui ont pris ces actes.
** En parlant d’acte administration, découvrez aussi le régime juridique et les caractéristiques de l’acte administratif unilatéral. Cliquez sur le lien pour consulter le cours ! **
Présentation de la décentralisation
Caractéristiques de la décentralisation
Il existe fondamentalement trois critères qui caractérisent les services décentralisés en droit français. Le schéma ci-dessous présente les critères de la décentralisation.
Premier critère de la décentralisation : Élection d’un pouvoir local
Dans la décentralisation, c’est à travers des élections que sont désignés les élus locaux qui vont diriger la collectivité locale. Contrairement à la déconcentration, les autorités locales ne sont pas en lien hiérarchique avec l’autorité centrale et n’ont de compte à rendre qu’à la population locale qui les a élus. Ils ne peuvent pas être révoqués ni suspendus tant que leur mandat n’arrive pas à terme.
Toutefois, il faut mentionner qu’ils sont soumis à un contrôle de tutelle de la part de l’autorité déconcentrée. Ce contrôle, qui est un contrôle de légalité, ne doit pas aller au-delà de ce qu’a prévu le législateur en matière de décentralisation.
Le contrôle de tutelle se justifie dans le sens où la décentralisation n’est qu’un mode de gestion du territoire national, elle ne veut pas dire que les entités locales décentralisées sont indépendantes et peuvent fonctionner comme elles le désirent.
L’État central continue d’avoir un droit de regard sur la gestion des compétences propres transférées à chaque collectivité locale. Ainsi, si une organisation décentralisée dépasse le cadre convenu lors de l’exercice de ses compétences propres, elle peut être recadrée par l’État central.
Le corollaire direct de l’élection des autorités locales est le transfert de compétences aux municipalités. En effet, a contrario de l’État centralisé où tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du pouvoir central, dans un État décentralisé, au lieu de simplement déléguer les compétences, c’est plutôt une série de transferts de compétences à des autorités indépendantes de l’État qui est observée.
Deuxième critère de la décentralisation : La personnalité morale
La collectivité locale dispose de la personnalité juridique qui lui permet d’être titulaire de droits et d’obligations devant les juridictions. En tant que personne morale, elle peut se faire représenter en justice en vue de revendiquer des droits pour son compte.
En France, les autorités décentralisées disposant de ces prérogatives sont les régions, les départements ainsi que les communes. Elles ont chacune la personnalité morale et sont relativement autonomes par rapport aux organes centraux.
Troisième critère de la décentralisation : L’autonomie
Il s’agit d’un critère fondamental qui permet de faire la distinction entre la déconcentration et la décentralisation. En effet, autour du thème de l’autonomie se greffe trois sous-composantes qu’il est important de clarifier.
Tout d’abord, avec la décentralisation l’entité décentralisée dispose d’une autonomie matérielle qui lui permet de pouvoir disposer elle-même d’un patrimoine propre. Cette autonomie matérielle est encore assimilable à la personnalité juridique.
Toutefois, il faut mentionner qu’elle tient en compte le fait pour la collectivité locale d’administrer ses propres affaires désignées sous le nom d’affaires locales ou d’affaires régionales (selon le niveau de la décentralisation).
Ensuite vient l’autonomie organique par laquelle chaque collectivité territoriale dispose de certains organes ou services qui sont chargés de conduire la vie administrative de l’entité décentralisée.
Enfin, il faut mentionner l’autonomie fonctionnelle par laquelle le principe de la libre administration est reconnu aux services décentralisés qui conduisent la démocratie locale dans la vision qui leur est propre et adéquate.
Les différents types de décentralisation
Il est important de souligner qu’il existe différentes sortes de décentralisation.
Tout d’abord, celle qui permet d’organiser les territoires et qui s’applique aux entités municipales ainsi qu’aux collectivités territoriales est désignée sous le nom de la décentralisation territoriale.
Par ailleurs, il existe également la décentralisation fonctionnelle encore appelée décentralisation technique qui a rapport à certaines entités spécialisées auxquelles la loi attache la personnalité juridique. C’est l’exemple de certains établissements publics à caractère industriel ou à caractère commercial à qui la loi accorde certaines prérogatives spécifiques.
Les points de dissemblance entre la déconcentration et la décentralisation
Différence de sélection de l’autorité administrative dans la déconcentration et la décentralisation
Une autorité administrative est le premier responsable d’un service public. Dans la déconcentration, l’autorité administrative qui dirige les services déconcentrés est sélectionnée par le jeu d’une nomination du pouvoir exécutif. On peut par exemple citer le préfet ou le recteur d’une université publique qui sont nommés pour diriger un service déconcentré de l’État. Légalement, c’est en conseil des ministres que leur nomination est faite.
Par contre dans la décentralisation, les choses ne se passent pas de cette manière. En effet, quel que soit le niveau de décentralisation, chaque autorité administrative est désignée par la voie des urnes. Ainsi, c’est le cas du Maire qui est sélectionné par les habitants de la commune et par le biais des votes de ses concitoyens.
Différence de compétences dans la décentralisation et la déconcentration
Il est très important de ne pas faire d’amalgame pour ce qui concerne la question des compétences dans chacun de ces deux modes de gestion territoriale.
Pour ce qui concerne la déconcentration, les services de l’État en règle générale disposent des compétences régaliennes de l’État. Le schéma ci-dessous présente le panorama des compétences régaliennes de l’État en droit français.
NB : Par rapport à la compétence régalienne consistant à l’émission d’une monnaie propre, il faut préciser que la France faisant partie des pays de l’Union européenne, c’est cette dernière qui détient la capacité de battre la monnaie au nom de tous les États membres.
Pour ce qui concerne la décentralisation, il est à noter que l’État transfère certaines compétences vers les collectivités territoriales afin de leur permettre de fonctionner de façon autonome.
Par exemple, après la décentralisation en France, le service public pour la délivrance des titres d’identité, de même que la compétence de gérer les collèges et les lycées ont été dévolus aux collectivités territoriales.
Différence de types de services dans la déconcentration et la décentralisation
Ce ne sont pas les mêmes administrations ou types de services publics qu’on rencontre dans la déconcentration et la décentralisation.
Ainsi, au nombre des services déconcentrés de l’État que l’on rencontre fréquemment dans la déconcentration, on peut citer les préfectures, les directions départementales ou encore les directions régionales.
Or dans la décentralisation, on parle fréquemment des collectivités territoriales à l’instar des Mairies ou des conseils départementaux.
Différence budgétaire dans la décentralisation et dans la déconcentration
Il s’agit d’une différence de taille qui permet également de faire la distinction entre la déconcentration et la décentralisation. En effet, dans la déconcentration, les services publics fonctionnent grâce à des budgets opérationnels de programme.
Autrement dit, ce sont des enveloppes financières qui sont décidées par le pouvoir central (chacun des ministères) et devant servir au fonctionnement du service déconcentré. Pour déterminer le montant de ces enveloppes financières, c’est souvent la performance du service déconcentré qui est analysée.
Or, dans le cadre de la décentralisation, les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie financière qui leur permet d’élaborer elles-mêmes un budget propre sur la base des ressources et des charges de la commune.
Cependant, malgré le processus de la décentralisation, il est fréquent de voir que l’État affecte des dotations financières aux collectivités locales afin de les aider à disposer de ressources financières suffisantes pour leur bon fonctionnement.
Le tableau ci-dessous fait ressortir le récapitulatif de toutes les différences qui existent entre les termes de décentralisation et de déconcentration.
Choix entre décentralisation et déconcentration
À la question de savoir s’il faut opérer un choix entre la politique de décentralisation et celle de déconcentration, la réponse est plutôt négative. En réalité, les deux politiques vont bien souvent de pair. Aucun État ne peut réaliser une décentralisation territoriale parfaite en excluant totalement une déconcentration parallèle.
En réalité, il est important qu’au niveau local, les autorités décentralisées élues aient la possibilité de pouvoir entrer en contact avec un représentant de l’Etat dès lors que se pose un problème administratif ou décisionnel.
S’il était nécessaire à chaque fois de remonter vers le pouvoir central avant de régler certaines questions, non seulement les prises de décision dans les collectivités territoriales seraient très longues, mais aussi le processus de décentralisation serait inefficace. C‘est pourquoi en France, l’État est à la fois déconcentré et décentralisé.