C’est quoi un conflit de lois dans le temps ?

conflit de lois dans le temps

Le conflit de lois dans le temps se pose lorsque deux situations juridiques se chevauchent au cours de deux périodes de temps différentes. Posons un exemple simple pour démarrer et expliquer la situation de conflit de lois dans le temps. Supposons aujourd’hui que le législateur vote une nouvelle loi française pour réformer le divorce.

On va se poser la question de savoir à qui sera applicable cette nouvelle loi en vigueur : est-ce à toutes les personnes mariées, même celles qui sont mariées depuis des décennies avant qu’elle ne soit prise ? Ou bien est-ce simplement aux futures personnes qui se marieront après que la loi soit entrée en vigueur ? Il faut le reconnaître, il se pose là clairement une situation de conflit de lois : celle qui applique les règles du divorce appliquées jusqu’alors, et la nouvelle loi qui modifie les règles du divorce.

Il ressort de cet exemple que le conflit de lois pose le problème d’une concurrence entre deux règles de droit qui s’enchainent dans le temps de telle sorte qu’on est confronté à la détermination de la loi applicable réellement.

Généralement à côté du conflit de lois dans le temps, on oppose celui de l’espace, qui lui est résolu par le droit international privé.

Toutefois, pour résoudre le conflit des lois dans le temps, le droit français a mis en place plusieurs mécanismes qu’il convient d’analyser avec attention. Dans notre développement, nous allons apporter toute la lumière sur tout ce qui concerne le conflit de lois dans le temps.

Dans une première partie, nous présenterons les généralités sur la problématique du conflit des lois dans le temps. Dans une seconde partie, nous aborderons les voies de résolution des situations juridiques liées au conflit de lois dans le temps.

Généralités sur le conflit de lois dans le temps

Pour mieux comprendre la question de conflit des lois, il faut connaitre comment une loi entre en vigueur et comment elle cesse d’exister.

Principes encadrant l’entrée en vigueur d’une loi

Pour qu’une loi rentre dans le droit positif français, deux organes peuvent en être à l’origine : Le Premier ministre ou Le Parlement. Quelle que soit l’origine, la loi est étudiée et votée dans les mêmes conditions. Ensuite, elle suit les étapes suivantes :

L’entrée en vigueur de la loi suppose qu’elle est d’office connue de tous les citoyens et personne ne peut avancer l’argument de ne pas en être informé. Une loi nouvelle qui serait prise néanmoins ne devrait pas, en principe, disposer d’un effet rétroactif.

Principes régissant l’abrogation d’une loi

Explication du concept de l’abrogation

Quand on parle d’abrogation de la loi, on parle de sa disparition du système juridique français. En considération du principe du parallélisme des formes, il faut un texte législatif pour mettre fin à un autre texte du même ordre. Le nouveau texte de loi peut prévoir dans ses dispositions transitoires qu’il met fin aux effets de l’ancien. Il s’agit dans ce cas d’une abrogation explicitement mentionnée.

Mais elle peut être tacite aussi. Dans ce cas, lorsque des règles de conflit naissent entre des parties de la nouvelle et de l’ancienne loi, on suppose que l’ancienne n’a plus cours, ainsi ce sont les règles de la nouvelle loi qui seront appliquées.

Spécificités liées à l’abrogation tacite d’une loi

Lorsqu’un conflit de lois oppose une règle d’application générale et une règle de droit à application spéciale, on ne peut pas faire jouer immédiatement l’abrogation tacite de la règle contenue dans la loi ancienne. En réalité, chacune des lois nouvelles prises n’a pas forcément la même portée que les précédentes. Certaines lois possèdent en effet des règles dites spéciales qui ont un champ d’application limité.

Dans ce cas, lorsque la règle spéciale est apportée par la nouvelle loi, l’ancienne loi demeure en vigueur et n’est pas abrogée, seule la réforme apportée par la règle spéciale de la nouvelle loi lui est incorporée.

Exemple pratique : Supposons qu’une loi ancienne interdit à tout conducteur d’engins motorisés de rouler sans casques. Ensuite, une nouvelle loi précise que les conducteurs de quads peuvent rouler sans casque. On remarque que la nouvelle loi apporte une spécialité à l’ancienne, elle ne l’abroge pas.

Cependant, dans le cas où la nouvelle loi est d’application générale, l’ancienne qui contient la règle spéciale sera tacitement abrogée.

Les autres cas d’abrogation

Certaines situations juridiques sont encadrées par des lois, mais compte tenu du fait qu’elles ne se produisent quasiment plus jamais, ces lois ne sont plus appliquées. On parle dans ce cas d’une abrogation de la loi par désuétude. Ces cas ont lieu lorsque l’objet ayant conduit à la promulgation de la loi a disparu.

Exemple pratique : Compte tenu du fait que la circulation des voitures à cheval était anciennement un moyen de circulation très utilisé, le Parlement avait pris des lois pour réglementer leur circulation. Aujourd’hui ce mode de circulation n’existant quasiment plus, ces lois vont alors disparaitre par désuétude.

Enfin, il existe des règles coutumières qui sont incompatibles aux lois et qui, par la force du temps, remplacent ces lois. Dans ces cas, la loi disparait au profit de la coutume.

Exemple pratique : Le décret de 1852 qui a consacré le code Napoléon n’a jamais été supprimé de l’ordre juridique français. Or par un usage répété, le nom du code Napoléon a cédé place au nom de code civil qui est utilisé jusqu’à présent pour désigner le code actuel.

Voir aussi : Pourquoi l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 (Cour de cassation, chambre mixte, 24/05/1975, 73-13.556, publié au bulletin) est-il aussi important en termes de conflit de lois avec les traités internationaux ? Cliquez sur le lien pour obtenir le cours complet !

Résolution juridique du conflit de lois dans le temps

Pour aborder la résolution du conflit de lois dans le temps, nous allons nous pencher sur l’apport de la doctrine et celle de la jurisprudence.

Les solutions proposées par la doctrine au conflit de lois dans le temps

La théorie doctrinale des droits acquis

Il faut évoquer ici les thèses des théoriciens qui ont commenté pour la première fois le Code civil en vue de comprendre comment la question du conflit de lois devait être résolue. Pour eux, il est nécessaire de se baser sur la notion des droits acquis. Ils posent alors une question simple : la nouvelle loi s’applique-t-elle à des droits acquis ou à de simples expectatives ?

Rappelons que les droits acquis sont des droits subjectifs dont bénéficient les individus et que personne ne peut plus les leur enlever. Ces droits sont déjà incorporés au patrimoine de ceux qui en bénéficient.

Ainsi les théoriciens précisent que la nouvelle loi ne doit en aucun cas s’appliquer sur ces droits acquis par les individus. Mais cette solution doctrinale, beaucoup plus conservatrice est aujourd’hui battue en brèche par d’autres solutions.

La théorie de Paul Roublier pour la résolution du conflit de lois dans le temps

Pour le doyen Roublier, toute situation juridique peut s’analyser en deux volets : un volet dynamique et un volet statique.

Le volet dynamique est celui au moment duquel la situation juridique est créée, exécutée et éteinte. Après son extinction, elle devient un fait juridique que personne ne peut plus contester. On ne pourrait alors pas faire appliquer rétroactivement une loi nouvelle à cette situation. La loi applicable est la loi ancienne sous l’empire de laquelle la situation juridique est née, exécutée et éteinte.

Cependant, il existe un autre volet statique qui caractérise les situations juridiques. À ce niveau, les règles de droit produisent des effets actuels et des effets futurs. C’est plutôt sur ces effets juridiques que va se faire l’application immédiate de la loi entrée nouvellement en vigueur.

Toutefois, le doyen dénote une limite majeure à ce principe de l’application automatique de la loi aux effets en cours. Il s’agit d’une exception intrinsèque aux relations contractuelles conclues avant l’adoption du nouveau texte législatif.

En effet, on ne peut appliquer immédiatement la nouvelle loi aux effets produits par des contrats conclus au moment où seule l’ancienne loi existait. Comme il est souvent expliqué en droit des contrats, les responsabilités contractuelles et les obligations contractuelles sont fixées pour chaque partie en fonction de prévision faite par rapport à une règle de droit existante. On ne peut déstabiliser la sécurité juridique de la relation contractuelle en la soumettant à une loi nouvelle que les parties n’avaient pas prévue.

Les solutions jurisprudentielles au conflit de lois dans le temps

À ce niveau également, deux solutions sont mises en place par la jurisprudence pour résoudre la question de conflit de lois dans le temps.

Le cas du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle

Présentation du principe

  • Le cas général

Il faut se baser sur l’article 2 du Code civil pour appréhender la règle générale relative à ce principe. Au regard de cet article, aucune ne loi ne doit avoir un effet rétroactif, qu’elle soit prise hier, aujourd’hui ou prévue pour le futur.

Ce principe admis en droit civil résout définitivement la question de conflit de lois dans le temps.

Ce principe de non-rétroactivité de la loi est également admis en droit pénal. Son fondement se trouve dans l’article 112-1 du Code pénal. Il s’agit également d’un principe à valeur constitutionnelle qui est codifié dans la DDHC. En effet, c’est l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui lui confère le caractère constitutionnel admis en matière pénale.

  • Quelques cas particuliers

Prenons le cas où une nouvelle loi vient mettre fin à une loi ancienne qui existait préalablement. Dans certains cas, par exemple une loi sur le divorce, les situations juridiques qui existaient au moment de l’ancienne loi continuent d’exister avec la venue de la nouvelle. Par laquelle de ces deux lois, ces situations seront-elles régies en définitive ?

Il existe des situations où c’est la nouvelle loi, elle-même, qui explique comment elle sera appliquée dans le temps. Autrement dit, elle définit son propre champ d’application temporel.

Exemple pratique : Lorsque l’on jette un regard sur la loi Badinter du 5 juillet 1985 qui régit les accidents de la circulation, on se rend compte que cette loi prévoit, elle-même, son champ d’application. En l’occurrence, elle sera appliquée aux cas d’accidents qui auraient eu lieu trois ans avant qu’elle n’entre en vigueur. La loi précise toutefois que c’est seulement lorsque le litige n’a pas encore eu une issue définitive auprès des juridictions.

Rappelons que la procédure civile est identique que l’on soit dans le champ d’application de la loi nouvelle ou dans le champ d’application de l’ancienne.

Les exceptions relatives au principe

Il existe des cas où l’on assiste à la rétroactivité de la loi nouvelle, ce qui constitue une exception au principe susmentionné. Ceci s’explique par le fait que contrairement au droit pénal où ce principe est à valeur constitutionnelle, il n’en est pas ainsi en droit civil. Par conséquent, une disposition législative peut régir des situations qui existaient avant qu’elle ne soit prise. Voici quelques cas où les lois peuvent être rétroactives.

  • La loi précisant explicitement sa rétroactivité

Certaines lois mentionnent clairement qu’elles se saisiront même des situations antérieures à leur entrée en vigueur. Ces lois sont guidées par le souci de satisfaire l’intérêt général.

D’autres lois sans préciser leur nature rétroactive sont considérées automatiquement dès qu’elles sont prises. Il s’agit essentiellement de :

  • Loi pénale plus douce

S’agissant de la loi pénale plus douce, elle est à l’avantage de l’agent pénal en ce sens qu’elle améliore sa situation, ainsi le Code pénal a prévu son caractère rétroactif. Techniquement, une loi pénale plus douce a deux rôles : soit elle efface certaines infractions de l’ordre juridique pénal, ou elle diminue la peine prévue par le Code pénal pour ces infractions. Par conséquent, lorsque les lois pénales sont prises, elles s’étendent aux infractions commises précédemment à leur entrée en vigueur.

Exemple pratique : le cas de la loi ayant aboli la peine de mort sur le territoire français. Cette loi régit non seulement les infractions qui seront commises dans le futur, mais elle s’est étendue sur toutes les infractions commises avant le 9 octobre 1981, date de son entrée en vigueur, et qui méritait la sentence extrême.

  • Lois interprétatives

Pour ce qui concerne les lois interprétatives, elles servent à clarifier des textes législatifs ou réglementaires qui existent déjà, mais ne sont pas assez claires. On comprend qu’une loi interprétative ait un caractère rétroactif puisqu’elle ne clarifie qu’une autre loi qui lui est antérieure.

Exemple : Prenons le cas de la loi de 1987 relative aux loyers qui semble obscure par rapport à son champ d’application. En réalité, le contenu de la loi n’est pas aussi clair pour qu’on détermine sur quels types de baux la loi porte. Dans ce sens, une nouvelle loi est prise en 1989 avec pour objet d’apporter une précision claire sur le champ d’application de l’ancienne loi. Celle-ci mentionne que la précédente loi englobe à la fois le bail d’habitation et le bail commercial. Ainsi, cette loi interprétative s’applique à tous les contrats, qu’ils soient conclus avant ou après son entrée en vigueur.

  • Lois de validation

Enfin concernant les lois de validation, ce sont des lois qui interviennent en matière administrative. Elles ont pour objet d’agir de façon rétroactive sur une décision d’une juridiction. C’est le cas d’un acte administratif précédemment considéré illégal, mais revu à nouveau par la loi de validation.

Exemple pratique : Supposons qu’un juge ait invalidé un concours de la fonction publique et qu’il s’ensuit que ce concours est bien valide. Il faut qu’une loi de validation soit adoptée pour éviter aux candidats de reprendre encore une fois lesdits concours.

Le cas du principe de l’application immédiate de la loi nouvelle

Présentation du principe

Ce second principe jurisprudentiel prévoit qu’une nouvelle loi soit automatiquement applicable. Toutefois, elle ne tiendra compte que des effets futurs de la situation à laquelle elle s’applique. Pour ce qui concerne les effets passés, ils demeurent sous l’empire de la loi qui les a consacrés.

En réalité, c’est la seconde solution doctrinale qui est reprise à ce niveau.

Les exceptions relatives au principe

Comme mentionné au niveau de la doctrine, c’est en matière contractuelle que le principe de l’application immédiate de la loi ne peut avoir cours. À cet effet, toute convention conclue avant qu’elle n’entre en vigueur restera sous l’empire de la loi ancienne. Seules seront régies les conventions contractuelles conclues après que la loi nouvelle n’entre en vigueur. On parle ici d’un autre principe : celui de la survie de la loi ancienne.

Cependant, il est important de préciser que dans deux situations, cette exception n’est pas considérée. Dans le premier cas, lorsqu’un motif d’ordre public est soulevé, même en matière contractuelle, la loi nouvelle va s’appliquer.

Exemple pratique : Supposons qu’un contrat de travail conclu avec un salarié fixait l’obligation contractuelle de l’employeur au paiement du SMIC en fin de mois à l’employé. Si une nouvelle loi est adoptée et qu’elle rehausse le montant du SMIC, cette loi nouvelle va saisir toutes les situations contractuelles, dont celle-ci, et obliger l’employeur à payer le nouveau montant du SMIC fixé par la loi.

Le second cas est consacré par un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation en date du 17 novembre 2016. En effet, par cet arrêt, la Cour de cassation a précisé qu’une nouvelle loi peut régir les effets légaux qui découlent des situations juridiques nées avant elle, mais dont la réalisation n’est pas encore définitive.

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