Pourquoi la solution de l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001 rendu par la Cour de cassation est-elle novatrice ?

L’arrêt Nikon du 02-10-2001

L’arrêt Nikon du 02/10/2001 rendu par la Cour de cassation est un arrêt important, car celui-ci est venu poser le principe du droit au respect de l’intimité de la vie privée des salariés sur leur lieu de travail. Avec l’arrêt Nikon, la haute juridiction de l’ordre judiciaire est ainsi venue consacrer le droit à la vie privée même dans le cadre professionnel.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que la technologie joue un rôle majeur au sein des sociétés contemporaines depuis de nombreuses années. L’utilisation toujours plus importante des outils technologiques que sont les ordinateurs, smartphones, tablettes avec l’utilisation d’internet sèment parfois le trouble sur la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle du salarié. Pourtant, le droit à la vie privée est un principe ancien qui remonte à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

S’il n’y a aucun débat sur le fait que la vie privée du salarié en dehors de l’entreprise lui appartient, cela est plus nuancé lorsque celui-ci se trouve au sein de l’entreprise durant ses heures de travail puisque la vie privée est souvent restreinte par le règlement intérieur de l’entreprise.

C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001. En effet, l’employeur est très régulièrement confronté à l’intrusion de la vie personnelle du salarié au sein de sa vie professionnelle lorsque celui-ci effectue ses heures de travail. C’est pourquoi une loi de 2006 a été promulguée en insérant dans le Code du travail un nouveau chapitre relatif à « l’articulation de la vie professionnelle et de la vie personnelle et familiale ».

Pour terminer cette introduction à la présentation de l’arrêt Nikon, il convient de faire un rappel historique pour établir un lien avec l’état de la jurisprudence actuelle. Dans les années 1980, la notion de vie personnelle commençait à faire son apparition dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation. La vie personnelle était à cette époque entendue comme le parfait négatif de la vie professionnelle sans plus de précision.

Désormais, celle-ci est consacrée par la jurisprudence, mais doit néanmoins être distinguée de la notion de vie privée. La haute juridiction utilise encore aujourd’hui les deux termes et l’exemple parfait est celui de l’arrêt Nikon que nous allons étudier. En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation a décidé que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ».

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Nikon ?

Les faits de l’arrêt Nikon sont les suivants : un ingénieur employé par la société Nikon a conclu un accord de confidentialité avec cette société lui interdisant de divulguer certaines informations.

Par la suite, l’employé est licencié pour faute grave au motif qu’il a utilisé un ordinateur professionnel pour envoyer des messages électroniques personnels, alors que celui-ci a été mis à disposition par la société à des fins professionnelles uniquement. La société justifie le licenciement, car le contenu des messages électroniques était enregistré sur le disque dur de l’ordinateur dans un dossier nommé « Personnel ».

Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale pour obtenir, d’une part, le paiement d’une indemnité fondée sur un licenciement sans cause réelle, sérieuse et d’autre part, une somme à titre de contrepartie de la clause de non-concurrence conventionnelle.

La Cour d’appel fait droit aux demandes de la société. Celle-ci retient que le licenciement du salarié était justifié par une faute grave basée sur le fait que le salarié avait entretenu pendant ses heures de travail une activité parallèle. Les juges du fond se sont ainsi basés sur le contenu des messages émis et reçus par le salarié depuis l’ordinateur mis à disposition par la société et comportant un dossier intitulé « personnel ».

Arrêt Nikon : Les prétentions des parties et la question de droit

Pour le salarié, le licenciement est fondé sans cause réelle et sérieuse et mérite de ce fait une indemnisation ; tandis que pour la société Nikon le salarié n’a pas à entretenir une activité parallèle pendant ses heures de bureau et sur son lieu de travail.

Le problème de droit auquel la Cour de cassation devait répondre dans l’arrêt Nikon était plutôt délicat. En effet, un employeur peut-il consulter les messages personnels qu’un employé a envoyés avec l’aide d’un ordinateur professionnel mis à sa disposition ?

Cette question de droit s’encrait dans une problématique beaucoup plus large qui consistait à définir le cadre du droit au respect de la vie privée dans un contexte professionnel.

Quelle est la solution de l’arrêt Nikon rendue en date du 2 octobre 2001 ?

La Cour de cassation va répondre négativement à cette question dans l’arrêt Nikon puisqu’elle casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.

La Cour de cassation justifie sa décision en énonçant que le salarié même pendant ses heures et sur son lieu de travail dispose du droit au respect de l’intimité de sa vie privée (découvrez ce que c’est un droit au respect de la vie privée selon l’Article 9 du Code civil). Cela a pour conséquence que les correspondances personnelles de l’employé doivent demeurer secrètes dans un contexte professionnel.

L’employeur qui prend connaissance des messages personnels de ses salariés viole alors la liberté fondamentale du droit au respect de l’intimité de la vie privée de son employé et ce ; même dans la situation où l’employeur aurait interdit une utilisation de l’ordinateur pour tout ce qui ne relève pas de l’exécution d’une mission professionnelle.

Quelle est la portée de l’arrêt Nikon rendu le 02/10/2001 par la Cour de cassation ?

La portée de l’arrêt Nikon est considérable dans la mesure où l’employeur ne peut pas prendre connaissance de messages caractérisés comme personnels de ses employés. L’identification du caractère personnel des messages est caractérisée par la mention « personnel » ou encore « privé » qui permet de caractériser de bonne foi le caractère privé du message (notamment dans les objets des emails ou dans l’intitulé d’un dossier sur un appareil électronique).

La CNIL va d’ailleurs confirmer cette position en affirmant que « toute indication portée dans l’objet du message et conférant indubitablement à ce dernier un caractère privé devrait interdire à l’employeur d’en prendre connaissance ».

Cette décision est donc synonyme de la reconnaissance d’une véritable vie privée pour le salarié au sein de son entreprise. Toutefois, une telle décision ne semble pas opportune au regard des risques encourus du fait de la communication par des salariés indélicats de données confidentielles.

L’employeur ayant un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction sur son salarié voit ses pouvoirs fortement réduits puisqu’il ne peut plus alors librement accéder à l’outil de travail de son salarié qui est financé par l’entreprise pour les besoins de la société.

C’est pour cela que par la suite, l’arrêt Nikon a été largement précisé et nuancé par de nombreux arrêts de la jurisprudence venant établir des contours plus précis de la vie privée du salarié. En effet dès 2005, soit quatre ans plus tard, la Cour de cassation va affirmer que désormais l’employeur pourra ouvrir les fichiers personnels du salarié, mais seulement en présence de celui-ci dans la mesure où il l’aurait appelé avant le contrôle.

La Cour affirme précisément que « sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels » sur un ordinateur mis à la disposition du salarié qu’en présence de ce dernier ou de celui-ci qui doit être dûment appelé.

La Cour va donc nuancer l’arrêt Nikon en autorisant finalement l’employeur a consulté les fichiers personnels du salarié en cas de risque ou d’événement particulier et en présence du salarié, ou si celui-ci a été prévenu.

Cet arrêt n’est pourtant pas le seul à venir nuancer l’arrêt Nikon. En effet, l’évolution jurisprudentielle va se poursuivre avec un arrêt de 2006 qui pose un principe de présomption du caractère professionnel des fichiers informatiques créés par le salarié sur son lieu de travail.

La Cour affirme ainsi que les fichiers « créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail » ont un caractère professionnel.

La haute juridiction nuance cependant son propos puisque cette présomption ne s’applique pas si le salarié identifie ses fichiers comme étant personnels. Attention cependant à la manière dont ces fichiers sont identifiés puisque la dénomination « mes documents » ne permet pas de donner un caractère personnel au fichier.

De même, si une clé USB est connectée à l’outil informatique professionnel, elle est présumée avoir été utilisée à des fins professionnelles. Ainsi, l’employeur pourra avoir accès aux fichiers que la clé contient sauf si les fichiers dans la clé USB ont été identifiés comme personnel.

Dans cette continuité, un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2007 rappelle l’arrêt Nikon. En effet, celle-ci a affirmé que le salarié a droit, même au temps et au lieu de son travail, au respect de sa vie privée, notamment au respect de ses correspondances.

Cet arrêt apporte cependant une précision supplémentaire puisqu’il précise que l’article 145 du Code de procédure civile introduit la notion de motif légitime requis pour l’employeur dans le but de permettre à ce dernier d’enfreindre la vie privée du salarié et de vérifier certains fichiers liés au travail du salarié.

L’arrêt en question étend encore une fois l’opportunité de contrôle de l’employeur lorsqu’il y a un motif légitime pour le faire. Dans cet arrêt, il s’agissait de manœuvres déloyales de la part du salarié.

Dans un tel cas, les preuves tirées de l’ordinateur professionnel du salarié sont alors admises et un licenciement pour faute grave est alors possible. Ici, le juge consacre la présomption de contenu de travail pour les fichiers se trouvant sur l’ordinateur professionnel de l’employé.

Cette solution sera alors plusieurs fois réitérée par la jurisprudence. Celle-ci ira encore plus loin en 2010 puisque dans un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 15 décembre 2010, la Cour posera une présomption du caractère professionnel des courriels du salarié.

La Cour va affirmer que « les courriers adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur… sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels »

La haute juridiction va encore plus loin que sa jurisprudence précédente, car désormais, concernant les courriels envoyés et reçus par le salarié, l’employeur pourra vérifier leur contenu même sans la présence de celui-ci, présence qui était nécessaire pour la vérification des fichiers.

En 2021, cette présomption sera appliquée aux courriers postaux (Cass.soc, 11 juillet 2012). La Cour est partie du raisonnement que si le salarié envoie ou reçoit des courriers sur son lieu de travail, alors ils sont donc présumés professionnels, hormis encore une fois le cas où le salarié les identifie comme personnel.

On s’aperçoit dès lors que pour préserver le respect au droit de sa vie personnelle, le salarié ne doit pas être seulement passif, mais surtout actif puisqu’il doit indiquer que les fichiers ou courriers personnels ont un caractère personnel.

Par la suite, un arrêt de 2016 est venu faire écho à l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001, puisque celui-ci est venu marquer un changement inattendu avec la jurisprudence post-Nikon. Dans cet arrêt, la question qui était posée à la Cour de cassation était de savoir si un employeur pouvait accéder et se prévaloir comme moyen de preuve, des messages tirés de la messagerie personnelle cette fois-ci du salarié figurant sur l’ordinateur professionnel mis à disposition du salarié pour l’exercice de son activité ?

Les juges de la Cour de cassation ont répondu par la négative à cette question plutôt délicate. Ainsi, les juges confirment ici que ces messages utilisés comme moyen de preuve portent atteinte au secret des correspondances et que de ce fait, ils doivent être écartés de débat.

Cette solution était considérée par certains comme un revirement de jurisprudence puisque celle-ci est en contradiction avec un arrêt de 2013 (Cass.Soc 19 juin 2013) qui était dans la continuité de l’évolution de l’arrêt Nikon et qui avait considéré que les courriers figurant sur le disque dur de l’ordinateur professionnel du salarié n’étaient pas directement considérés comme personnel du seul fait que ceux-ci soient issus de la messagerie personnelle du salarié. Les fichiers et autres documents se trouvant sur le disque dur de l’ordinateur professionnel du salarié étaient alors considérés comme personnels, peu importe leur origine.

Cependant, avec la jurisprudence de 2016, les juges donnent une nouvelle interprétation, puisqu’ils affirment que le caractère professionnel des courriers doit être exclu du fait de la détermination objective du caractère personnel de ces courriers émanant de la messagerie personnelle du salarié.

On voit ici que la Cour tempère les propos utilisés dans l’arrêt de 2013 et revient à une présomption plus simpliste ressemblant à l’arrêt Nikon de 2001. Cependant, il convient tout de même d’ajouter une petite nuance puisque les faits de l’arrêt de 2013 ne sont pas exactement les mêmes que ceux de 2016.

Dans l’arrêt de 2016, l’employé n’avait pas enregistré sur le disque dur ses messages contrairement à l’arrêt de 2013 et l’arrêt Nikon de 2001. Une partie de la doctrine considère alors que l’une des conditions d’application de la présomption personnelle est que les courriers en cause ne soient pas enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel.

Cependant, rien n’est encore bien sûr et finalement cette interprétation redéfinit une fois encore l’application pour les salariés et les employeurs du principe fondamental du secret des correspondances et plus généralement du droit fondamental au respect de la vie privée.

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