En droit français, un arrêt de principe est une décision rendue par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et à travers laquelle une ligne de conduite générale qui vise à mieux résoudre tous les cas similaires qui se poseront dans l’avenir est prise. On y dénote un principe d’application générale qui sert de modèle dans la résolution de pareils cas dans l’avenir.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les magistrats se retrouvent, parfois face à un problème de droit nouveau, qui ne s’était jamais présenté à eux auparavant. Malgré la source jurisprudentielle florissante et les diverses décisions rendues, ils sont obligés de résoudre le nouveau problème isolément.
Cette situation nouvelle demande une réponse nouvelle et dès lors la décision rendue devient pour l’avenir un modèle que pourront suivre les autres juridictions. Cette question du droit est souvent résolue par un arrêt de principe.
Pour dire les choses autrement, la cour de cassation française ou le Conseil d’État à travers un arrêt de principe procèdent à l’interprétation d’une règle de droit. L’objectif final visé consiste à parvenir à une uniformisation de la règle voire sa codification.
L’arrêt de principe peut intervenir non seulement lors des arrêts de cassation, mais aussi lors de certains arrêts de rejet.
Présenté de cette façon, on peut se demander donc : qu’est-ce que c’est que l’arrêt de principe ? Comment le reconnait-on ? On peut même chercher à décortiquer quelques arrêts de principe en vue de voir leur mode général de fonctionnement.
C’est justement le but de notre présentation : mieux comprendre l’arrêt de principe et le distinguer facilement de la multitude d’arrêts qui existent.
Pour y parvenir, nous allons dans une première partie apporter quelques clarifications liées à la notion d’arrêt de principe. Ensuite dans une deuxième partie, beaucoup plus pratique, nous allons présenter certains arrêts de principe majeurs en droit français que ce soit dans les domaines du droit privé ainsi que dans le droit public.
Clarification sur l’arrêt de principe
L’arrêt de principe : Définition
Définition de l’arrêt de principe
Tout arrêt de principe provient d’une haute juridiction et représente une décision rendue par celle-ci en vue d’exprimer une solution à un problème juridique. Cette solution est souvent de portée générale et est appelée à régir les nouveaux cas analogues qui se poseraient aux juges des cours et tribunaux.
De façon plus claire, l’arrêt de principe fait recours à une solution générale que rend une haute juridiction et qui sert de ligne directrice aux prochains cas similaires. Quand on parle de haute juridiction, on fait recours spécifiquement à la Cour de cassation et au Conseil d’État. La première est une juridiction de l’ordre judiciaire tandis que la seconde est une juridiction de l’ordre administratif (Lire : Organisation juridictionnelle française). Les deux étant des organes suprêmes dans chacune de leur branche.
Exemple pratique :
A titre illustratif, on peut considérer le cas où la cour de cassation en 1992 a retenu qu’une personne transsexuelle peut à certaines conditions obtenir la modification de son état civil. Cette position de la Cour de cassation devient une décision transposable à tous les cas d’espèce similaires.
Dès lors qu’une personne transsexuelle veut obtenir la modification de son état civil, il suffit de faire appel à la jurisprudence et à la solution qu’avait apportée le juge national au premier cas (celui ayant consacré le principe).
Distinction entre l’arrêt de principe et les autres arrêts
Pris dans ce sens, l’arrêt de principe s’oppose à d’autres arrêts. Il est donc important de faire ressortir les éléments de distinction.
Arrêt de principe et arrêt d’espèce
L’arrêt d’espèce n’a pour autre rôle que de trancher une question bien définie dans une affaire précisément identifiée sans pour autant avoir vocation à être étendue à d’autres affaires. L’arrêt d’espèce n’a de portée que dans le cadre du litige qui oppose les parties. La portée de l’arrêt de principe, a contrario, est générale, s’appliquant aussi bien pour un litige actuel, mais aussi pour des litiges similaires à venir.
Par ailleurs alors que l’arrêt de principe est souvent publié et commenté par les professionnels du droit (il fait aussi évoluer la doctrine), l’arrêt d’espèce ne l’est que rarement. La publication est faite soit au bulletin des arrêts des chambres civiles (première chambre, deuxième chambre et troisième chambre) ou celui de la chambre criminelle.
Arrêt de principe et arrêt de règlement
Aucune haute juridiction en France (Cour de cassation ou Conseil d’État) n’a la possibilité de rendre un arrêt de règlement : c’est l’article 5 du Code civil qui le dit. Et effet, la Cour ne peut se mettre à la place du législateur et aucune décision rendue par une cour ne peut être directement applicable à d’autres affaires.
Par conséquent, et en référence à l’autorité de la chose jugée relative aux décisions rendues par la cour, une décision de justice n’a d’effet contraignant que pour l’affaire en cours et non les autres affaires à venir.
L’arrêt de principe n’a donc pas de force contraignante et n’est qu’une invitation des juridictions judiciaires inférieures (cour d’appel, tribunal de grande instance, conseil de prud’hommes, etc.) à statuer dans un même sens, lorsque confrontées à des cas similaires.
Cependant, la pratique des arrêts de principe continue de déranger du point de vue des sources du droit. Une étude plus détaillée permet de se demander si la pratique des arrêts de principe ne méconnait pas tout de même prohibition des arrêts de règlement.
En réalité, l’arrêt de principe ne pose qu’un principe que la Cour de cassation compte réitérer dans toutes les affaires similaires. Autrement dit, là où l’arrêt de règlement adopte une règle juridique qui s’impose, l’arrêt de principe ne retient qu’une solution qui pourra être reconduite.
Mais à vrai dire, il faut reconnaître que le résultat est presque identique puisqu’en effet une décision qui s’écarterait du principe ou de la règle imposée subira une cassation et c’est ce qui fait dire à beaucoup que la position du droit français qui prohibe les arrêts de règlement et qui admet les arrêts de principe semble quelque peu hypocrite.
Toutefois, il faut préciser aussi qu’il existe des cas particuliers où un arrêt de la cour d’appel va à l’encontre d’une décision antérieure de la haute juridiction et malgré ce point est confirmé par la Cour après pourvoi en cassation fait par le demandeur. Il s’agit des cas spéciaux de revirement de la jurisprudence.
Identification de l’arrêt de principe
Pour reconnaitre l’arrêt de principe, il faut se baser sur certains indices. Il existe des indices généraux et des indices propres à l’arrêt de principe lui-même.
Les indices généraux d’identification de l’arrêt de principe
L’arrêt de principe présente une solution nouvelle
Il s’agit du premier indice important qui permet de distinguer l’arrêt de principe des autres types d’arrêts. Lorsqu’une question est tranchée pour la première fois, la décision qui intervient a vocation à constituer un arrêt de principe. Pour trancher d’autres cas analogues, les juges du fond ne se baseront que sur la solution de la Cour de cassation dans l’arrêt de principe.
L’arrêt de principe est diffusé
C’est un autre critère majeur d’identification de l’arrêt de principe. En effet, la diffusion d’un arrêt peut permettre de déduire qu’il constitue un arrêt de principe. On tiendra aussi compte de la diffusion donnée à l’arrêt.
En effet, toutes les décisions rendues par la Cour de cassation n’ont pas la même attention médiatique. Lorsqu’un arrêt de principe est rendu, il est souvent publié et diffusé sur le site internet de la Cour de cassation. La publication se fait dans le bulletin d’informations de la Cour de cassation.
L’arrêt de principe est énormément commenté
La doctrine est aussi appelée à se prononcer sur l’arrêt de principe. Aussi, les praticiens et théoriciens du droit sont appelés à proposer un commentaire d’arrêt visant à l’expliquer. Par ailleurs, le juge de cassation peut également commenter l’arrêt dans un rapport annuel de la Cour.
Ainsi, lorsqu’une telle attention est donnée à un arrêt et qu’il fait l’objet d’étude diversifiée, il est fort probable que l’on soit en présence d’un arrêt de principe.
Les indices intrinsèques à l’arrêt de principe lui-même
Certains critères sont propres à l’arrêt rendu lui-même.
Lieu d’émanation de l’arrêt
- L’arrêt de principe provient d’une haute instance juridictionnelle
Ni les jugements rendus par le Tribunal de Grande Instance ni les arrêts de la cour d’appel ne peuvent permettre de consacrer un arrêt de principe. Ce n’est que lorsque l’arrêt est rendu par la Cour de cassation ou le Conseil d’État qu’on parlera d’arrêt de principe.
Ceci se comprend en ce sens que c’est la Cour de cassation qui est la seule juridiction de l’ordre judiciaire détenant l’autorité judiciaire nécessaire pour rendre des décisions pouvant orienter les autres juges dans des cas futurs.
Il en va de même pour le Conseil d’État qui, dans le domaine administratif, est le seul qui détient autant de pouvoir pour influencer les autres juges du domaine au moment où des cas similaires surviendraient.
- L’arrêt de principe est rendu soit par une Assemblée plénière, soit par une chambre mixte
Il est important de regarder aussi la chambre d’où émane l’arrêt rendu. Il y a plus de chances qu’on soit en présence d’un arrêt de principe quand on sait qu’il s’agit d’un arrêt de l’assemblée plénière ou de la chambre mixte de la haute juridiction.
Exception à la règle : Il existe des arrêts de principe rendus par des chambres ordinaires. Tel est le cas de l’arrêt Chronopost qui fera l’objet d’une étude approfondie dans la partie 2.
Mais comment fonctionnent la chambre mixte et l’assemblée plénière ?
Lorsqu’un pourvoi en cassation est fait, il est réparti entre différentes formations de la Cour de cassation. Soit c’est une formation ordinaire qui s’en occupe, soit c’est une formation solennelle.
En parlant des formations ordinaires, en matière pénale, c’est la chambre criminelle qui est compétente pour résoudre une question de droit pénal. Pour les affaires civiles, la cour est constituée d’une première chambre civile, d’une deuxième chambre civile et d’une troisième chambre civile. On y distingue également une chambre sociale et une chambre commerciale.
Chacune des chambres des formations ordinaires dispose d’une compétence qui lui est spécifique et qui se distingue de celle de l’autre. De la même manière, la procédure devant chaque chambre n’est pas identique. Ainsi devant la chambre criminelle, il sera question de procédure pénale alors que devant les chambres civiles c’est la procédure civile qui est le plus souvent mise en mouvement.
- La chambre mixte
Quand une question rentre dans le domaine de plusieurs chambres, c’est la chambre mixte qui se réunit pour la résoudre. Lorsque la question dépend déjà de deux des chambres, la chambre mixte est habilitée à se réunir en vue de la connaitre.
Dans sa composition, la chambre mixte doit comporter des magistrats qui interviennent au minimum dans trois chambres de la Cour de cassation. À côté des treize magistrats que compose la chambre mixte, le concours d’un avocat général peut être également sollicité en vue d’apport d’avis et de suggestion à la Cour de cassation.
- L’assemblée plénière
L’assemblée plénière quant à elle se réunit lorsqu’un second pourvoi en cassation est fait. Ceci est le cas lorsqu’il y a non-conformité entre la position de la cour d’appel de renvoi et les solutions rendues par la Cour de cassation. Autrement dit, lorsqu’après le premier pourvoi en cassation, un second est formé, c’est l’assemblée plénière qui est habilitée à se réunir pour connaitre de la question.
Par ailleurs, lorsque l’affaire fait référence à un cas d’arrêt de principe, c’est également l’assemblée plénière qui est compétente pour la résoudre. Enfin, tout comme la chambre mixte, l’assemblée peut se réunir dès lors que le problème juridique à résoudre dépend de plusieurs chambres.
Le schéma ci-dessous permet de présenter les formations de la Cour de cassation.
Le type d’arrêt rendu
Il est impérieux de faire attention aussi à la nature de l’arrêt. Autrement de chercher à savoir si l’on est en présence d’un arrêt de cassation ou d’un arrêt de rejet. On est plus souvent face à un arrêt de principe quand on a affaire à un arrêt de cassation.
En effet, au cours d’un arrêt de rejet, la Cour de cassation adopte la position de la cour d’appel qu’elle confirme. Or nous l’avons dit, les cours d’appel ne peuvent rendre des arrêts de principe. Elles statuent généralement en considérant la jurisprudence de la Cour de cassation. Ce qui implique la difficulté de rencontrer des arrêts de rejet résolvant des problèmes de droit nouveau.
Exception à la règle : Quand bien même que ce serait rare, certains arrêts de rejet peuvent toutefois être des arrêts de principe : Exemple de l’arrêt Jacques Vabre (Cour de cassation, chambre mixte, 24/05/1975, 73-13.556, publié au bulletin). Voici le cas d’un arrêt de rejet qui est pourtant un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation (précisément par sa chambre mixte le 24 mai 1975).
À travers cet arrêt, la Cour de cassation admet que le droit communautaire dispose d’une primauté sur le droit interne. À cet effet, le Droit européen se retrouve au-dessus des lois nationales éditées avant ou après l’adoption de texte communautaire particulier.
L’intérêt de cet arrêt de principe est que désormais le juge a la capacité de faire un contrôle de conventionnalité des lois adoptées par le législateur français. Dans un autre sens, il peut contrôler si une norme relevant du droit interne français est en conformité avec une norme communautaire.
La structure de l’arrêt de principe
L’un des critères de repérage d’un arrêt de principe est de faire attention à sa structure. Autrement dit, il faut se poser certaines questions :
- Est-ce que l’arrêt comporte un chapeau ?
Le chapeau ici fait référence à l’attendu de principe qui coiffe l’arrêt. Il s’agit d’un attendu formulé de manière générale.
- Est-ce qu’il comporte le visa d’un texte général :
Il est question ici des visas dans les arrêts de cassation.
Comme nous l’avons souligné préalablement, il peut s’agir aussi bien d’un arrêt de rejet (et l’attendu de principe est précédé de la mention « mais attendu que l’arrêt », ou d’un arrêt de cassation et l’attendu de principe est alors précédé du visa et de l’expression « attendu que la cour »).
Dans un arrêt de rejet, les indices qui montrent clairement qu’on est en présence d’un arrêt de rejet, c’est lorsque la Cour de cassation opère une substitution de motifs. Dans d’autres cas encore, il faut examiner certaines expressions utilisées par la Cour. Ces expressions permettent à la Cour de cassation de marquer qu’elle est particulièrement d’accord avec la cour d’appel, si elle avait à le dire, elle l’aurait dit exactement comme cela.
Le tableau ci-dessous permet de présenter le cas illustratif de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 15 avril 2011. Cet arrêt se réfère à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article pose le fondement juridique du droit à un procès équitable.
Analyse des cas d’ouverture à cassation
Il faut aussi regarder les cas d’ouverture à la cassation. Lorsqu’il y a un défaut de base légale, ou qu’il n’y a pas de violation d’une loi ou encore un défaut de motif, il ne s’agit pas alors des marques d’arrêt de principe. En revanche lorsqu’on est en présence de violation de la loi (cas où le demandeur au pourvoi trouve que la décision de la cour d’appel n’est pas conforme à la loi), on a plus des indices présentant un arrêt de principe.
Toutefois, rappelons ici qu’il n’existe pas en droit français de principe du précédent qui signifie qu’un revirement de jurisprudence est toujours possible même lorsque la Cour de cassation pose un arrêt de principe. Les cours de cassation ont la possibilité de revenir sur une jurisprudence antérieure.
Les autres clarifications autour de l’arrêt de principe
Les apports de l’arrêt de principe pour le droit
Lorsque la Cour de cassation rend un arrêt de principe en cassant une décision attaquée, elle permet au droit d’être plus précis. Autrement dit, chaque arrêt de principe est utile pour l’accessibilité du droit. C’est notamment le cas lorsque les textes sont lacunaires. On admet même qu’un arrêt de principe puisse avoir quasiment la même valeur qu’une règle de droit posée par un texte.
Différence de terminologie entre juge administratif et juge judiciaire
En droit commun, les arrêts des cours (cassation ou appel) sont motivés dans les « attendus ». Par contre, lorsqu’on se situe sur le domaine du droit administratif, on parle de « considérants » en lieu et place des « attendus ». Quel que soit le terme utilisé par la juridiction administrative ou judiciaire, il faut comprendre qu’il est question des motifs de l’arrêt.
Présentation de quelques arrêts de principe en droit français
Il existe des arrêts de principes dans tous les domaines du droit, que l’on soit en droit pénal, en droit administratif ou en droit international. Nous allons présenter quelques arrêts de principe en droit privé et en droit public dans la partie suivante.
Les arrêts de principe en droit privé
Un arrêt de principe en droit des obligations : Arrêt Chronopost
Cet arrêt fut rendu le 22 octobre 1996. Ce jour-là, la Cour de cassation sanctionne pour la première fois les clauses limitatives de responsabilité.
Contexte de l’arrêt
Le principe général qui prévaut dans un contrat est que les parties s’engagent l’une envers l’autre. Par exemple, le vendeur doit remettre la chose et l’acheteur doit payer le prix équivalent. Lorsqu’une partie porte grief à l’autre en manquant d’exécuter son obligation alors elle engage sa responsabilité contractuelle, c’est l’article 1147 du Code civil qui le précise.
Cette responsabilité peut le conduire à payer des dommages et intérêts pour indemniser le préjudice subi par l’autre partie du fait de l’inexécution. C’est pour réduire l’effet de cette sanction qu’intervient la clause limitative de responsabilité.
Cette clause, servant généralement de sécurité juridique, est inscrite dans le contrat par les parties et sert à plafonner le montant des dommages et intérêts qui sont dus par la partie défaillante. Mais cette clause est-elle sans limites ? C’est à ce moment-là qu’intervient la jurisprudence Chronopost.
Résumé de l’arrêt : Fait, problème juridique et solution du juge
Une entreprise ayant le désir de candidater à un appel d’offres en vue de remporter un marché devait déposer un dossier avant une date précise. La société pour s’assurer d’être dans les temps s’est adressée à Chronopost qui s’engageait à livrer le pli avant le lendemain midi.
Malheureusement, ladite lettre n’est pas parvenue à temps au lieu de destination, ce qui a entrainé pour l’entreprise la perte du marché. Considérant que Chronopost avait failli à son obligation, l’entreprise l’assigne en responsabilité contractuelle devant une juridiction de droit civil.
Or, Chronopost avait déjà couvert ses arrières en insérant et en invoquant une clause limitative de responsabilité inscrite au contrat ne l’engageant qu’à hauteur de 122 francs.
En appel, le juge admet le manquement par la société Chronopost de son obligation de livrer à temps, mais ne conteste pas la clause limitative de responsabilité au motif que Chronopost n’a pas commis de faute lourde.
Devant la Cour de cassation, les magistrats optent pour une autre solution et affirment que le choix de l’entreprise avait été guidé par la promesse d’une livraison rapide.
Par ailleurs, la contrepartie de 122 F était dérisoire au regard du préjudice subi par l’entreprise qui avait perdu son contrat. Ainsi, la Cour de cassation casse et annule la décision rendue en appel.
La Cour a affirmé que la rapidité de l’expédition était une obligation essentielle du contrat dans la mesure où l’entreprise avait fait la démarche de payer un prix plus important pour s’assurer que la lettre soit bien acheminée à temps.
Il en ressort que cette clause qui allait à l’encontre de l’obligation essentielle du contrat sera considérée comme sans effet pour les parties. Le choix de l’entreprise avait été grandement guidé par l’assurance de rapidité de l’expédition.
Cette jurisprudence a été suivie d’une saga juridique importante avant de recevoir une consécration légale en entrant dans le Code civil.
Un arrêt de principe en Procédure civile : Arrêt Césaréo
Cet arrêt fut rendu le 7 juillet 2006 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. À travers cet article fut consacré le principe de concentration des moyens en procédure civile.
Contexte de l’arrêt
Cet arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation pose pour la première fois dans la procédure civile française le principe de concentration des moyens. En effet, un demandeur qui invoquerait un second fondement juridique alors que ses deux demandes présentent une identité de cause se verrait désormais opposer le principe d’autorité de chose jugée faisant obstacle à la recevabilité de sa demande. Ce principe de concentration des moyens pèse bien sûr sur le demandeur.
Résumé de l’arrêt : Fait, problème juridique et solution du juge
Mr Césaréo se prétendait titulaire d’une créance de salaire différée sur la succession de son père pour avoir travaillé sans rémunération au service de celui-ci. En vue de réclamer le paiement de ladite créance, Mr Césaréo a assigné son frère en justice. Celui-ci était à ce moment précis le seul autre cohéritier du défunt.
Les juges du premier degré l’ont débouté de sa demande au motif que l’activité professionnelle litigieuse n’avait pas été exercée au sein d’une exploitation agricole. Mr Césaréo décida alors d’assigner une nouvelle fois son frère en paiement de la même somme d’argent, mais cette fois-ci sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Par un arrêt du 29 avril 2003, la cour d’appel d’Agen a accueilli la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée attachée au jugement rejetant la première demande. Monsieur Césaréo forme alors un pourvoi en cassation. La question qui se pose à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est la suivante : une demande s’appuyant sur un fondement juridique nouveau, mais présentant une identité de parties, d’objets et de faits, avec une demande initiale est-elle recevable ?
Par un arrêt rendu en date du 7 juillet 2006, la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation formé par Mr Césaréo. En effet, les deux demandes de Mr Césaréo présentaient une identité de cause résultant de la demande de paiement d’une somme d’argent à titre de rémunération d’un travail prétendument effectué sur contrepartie financière.
Il ne pouvait plus invoquer un nouveau fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever lors de sa première demande. Ainsi, sa demande se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation.
Intérêt de l’arrêt
L’intérêt du principe de la concentration des moyens est d’éviter ici les contestations et une multiplication des procès. Cette décision va ainsi dans le sens de la célérité du délai raisonnable du procès. Il s’agit également de lutter contre une insécurité juridique puisque le plaideur doit présenter tous ses arguments dès la première instance et ne pourra pas surprendre l’autre partie par un nouveau moyen. Cela renforce donc le principe de loyauté et de droit de la défense en procédure civile.
Les arrêts de principe en droit public
Un arrêt de principe en droit public : Arrêt Blanco
Il s’agit d’un arrêt rendu par le tribunal des conflits en date du 8 février 1873. Cet arrêt est reconnu comme l’arrêt fondateur du droit administratif.
Contexte de l’arrêt
Pendant longtemps l’État ne pouvait être tenu responsable pour les dommages occasionnés aux tiers. Ceci se déduisait de sa mission de service public qui le conduisait, au nom de l’intérêt général, à faire montre de certaines prérogatives exorbitantes de l’administration.
Lire aussi : Notre cours complet sur le principe de l’arrêt Blanco du 8 février 1873.
Résumé de l’arrêt : Fait, problème juridique et solution du juge
Dans cette affaire, une jeune fille Agnès Blanco a été renversée par un wagonnet d’une manufacture de tabac exploitée directement par l’État. Son père Jean Blanco avait saisi les tribunaux judiciaires pour une condamnation de l’État à des dommages et intérêts. Il voulait tenir l’État pour responsable des fautes commises par les ouvriers en son nom.
Le litige s’est retrouvé devant le tribunal des conflits qui devait déterminer quel ordre juridictionnel était compétent sur la question. Par finir, le Tribunal des conflits a attribué compétence aux tribunaux administratifs.
Par cet arrêt, la cour a consacré la responsabilité générale de l’État. Cependant, cette responsabilité de l’État demeure un régime spécifique parce que la responsabilité étatique ne peut être fondée sur les principes du Code civil pour des rapports de particulier à particulier. Il faut donc affirmer un régime spécial que seule la juridiction administrative peut connaître.
En outre, le tribunal du conflit vient dans cet arrêt affirmer le principe de la liaison de la compétence et du fond, ce qui voudrait signifier qu’il y a un lien entre le fond du droit applicable à une affaire et la compétence du tribunal administratif. En d’autres termes, si le droit applicable à une affaire relève du droit administratif, alors c’est la juridiction administrative qui sera celle compétente pour connaitre de l’affaire.
Enfin, l’arrêt Blanco reconnait le service public comme le critère de compétence des tribunaux administratifs.
Un arrêt de principe ayant eu des répercussions en droit international : Arrêt Perruche
Contexte de l’arrêt
L’affaire Perruche est relative à l’indemnisation d’un enfant né et atteint d’un handicap incurable suite à une faute médicale qui a privé sa mère de recourir à une interruption volontaire de grossesse.
Lire : Notre cours complet sur le principe de l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000.
Résumé de l’arrêt Perruche : Fait, problème juridique et solution du juge
Josette Perruche est atteinte de la Rubéole, maladie bénigne pour l’adulte, mais potentiellement grave pour un fœtus. Enceinte, elle demande à son médecin de pratiquer des tests pour éventuellement procéder à une interruption médicale de la grossesse en cas de résultat positif. D’après les tests réalisés par le laboratoire et confirmés par le médecin, son fœtus ne serait pas atteint par cette maladie.
Cependant quelques mois après sa naissance, le nouveau-né Nicolas a la rubéole avec ses symptômes, de graves troubles neurologiques et visuels, une surdité et une atteinte cardiaque.
Les parents débutent alors une procédure visant à engager la responsabilité du médecin et du laboratoire. Les juges du fond, que ce soit en première instance ou en appel, estiment que le préjudice des parents doit donc être réparé, mais ne reconnaissent pas le préjudice subi par l’enfant.
Les parents de Nicolas forment alors un pourvoi en cassation et le 16 mars 1996, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en estimant que les fautes médicales ont généré le dommage subi par l’enfant. L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel d’Orléans qui résiste en refusant d’indemniser l’enfant et en retenant que celui-ci ne subit pas le préjudice d’une faute commise par le médecin.
Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation renie solennellement en assemblée plénière casse et annule l’arrêt de la cour d’appel et condamne le médecin à réparer le préjudice de l’enfant et des parents.
La loi du 4 mars 2002, loi Kouchner, fut adoptée pour briser la jurisprudence Perruche. Cette loi, qui avait un effet rétroactif, vient sonner le glas de la jurisprudence antérieure en décidant que le préjudice de l’enfant et le préjudice matériel des parents ne pouvaient plus être réparés par la voie de la responsabilité, mais par celle de la solidarité nationale.
Sanction de la France par la CEDH
Rentre alors en jeu, le 6 octobre 2005, la Cour européenne des Droits de l’Homme qui a condamné la France par rapport à la loi anti Perruche. Le 24 janvier 2006, la France se retrouve confrontée à une affaire similaire.
Il se posait la question de savoir si les juges français allaient prendre en considération la condamnation faite par la Cour européenne des Droits de l’Homme quelques mois plus tôt. C’est ce que fit la Cour de cassation à travers trois arrêts dans lesquels elle a suivi la décision de la CEDH : la loi anti-Perruche ne s’appliquera jamais.
Position du Conseil constitutionnel
Le 24 février 2006, le Conseil constitutionnel décide d’adopter la même position que la Cour de cassation. Enfin depuis le 1er mars 2010, il est possible de formuler une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui permet de contester la validité d’une disposition légale au regard d’une disposition constitutionnelle. C’est dans ce sens que les toutes premières QPC étaient relatives à la loi anti-Perruche. L’objectif visé était de rendre la loi anticonstitutionnelle aux fins de son abrogation.
Le 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel fait une censure partielle de la loi anti-Perruche. Ainsi si l’action en justice a débuté avant l’entrée de la loi anti-Perruche, alors la naissance reste un préjudice indemnisable. A contrario si l’action en justice a débuté après son entrée en vigueur, la naissance n’est plus alors un préjudice indemnisable.