En quoi l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 est-il un arrêt majeur en droit de la responsabilité civile ?

Arrêt Costedoat

L’arrêt Costedoat du 25 février 2000 est un arrêt fondateur en droit de la responsabilité civile et plus précisément dans l’édification de la responsabilité des commettants du fait des préposés.

La responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’autorité exercée sur autrui donne naissance à l’hypothèse de la responsabilité de plein droit des commettants du fait de leurs préposés.

Elle était prévue à l’ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil qui disposait que l’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde».

Le présent arrêt Costedoat rendu le 25 février 2000 par l’Assemblée plénière s’inscrit dans une jurisprudence de construction de la responsabilité des commettants du fait des préposés et notamment du concept de l’immunité au bénéfice de ces derniers.

C’est ainsi que l’arrêt Rochas de la chambre commerciale du 12 décembre 1993 sert d’appui à l’argumentation du présent arrêt. La Haute juridiction décide à l’époque qu’« aucune faute personnelle susceptible d’engager leur responsabilité n’était caractérisée à l’encontre de ces préposés dans la réalisation des actes dommageables ».

L’arrêt Costedoat s’en distingue, car le temps de maturation permet à la jurisprudence d’affirmer une véritable immunité des préposés. Désormais, la victime, en l’absence de la responsabilité personnelle du préposé, peut engager uniquement un recours contre le commettant.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Costedoat ?

Une société spécialisée fait procéder à des travaux d’épandage d’herbicide par hélicoptère. L’épandage est effectué par le pilote. Des produits chimiques constituant l’opération atteignent un fonds voisin et endommagent des végétaux.

La victime des produits chimiques demande alors réparation aux propriétaires des parcelles traitées à la société chargée des travaux. Cette demande de réparation se fonde sur l’ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil.

Il entend, par la même demande, engager également la responsabilité du fait personnel du salarié qui pilotait l’hélicoptère.

Il se basait sur l’ancien article 1382 du Code civil qui prévoyait que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

Néanmoins, l’employeur du pilote devient insolvable. La victime a donc plus intérêt à voir le pilote condamné sur le fondement de sa responsabilité personnelle.

Une cour d’appel d’Aix-en-Provence, par son arrêt confirmatif du 26 mars 1997, retient la responsabilité du pilote qui selon elle, « aurait dû, en raison des conditions météorologiques, s’abstenir de procéder ce jour-là à des épandages de produits toxiques ».

Insatisfait de la décision de la cour d’appel, le pilote forme un pourvoi en cassation. Il considère qu’en n’excédant pas les missions confiées par la Société Gyrafrance, il n’engage pas sa responsabilité.

Quels sont les prétentions des parties et le problème de droit de l’arrêt Costedoat ?

Les prétentions du pilote mis en cause consistaient à orienter le débat vers les rapports qui le lient à son employeur.

En effet, il soutient ne pas avoir dépassé le cadre de ses missions dans cette opération d’épandage. Il tente par ce moyen de mettre en avant sa qualité de préposé. Le lien de préposition implique, selon la jurisprudence la responsabilité de plein droit mise à la charge des commettants par l’ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil qui suppose que ces derniers aient le droit de faire acte d’autorité en donnant à leurs préposés des ordres ou des instructions sur la manière de remplir à titre temporaire ou permanent, avec ou sans rémunération, les emplois qui leur ont été confiés pour un temps et un objet déterminés (Cass Criminelle, 14 juin 1990, Cass 2e chambre civile 17 décembre 1964).

À cela, la cour d’appel oppose des considérations factuelles tenant notamment à la situation météorologique et à la liberté d’action du pilote. Elle considère qu’au regard de ces éléments, le pilote qui ne s’est pas abstenu de procéder à un épandage ce jour-là commet une faute engageant sa responsabilité civile.

Il est donc soumis à la Haute Juridiction la question de savoir si un préposé qui a agi en ne dépassant pas la limite du cadre de ses fonctions engage sa responsabilité personnelle.

Voir aussi : L’apport majeur de l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000 en matière de responsabilité civile. Suivez le lien pour consulter les commentaires de l’arrêt ainsi que ses principes et ses limites.

La solution dégagée par l’arrêt Costedoat

Par cet arrêt du 25 février 2000, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.

Il est décidé aux visas des anciens articles 1382 et 1384 alinéa 5 du Code civil qu’ « alors qu’ il n’était pas prétendu que M. Y… eût excédé les limites de la mission dont l’avait chargé la société Gyrafrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés». Elle reforme par ces termes, l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu la responsabilité du préposé.

Elle fonde son raisonnement sur l’incompatibilité entre liberté d’action et lien de préposition, de telle sorte que le pilote soumis aux ordres de son employeur n’ait pu exprimer la moindre marge de manœuvre. Sa responsabilité en est, par conséquent, neutralisée. On parle de la création d’une immunité du préposé.

L’immunité du préposé ne peut être appréhendée sans mentionner la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés.

La responsabilité du commettant établie celle du préposé, on devrait pouvoir concevoir que celui-là ait à répondre, sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 5 (article depuis la réforme de droit commun de 2016 1242 du Code civil), non seulement des dommages imputables au fait personnel de celui-ci, mais également des dommages dus au fait d’une chose dont le préposé avait la garde. Un tel schéma, très courant en pratique, donnerait donc lieu à l’application cumulative des alinéas 1er et 5 de l’ancien article 1384 du Code civil.

La personne qui souhaite mettre en cause la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés doit établir un rapport de subordination entre le responsable direct de l’origine du dommage et le commettant : le préposé doit avoir réalisé le dommage en exécutant une mission sous les ordres et la direction de l’assuré, qui est donc le commettant.

Le médecin peut ainsi être un commettant occasionnel, s’il n’est pas salarié, et engager alors sa responsabilité, lorsque du personnel est mis à sa disposition pour un acte médical. Selon la jurisprudence, il y a alors un transfert d’autorité ; il peut en être de même en cas de travail en équipe médicale lorsque le malade n’a pas directement contracté avec chaque membre de l’équipe : le chef de l’équipe est responsable civilement des praticiens, qu’il s’est substitué dans l’exécution de son obligation contractuelle.

Il faut cependant souligner que la jurisprudence s’y oppose fermement. Elle considère, par exemple, que cet état de subordination qui caractérise le préposé est incompatible avec les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle que doit exercer le gardien d’une chose inanimée.

Ce principe de l’incompatibilité des qualités de préposé et de gardien conduit donc les tribunaux, lorsque le dommage a été causé par une chose utilisée par le préposé, à retenir la responsabilité du commettant, non sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 5, mais en tant que gardien de ladite chose (Cass chambre civile du 27 févr. 1929).

Le domaine de la responsabilité des commettants se trouve ainsi amputé en principe de toutes les hypothèses dans lesquelles le préposé a causé le dommage par son fait ou par l’intermédiaire d’une chose. Le lien de préposition qui place le préposé sous la dépendance du commettant l’empêche d’exercer les pouvoirs pouvant établir une réelle responsabilité personnelle.

L’immunité du préposé suppose que la victime ne peut plus lui demander réparation du préjudice qu’elle subit par la faute d’un préposé. Elle ne peut actionner la responsabilité de l’employeur sous les instructions desquelles est placé le préposé. Il n’y a donc plus de place pour un partage de responsabilité. C’est la solution dégagée par l’arrêt Costedoat qui institue une immunité en faveur du préposé agissant « sans excéder les limites de ses fonctions ». Désormais, il n’engage plus sa responsabilité à l’égard des tiers pour des actes qui relèvent du cadre de ses attributions.

En l’espèce, le pilote qui a agi en respectant les instructions de son employeur et en procédant à ce traitement herbicide au jour demandé par lui, ne dépasse pas la sphère de ses fonctions et peut, par conséquent, bénéficier de l’immunité. Il a été précisé ultérieurement que seul le terrain de la responsabilité délictuelle permet d’invoquer la présente immunité à l’instar de la responsabilité contractuelle (Cass Civ 1ère 9 avril 2002).

Quelle est la portée l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 de rendu en Assemblée plénière ?

L’immunité du préposé supposerait donc que son fait dommageable ait été accompli sous l’autorité du commettant, qu’il ait agi, au moment du fait dommageable, en situation de dépendance, conformément aux ordres et aux instructions que lui avait donnés ce dernier ; son obéissance constituerait alors un fait causal justificatif de sa faute, justifiant son irresponsabilité personnelle.

Si l’idée d’autorité du commettant était le critère de l’immunité, il faudrait en déduire, selon la Cour de cassation, que faute de situation de dépendance du préposé, son immunité devrait être exclue. C’est ainsi que, la première chambre civile de la Haute juridiction subordonnait donc « l’application de la jurisprudence Costedoat à l’exigence d’un lien de préposition exclusif d’une indépendance de principe » (Flour J., Aubert J.-L. et Savaux E., Droit civil, les obligations).

La jurisprudence de la Cour de cassation, dans son évolution, a étendu le bénéfice de l’immunité civile aux préposés en question (1ère chambre civile du 9 novembre 2004). Tant et si bien qu’on doit aujourd’hui constater que l’immunité civile du préposé est indépendante de l’existence d’un lien d’autorité du commettant.

Le lien entre autorité et immunité civile du préposé est, également, rompu par la règle énoncée par la Cour de cassation en vertu de laquelle le préposé est personnellement responsable si le dommage qu’il a causé procède d’une faute pénale intentionnelle et cela même s’il a agi en se conformant purement et simplement aux ordres du commettant (arrêt Cousin de l’Assemblée plénière 1 décembre 2001). Cette décision au fort retentissement a appelé à un affinement.

La jurisprudence a précisé que toutes les infractions pénales étaient visées par la précédente règle (2e chambre civile 21 février 2008). Quand elle aboutit à la commission d’une faute pénale intentionnelle, l’obéissance du préposé aux ordres donnés par le commettant, sa soumission à l’autorité de ce dernier, n’est donc pas un fait justificatif lui permettant de bénéficier de l’immunité civile de principe accordée par la Cour de cassation aux préposés.

Au fond, on pressent que l’idée qui a inspiré ici la Cour de cassation est que, au-delà d’un certain seuil de gravité de la faute commise par le préposé, le dommage ne peut plus être appréhendé comme un risque de l’entreprise, devant en tant que tel être juridiquement supporté par celle-ci, et que le préposé doit répondre personnellement des actes qui ne peuvent pas être considérés comme des risques normalement inhérents à l’activité de l’entreprise.

En revanche, l’idée d’autorité réapparaît avec cette autre règle énoncée par la Cour de cassation selon laquelle, même en cas de faute pénale non intentionnelle, le préposé qui viole délibérément une obligation particulière de prudence et de sécurité est personnellement responsable si « il supporte la responsabilité des manquements aux règles de sécurité aux lieux et places de l’employeur » (Cass Crim, 28 mars 2006).

Ainsi, la responsabilité personnelle du préposé supposerait, en cas de faute pénale non intentionnelle, un transfert d’autorité du commettant au préposé. La jurisprudence la plus récente refuse désormais de tenir compte de l’indépendance dont peut disposer un salarié dans l’exercice de ses fonctions pour l’exclure du bénéfice de l’immunité civile. « On ne voit pas dès lors pourquoi il en irait autrement pour les salariés délégataires qui, de surcroît, même s’ils agissent à la place de l’employeur, ne participent pas directement, comme lui, aux profits de l’entreprise ».

Si, donc, on fait abstraction de cet élément, à savoir l’existence d’une délégation de pouvoirs dont était titulaire le préposé, la « brèche dans le statut d’immunité dont bénéfice le salarié » serait considérable, puisqu’elle serait écartée en cas de prise de risque volontaire par celui-ci et, même si l’on se réfère au visa de l’arrêt, dans les hypothèses de faute exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que le préposé ne pouvait ignorer.

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