Quel est l’intérêt de l’arrêt Cesareo rendu par la Cour de cassation en date du 7 juillet 2006 ?

Arrêt Césaréo

L’arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 rendu par la Cour de cassation en Assemblée plénière apporte d’importantes précisions sur l’autorité de la chose jugée dans le procès civil et le domaine d’application de l’identité de cause au sens de l’ancien article 1351 du Code civil.

Avec l’arrêt Cesareo, la Cour de cassation a en effet été invitée à traiter de ce sujet à propos de deux demandes successives au tribunal ; ces demandes tendant au même objet : La contestation d’une créance de salaire différé pour un travail non rémunéré et le paiement d’une somme d’argent au titre de cette créance. La particularité de ces demandes dans l’arrêt Cesareo est l’invocation d’un nouveau moyen pour appuyer la deuxième, après le rejet de la première.

Ainsi, la jurisprudence Cesareo enseigne et consacre le principe de concentration des moyens au début de l’instance. Et pour cause, elle préconise pour les parties à une instance de présenter l’ensemble des moyens qui soutiennent leur demande dès la première instance. Ce principe vise notamment une meilleure administration de la justice. En ce sens, l’arrêt Cesareo présente un intérêt certain qu’il convient de développer.

Arrêt Cesareo : Les faits et la procédure

L’arrêt Cesareo concerne un litige opposant deux frères héritiers de leur défunt père. L’un d’eux affirme être titulaire d’une créance de salaire différé sur la succession de son père, pour un travail effectué au profit de ce dernier, mais sans rémunération.

Le 28 octobre 1997, il assigne son frère, seul autre cohéritier de la succession du père, aux fins de paiement d’une somme d’argent pour le travail non rémunéré (230 mois de salaire différé, soit 663 979, 30 francs), en application du code rural. Cette requête est rejetée en première instance (jugement du 31 mars 1998), au motif que l’activité professionnelle en question dans le litige n’avait pas été exercée au sein d’une exploitation agricole.

Les dispositions relatives au contrat de travail à salaire différé prévues par le code rural en son article L.213-3 ne pouvaient donc pas s’appliquer.

Le 29 décembre 1998, le frère insatisfait assigne à nouveau l’autre pour le paiement de la même somme d’argent, cette fois sur le fondement de l’enrichissement sans cause : Action fondée sur l’enrichissement d’une personne au détriment d’une autre s’étant appauvrie, l’enrichissement étant injustifié (Pour allez plus loin, consultez les effets de l’enrichissement sans cause ici).

Ainsi dans l’arrêt Cesareo, deux demandes sont successivement présentées au tribunal pour obtenir le paiement d’une somme d’argent. La première demande a pour fondement une créance au titre d’un travail qui n’a pas reçu de contrepartie financière, tandis que la seconde demande a pour fondement l’enrichissement sans cause.

La cour d’appel d’Agen dans un arrêt rendu le 29 avril 2003 décide que le jugement du 31 mars 1998 rejetant la première demande revêt l’autorité de chose jugée. Par conséquent, elle accueille la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée.

Le demandeur forme un pourvoi en cassation. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 15 décembre 2005, renvoie l’affaire devant l’assemblée plénière.

La question de droit de l’arrêt Cesareo et les prétentions des parties

Le demandeur fait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’Agen, ses prétentions s’appuyant sur le moyen unique que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’en cas d’identité de cause, c’est-à-dire si les demandes successives sont fondées sur le même texte ou le même principe ».

Or, si sa première demande reposait sur l’application du code rural sur le salaire différé, la suivante employait l’institution de l’enrichissement sans cause. Le demandeur estime que les deux demandes ne sont pas de cause identique.

L’instance est par la suite reprise par son héritière, le demandeur étant décédé au cours de la procédure.

Pour la Cour de cassation dans l’arrêt Cesareo, il s’agissait de répondre à la question de droit suivante : un justiciable peut-il saisir le juge d’une demande ayant fait l’objet d’un jugement en présentant un nouveau moyen absent de la première instance ?

La solution de l’arrêt Cesareo rendu en date du 7 juillet 2006

La Cour de cassation réunie en assemblée plénière décide dans l’arrêt Cesareo, « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».

Selon la haute juridiction, l’identité de cause est la même pour les deux demandes successives qui tendent à obtenir paiement de la même somme d’argent pour un travail non rémunéré pendant la même période. Seul le moyen invoqué est différent, ce qui ne suffit pas à faire obstacle à l’autorité de chose jugée « dès lors que la cause de la demande demeure la même ».

Ainsi, le fondement juridique de l’enrichissement sans cause aurait dû être soulevé dans le contenu de la première demande. Par conséquent, la demande fondée sur l’enrichissement sans cause, intervenue ultérieurement, se heurte à l’autorité de chose jugée attachée à la demande initiale fondée sur la créance de salaire différé. La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel d’Agen et rejette le pourvoi formé par le demandeur.

Découvrons à présent la portée de cet arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation et son application dans le droit positif.

La portée de l’arrêt Cesareo rendu le 7 juillet 2006 par la Cour de cassation

L’enseignement de l’arrêt Cesareo va dans le sens d’une extension du principe de l’autorité de la chose jugée. L’autorité de la chose jugée s’entend de l’autorité conférée à un jugement lorsqu’il a été prononcé, sous réserve de l’exercice de voies de recours par les parties.

Elle empêche donc de revenir sur une demande qui a déjà été présentée à un juge et tranchée par celui-ci. Les juges de la Cour de cassation rappellent que pour qu’il y ait autorité de la chose jugée, des conditions doivent être remplies. (Toutes les conditions de l’autorité de la chose jugée ici)

L’ancien article 1351 du Code civil disposait : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. »

Ainsi, il faut que :

  • La chose demandée soit la même
  • La demande soit fondée sur la même cause
  • La demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité

Il doit donc y avoir identité des parties, identité de l’objet et identité de la cause. On parle ici de triple identité.

En affirmant « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci », l’arrêt Cesareo met également en exergue le principe de concentration des moyens par les parties dès la première instance.

Ce principe veut que dès l’instance initiale, le justiciable expose l’ensemble des moyens qui soutiennent sa demande, de sorte qu’un nouveau moyen présenté dans une nouvelle action pour les mêmes contestations ne pourra pas faire obstacle à l’autorité de la chose jugée, qui justifiera l’irrecevabilité de la nouvelle action.

La Cour de cassation avait déjà établi une jurisprudence sur la prise en compte du fondement juridique de la demande initiale pour apprécier l’étendue de l’autorité de la chose jugée, dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 3 juin 1994 (Cour de cassation, Assemblée plénière, 3 juin 1994, 92-12.157). Dans cet arrêt, il était question d’un litige survenu entre deux parties à un contrat de vente.

L’acheteur contestant la validité de son consentement avait vu sa demande en nullité du contrat rejetée. Il avait donc intenté une nouvelle action en annulation du contrat, en contestant cette fois le prix.

À cette dernière demande avait été opposée la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée attachée au premier jugement, à l’instar de l’arrêt Cesareo. La Cour de cassation avait confirmé la décision de la cour d’appel, en considérant que la dernière demande fondée sur le prix ne portait pas atteinte à l’autorité de chose jugée.

Le principe de concentration des moyens face à l’autorité de la chose jugée répond à plusieurs exigences. Il est nécessaire de protéger les intérêts des parties et d’assurer la sécurité juridique en évitant qu’on puisse indéfiniment relancer le procès sur la base de nouveaux moyens à l’appui de ses prétentions, et ainsi multiplier les contestations.

Les parties se doivent donc d’être diligentes dans la présentation des moyens. Elles seraient par ailleurs freinées dans d’éventuelles manœuvres déloyales visant à amplifier la querelle en ajoutant toujours plus à sa source, avec des moyens gardés en réserve.

Maîtriser la présentation des moyens sert également des objectifs tendant à la célérité de la justice et à la rationalisation des coûts des procédures. Dans la décision de l’arrêt Cesareo, la Cour de cassation emploie l’expression « en temps utile », pour constater que le demandeur « s’était abstenu » de soulever le fondement juridique qui soutenait sa demande dès l’ouverture de son action en paiement de salaire différé.

C’est là une illustration de la place du temps dans les procédures judiciaires prises dans leur globalité, et dans le procès civil en l’espèce. Le principe de concentration des moyens est devenu un instrument pour prononcer la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, afin de garantir les exigences précitées.

En outre, le juge peut relever d’office l’autorité de la chose jugée, en vertu du décret n°2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile. Plus récemment, le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2020, a encore étendu les pouvoirs du juge pour statuer sur les fins de non-recevoir.

La portée de l’arrêt Cesareo a permis de préciser davantage l’importance du temps pour la présentation des moyens de droit dans la jurisprudence postérieure. Dans un arrêt en date du 11 avril 2019 (Cour de cassation, chambre civile 2, 11 avril 2019, 17-31.785), il a de nouveau été affirmé qu’une prétention rejetée ne peut pas être soumise à nouveau au juge avec un fondement différent.

En l’espèce, il s’agissait d’époux ayant conclu une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble. L’immeuble est donné à bail avant la régularisation de l’acte authentique. Suite au décès de l’un des époux, un congé pour vente est donné aux nouveaux locataires. Les deux propriétaires décédés, les locataires assignent les enfants de la succession des propriétaires en annulation du congé pour insanité d’esprit.

Un jugement décidait de l’irrecevabilité de la demande en nullité, en ce qu’elle était réservée aux héritiers. Une nouvelle demande a été présentée dans la même instance qui avait été suspendue puis reprise. Les locataires relevaient une irrégularité dans l’acte. Cette nouvelle demande n’était pas non plus recevable, la Cour de cassation n’a pas permis que la présentation d’un nouveau moyen puisse faire juger à nouveau la même prétention.

Dans sa décision, la Cour de cassation précise que le demandeur doit exposer l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder sa demande (même solution que l’arrêt Cesareo) mais précise un critère temporel : « avant qu’il ne soit statué sur sa demande ». Le moment clé est celui où le juge statue sur la demande.

Dans le cas des locataires dans l’arrêt du 11 avril 2019, le nouveau moyen a été présenté après la reprise de l’instance. L’étau se resserre autour des parties, qui au cœur de la même instance, ne peuvent plus présenter une même prétention sur un nouveau fondement lorsqu’elle a déjà été rejetée dans cette même instance.

La portée de l’arrêt Cesareo invite les parties et leur conseil à contempler tous les aspects du litige susceptibles d’être utilisés au soutien de leurs prétentions, et surtout faire preuve d’une anticipation accrue pour l’avocat. Il pourrait être à craindre que cette décortication des moyens donne lieu à un engorgement dans le contenu des prétentions des parties, qui enlèverait à la pertinence de la recherche d’une efficience judiciaire.

Le principe de concentration des moyens se précise donc en jurisprudence, devenant encore plus strict. Dans un communiqué, la Cour de cassation souligne que la solution de l’arrêt Cesareo « a été adoptée en considération des réponses données sur cette même question par les grands systèmes de droit étranger ». La question d’une éventuelle consécration du principe par le législateur français se pose et est d’autant plus soulevée en doctrine.

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