L’arrêt Blieck du 29/03/1991 rendu par la Cour de cassation constitue un arrêt majeur en droit français et plus précisément en droit civil en ce qu’il pose le principe de la responsabilité du fait d’autrui. En réalité, lorsqu’on évoque le principe général de la responsabilité, il faut faire mention de certains arrêts-cadres, dont l’arrêt Blieck.
Ainsi, on ne peut pas, par exemple, évoquer la responsabilité du fait des choses sans faire mention de l’arrêt Jand’heur ou de l’arrêt Teffaine. De la même manière, qui dit responsabilité du fait d’autrui, implique une référence à l’arrêt Blieck.
Dans cet article, nous allons faire ressortir les points essentiels qui font de l’arrêt Blieck un arrêt fondateur pour la responsabilité du fait d’autrui. Pour ce faire, l’article sera divisé en deux parties.
Dans la première partie, nous allons développer notre propos sur l’arrêt Blieck en présentant la jurisprudence. Dans la seconde partie, nous ferons une analyse critique du commentaire de l’arrêt Blieck et de ses implications en droit civil de la responsabilité.
Présentation de l’arrêt Blieck
Arrêt Blieck : Quels étaient les faits ?
Toute l’affaire concernait une personne qui avait un handicap mental : il s’agissait de Monsieur Blieck. Celui-ci était sous le régime de la curatelle, l’un des régimes juridiques de protection des incapables. À ce titre, Monsieur Blieck avait été placé dans un établissement éducatif qui avait une spécialisation dans la gestion des personnes incapables.
Par ailleurs, l’établissement dans lequel séjournait Monsieur Blieck en internat offrait aussi des libertés occasionnelles en permettant aux pensionnaires de travailler ou de sortir du centre. C’était au cours de l’une de ces sorties que Monsieur Blieck s’était dirigé dans une forêt du voisinage et y avait mis le feu.
Malgré que Monsieur Blieck fût fautif en ce sens qu’il avait déclenché l’incendie, les propriétaires de la forêt avaient décidé de dénoncer les agissements de l’association qui gérait l’établissement éducatif. Pour les propriétaires, l’auteur du dommage n’étant pas en possession de toutes ses facultés mentales, c’était à l’établissement de répondre des dommages causés.
C’était donc une faute de surveillance de leur part selon lui qui avait conduit à ce préjudice et l’établissement devait ainsi répondre de ses actes devant les juridictions.
La procédure et les prétentions des parties dans l’arrêt Blieck
Au niveau de la juridiction de première instance
Devant le tribunal de première instance, les propriétaires de la forêt soutenaient que c’était bien les gérants de l’établissement qui devaient être tenus responsables des dommages causés par Monsieur Blieck.
En effet, ils évoquaient une faute de surveillance du centre puisque l’auteur du dommage était censé être sous leur garde, même au moment des sorties de l’établissement.
Le tribunal d’instance leur donna raison. Par ailleurs, les juges prononçaient contre le centre éducatif une condamnation par la même occasion. En guise d’indemnisation, il était demandé aux dirigeants du centre éducatif de verser des dommages et intérêts aux propriétaires de la forêt.
Face à cette décision qui ne les satisfaisait pas, les gérants de l’association avaient interjeté appel.
Au niveau de la cour d’appel
A ce niveau, la décision qui avait été rendue lors de l’instance précédente était confirmée par la juridiction d’appel. Pour la cour d’appel de Limoges, dans son arrêt du 23 mars 1989, il fallait bien retenir la responsabilité du centre.
Et pour cause, les techniques de surveillance des pensionnaires incapables n’étaient pas sans risque et pouvaient entrainer des préjudices autant pour une personne physique que pour un bien quelconque.
Ainsi, on ne pouvait pas exonérer l’association de sa responsabilité sous le motif que c’était un individu qui n’appartenait pas à l’équipe de gestion du centre qui avait commis une faute ; et ce, même si le fautif était un membre de leur système éducatif.
Toujours non satisfaits de cette décision de la juridiction d’appel, les gérants de l’établissement avaient alors fait un pourvoi en cassation.
Au niveau de la Cour de cassation
Devant la Cour de cassation, l’association contestait le fondement de l’article 1384 du Code civil qui avait servi de base légale à la décision rendue par la cour d’appel. Pour l’association, le principe de responsabilité qui avait été posé par cet article avait donné une liste exhaustive des cas auxquels il était en mesure de s’appliquer.
Les juges du fond ne devaient pas aller au-delà de l’intention du législateur en faisant jouer une présomption de responsabilité à l’encontre de l’association alors que le Code civil ne l’avait point mentionné.
De façon plus claire, l’association demandait à la Cour de cassation de l’exonérer de la responsabilité du fait du Monsieur Blieck, car selon elle, pour qu’on lui applique la responsabilité du fait d’autrui, il fallait nécessairement que le Code civil l’ait prévu.
Quel était le problème de droit de l’arrêt Blieck ?
Devant la Cour de cassation, il revenait de répondre à la question de savoir si un établissement éducatif pouvait être responsable des dommages causés par une personne sous sa charge alors qu’aucun texte ne prévoyait explicitement ce cas.
De façon claire, la Cour de cassation devait se prononcer sur l’extension de la responsabilité du fait d’autrui au cas de l’établissement éducatif.
Particularité de l’arrêt Blieck :
L’arrêt Blieck portait un problème de droit nouveau devant la Cour de cassation et requérait de la haute juridiction de prendre une décision importante qui touchait le principe général de responsabilité admis depuis des décennies en droit français.
Face à ce constat et sur décision du 1er président de la haute juridiction, l’assemblée plénière avait été réunie.
L’arrêt Blieck et la solution rendue par la haute juridiction
La décision de l’assemblée plénière qui avait été rendue en date du 29 mars 1991 avait alors marqué tous les esprits. La cour avait en effet opéré un revirement de jurisprudence à l’occasion de l’arrêt Blieck.
Elle rejetait ainsi le pourvoi effectué, car selon elle, le fait dommageable était bien de nature à engager la responsabilité de l’établissement éducatif.
Pour la cour, l’association ayant accepté la charge de la personne handicapée, si celle-ci était amenée à causer un dommage, c’était alors à l’établissement de répondre des agissements du pensionnaire en cause. En outre, c’était aussi l’établissement qui devait assumer la réparation des préjudices causés aux tiers.
Particularité de la décision de l’assemblée plénière dans l’arrêt Blieck :
Avec l’arrêt Blieck, c’est la toute première fois que la Cour de cassation décide de reconnaitre un cas de responsabilité dans une affaire alors même que le Code civil ne l’avait pas prévu.
Justification de la décision de l’assemblée plénière dans l’arrêt Blieck :
Pour expliquer cette extension des régimes de responsabilité à des cas nouveaux, l’assemblée plénière s’était basée sur certains éléments que nous allons détailler.
La similarité avec la responsabilité contractuelle
En matière contractuelle, lorsque la mauvaise exécution du contrat est imputable à une tierce personne que le débiteur a inclus dans la prestation, c’est le débiteur qui est responsable de plein droit de l’inexécution et non le tiers.
Ainsi, il ne peut invoquer la faute civile de son préposé ou d’un sous-traitant pour justifier l’inexécution de la prestation due.
La similarité avec la responsabilité administrative
Il existe en matière administrative la responsabilité objective des personnes publiques de droit moral. Elle est relative à certains risques spéciaux et concerne pour la plupart les enfants mineurs ou encore des personnes qui font l’objet de troubles mentaux présentant une dangerosité avérée.
On peut donner en exemple deux arrêts qui illustrent la responsabilité sans faute de l’État. Dans le premier arrêt rendu en date du 3 février 1956, le Conseil d’État avait fait mention de cette responsabilité Sans-Faute de la personne étatique alors que certains délinquants avaient commis une infraction ().
Dans le second arrêt datant du 11 février 2005, malgré l’absence de faute de l’État, le Conseil d’État l’avait rendu responsable d’un fait dommageable généré par un mineur qui était placé sous assistance éducative.
La similarité avec la responsabilité civile du fait des choses
L’arrêt Blieck a aussi des traits ressemblants avec la responsabilité civile du fait des choses. En effet, selon le Code civil, lorsque le fait générateur provient d’une chose, une présomption de responsabilité plane sur celui qui est le gardien de la chose.
Appliquée dans le cas du fait d’autrui, ce sont alors ceux qui ont la garde de la personne fautive qui deviennent de plein droit responsable de la faute qu’a pu commettre la personne sous leur garde. Pour s’y défaire, il est ainsi nécessaire de prouver l’existence d’une cause étrangère qui peut être caractérisée par un cas de force majeure.
Pour conclure, ce sont toutes ces raisons qui ont motivé les juges de cassation à appliquer une responsabilité de plein droit aux dirigeants de l’établissement au sein duquel résidait Monsieur Blieck.
La portée de l’arrêt Blieck
L’arrêt Blieck a induit une extension du fondement de la responsabilité relative au fait d’autrui. En effet, avec l’arrêt Blieck, on considère que la responsabilité de certaines personnes peut être retenue en cas d’existence d’une faute de ceux qui sont sous leur garde.
Ainsi, à côté de la responsabilité du commettant du fait de son préposé (art. 1242 al. 5 du nouveau Code civil) ou encore des parents vis-à-vis de leurs enfants mineurs et à côté de la responsabilité du gardien d’une chose, il est admis depuis l’arrêt Blieck que la responsabilité d’un établissement éducatif peut être engagée, elle aussi, en cas de faute caractérisée commise par une personne sous sa surveillance.
Analyse critique de l’arrêt Blieck
Pour mieux comprendre l’arrêt Blieck, certaines notions du droit des obligations doivent être explicitées.
Aperçu sommaire de la responsabilité du fait d’autrui
Présentation
Lorsqu’une personne est à l’origine d’un dommage qui est causé à autrui par son fait personnel, elle est tenue d’en faire réparation.
S’il s’agit d’un dommage corporel, elle doit dès lors indemniser la victime : c’est le principe général établi en droit de la responsabilité civile.
Maintenant, posons-nous la question de savoir ce qui se passe lorsque l’on quitte le domaine de la responsabilité du fait personnel (art. 1242 du Code civil) et qu’on se situe dans un contexte où le fait générateur de la responsabilité provient d’une autre personne.
Dans ce cas, l’action en responsabilité est dirigée vers les gardiens de la personne, autrement dit, il faut rechercher ceux qui sont civilement responsables de l’auteur du dommage. Dans ce sens, le système français reconnait des cas limitativement prévus par le Code civil. Le schéma ci-dessous permet de les regrouper.
De ce schéma, il ressort qu’en cas de faits dommageables résultants des actes commis par des enfants mineurs, ce sont les père et mère de ces enfants mineurs qui seront tenus responsables du dommage (ou des dommages).
Il en va de même des artisans qui par exemple sont tenus comptables lorsque la survenance d’un fait générateur de responsabilités est imputable à leur apprenti. Dans ces cas, le Code civil fait peser sur le « civilement responsable » une présomption de faute de telle sorte que l’on ait plus à rechercher sa responsabilité personnelle.
Toutefois, s’ils peuvent faire valoir la faute de la victime ou s’ils peuvent prouver un cas de force majeure, le juge peut les exonérer de leur responsabilité civile. Rappelons que le cas de force majeure fait référence à une situation qui échappe au contrôle de la personne civilement responsable.
Dans les cas de force majeure, ni le commettant ni celui qui a l’autorité parentale ne sera débiteur de la réparation du dommage subi par une personne dû à l’acte causal du préposé (dans le cas du commettant) ou des enfants (dans le cas de celui qui détient l’autorité parentale).
Le cas spécifique du cumul de responsabilité du fait d’autrui
Au regard des propos précédent, on peut se demander s’il est possible de réaliser un cumul de responsabilité du fait d’autrui. Pour la Cour de cassation, le cumul des responsabilités n’est pas possible.
C’est ce qu’elle a en effet confirmé dans son arrêt du 18 mars 1981 rendu par sa deuxième chambre civile. Par conséquent, il serait anormal qu’une même victime demande réparation au gardien de l’auteur du dommage et qu’elle tienne encore pour responsable les père et mère de celui-ci.
Pour la haute juridiction, la victime a le choix entre les alternatives qui se présentent à elle dans le cadre des différents régimes de responsabilité. Ceci s’explique surtout par le fait qu’il est assez peu probable que plusieurs personnes soient solidairement responsables de la garde d’un même individu.
Les implications de l’arrêt Blieck
D’autres affaires jugées par la Cour de cassation ont puisé leurs sources dans cet arrêt de principe en droit français, ce qui a considérablement modifié le droit commun de la responsabilité civile du fait d’autrui.
Le cas de confirmation de l’arrêt Blieck
Tout d’abord, en date du 9 décembre 1999, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a connu une autre affaire similaire. Elle a statué dans le même sens que l’arrêt Blieck en retenant la responsabilité pour autrui d’une association. En effet, tout comme dans l’arrêt Blieck, l’association avait pris l’engagement d’exercer un contrôle et un suivi d’un mineur.
Compte tenu de cette acceptation de rôle, la deuxième chambre civile a refusé d’exonérer de sa responsabilité ladite association pour un fait générateur de responsabilités provenant du mineur sous surveillance.
Le cas d’extension de l’arrêt Blieck
À ce niveau, deux arrêts vont nous intéresser en ce sens qu’ils étendent le domaine de la responsabilité du fait d’autrui qui a été retenue dans l’arrêt Blieck.
Dans le premier arrêt rendu en date du 22 mai 1995, la responsabilité du fait d’autrui d’une collectivité locale avait été retenue suite à un incendie qui s’était propagé à partir du bâtiment de la commune au sein duquel squattait quelques individus. Entre autres, la Cour avait reproché à la commune de ne pas disposer d’assurance responsabilité visant à couvrir ce risque.
Dans un deuxième arrêt, la Cour de cassation avait tenu pour responsable une association sportive, notamment un club de rugby sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui.
En effet, au cours d’un match de rugby, une bagarre dangereuse avait causé un dommage corporel et mortel à l’un des joueurs. La Cour de cassation avait dès lors consacré une responsabilité qui pesait sur les associations sportives vis-à-vis de leurs membres.
Cette responsabilité avait trait aux dommages que les joueurs pouvaient causer à d’autres joueurs à l’occasion des différentes compétitions. Toutefois, il faut préciser ici que la cour avait apporté quelques nuances. Tout d’abord, on était en présence d’une violation des règles du jeu.
Par ailleurs, il fallait rattacher à cette violation des règles du jeu la faute d’un des joueurs. Tout autre cas en dehors de la violation de règles particulières du jeu ne pouvait emporter la responsabilité de l’association sportive.
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