Pourquoi l’arrêt Arrighi du 6 Novembre 1936 du Conseil d’État est-il un arrêt fondateur pour la théorie de la loi-écran ?

Arrêt Arrighi du 6 Novembre 1936

L’arrêt Arrighi du 06/11/1936 rendu par le Conseil d’État est l’un des arrêts essentiels à connaître en droit public car c’est par cette décision de justice que la théorie de la loi-écran est apparue pour la première fois dans la jurisprudence administrative.

Dans cet article, nous allons expliquer en quoi l’arrêt Arrighi est un arrêt fondateur pour la théorie de la loi-écran ainsi que pour le droit administratif. Mais pour mieux comprendre cet arrêt, il est essentiel d’expliquer certaines notions clés.

l’arrêt Arrighi : Clarifications conceptuelles

Pour une compréhension complète de l’arrêt Arrighi trois notions doivent être expliquées.

La théorie de la loi-écran

Origine de la théorie de la loi-écran

La loi-écran provient de trois autres théories qui existent en droit français. Le schéma ci-dessous fait ressortir l’origine de la loi-écran.

Que signifie la théorie de la loi-écran ?

La théorie de la loi-écran suppose que le juge administratif dans le contrôle des actes administratifs peut se retrouver à statuer sur une loi qui se place entre la constitution et un acte administratif.

Ce fut le cas avec l’arrêt Arrighi. Un justiciable effectuait un recours contre un acte administratif et demandait au juge de censurer d’abord une loi qui avait autorisé l’acte et qui n’était pas conforme à la constitution selon lui.

Faisant intervenir les trois théories à l’origine de la loi-écran, le juge administratif se déclarait ainsi incompétent pour effectuer un contrôle de constitutionnalité du texte législatif contesté.

En effet, par le principe de la hiérarchie des normes, le juge administratif mentionnait que c’était le pouvoir législatif qui avait élaboré la disposition litigieuse qui pouvait la modifier ou procéder à son abrogation. Le juge administratif n’étant pas investi de la compétence pour élaborer des textes législatifs, il n’était pas non plus autorisé à en abroger.

Par le principe de la séparation des pouvoirs (L’article 34 de la constitution et le domaine de la loi), le juge administratif faisait alors savoir qu’il ne lui était pas permis de quitter le champ de ses compétences en agissant sur le domaine du législateur par la censure d’une loi.

Du fait du légicentrisme, le juge administratif faisait enfin savoir que les lois étaient sacrées sous la IIIe République et que dès lors, elles ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrôle de conformité des lois avec la constitution directement exercé par le juge administratif lors d’une demande des citoyens.

Pour toutes ces raisons, la juridiction administrative ne s’autorisait pas à exercer un contrôle de constitutionnalité directement. C’est toujours le cas en principe aujourd’hui puisque ce rôle est dévolu au Conseil constitutionnel (même s’il existe des tempéraments avec la QPC notamment).

Quel est le champ d’application de la loi-écran ?

La théorie de la loi-écran ne s’appliquait pas seulement au contrôle de constitutionnalité. Elle avait également étendu son champ d’application sur le contrôle de conventionnalité. De façon plus claire, le juge administratif se refusait également d’effectuer un contrôle de conformité entre un accord international et une loi, en ce sens qu’une telle compétence ne lui était pas encore dévolue.

Toutefois en 1989, suite au refus du Conseil constitutionnel d’exercer un contrôle de conventionnalité et suite à l’acception de la Cour de cassation d’exercer ce contrôle, le juge administratif s’était finalement déclaré lui aussi compétent dans la matière.

C’était notamment avec l’arrêt Nicolo que le juge administratif fut amené à effectuer un contrôle de conventionnalité sur un texte interne vis-à-vis du droit européen.

Dans cette affaire, il était demandé au juge de statuer sur la conventionnalité d’un décret qui était conforme aux normes législatives, mais non conformes à un texte communautaire.

Quel est le sort de la théorie de la loi-écran aujourd’hui ?

Aujourd’hui cette théorie consacrée dans l’arrêt Arrighi reste encore d’application. Seulement, elle est limitée par plusieurs tempéraments qui ont diminué son poids au sein du droit public.

Dans son application, la théorie de la loi-écran n’interdit plus le contrôle de conventionnalité au juge administratif. Celui-ci peut procéder à un contrôle de conformité d’un texte législatif vis-à-vis des traités et accords internationaux. Toutefois, il est toujours impossible au juge administratif de contrôler directement la constitutionnalité d’un accord ou traité international.

Pour ce qui concerne le droit interne, si un acte réglementaire est pris en application d’une disposition législative, le juge reste limité par la loi-écran.

Le contrôle de constitutionnalité

À côté de la question de la théorie de la loi-écran, l’arrêt Arrighi touche aussi une clarification de la notion du contrôle de constitutionnalité. Contrairement à la notion du  contrôle de conventionnalité, le contrôle de constitutionnalité est un contrôle effectué par le Conseil constitutionnel afin de confirmer qu’une disposition législative est compatible à la constitution.

Le contrôle de constitutionnalité vise également les textes internationaux et permet de vérifier si le droit communautaire est compatible aux règles constitutionnelles de la République française.

Quels sont les différents types de contrôle qui existe en droit constitutionnel ?

En droit constitutionnel, on distingue trois types de contrôle constitutionnel. Le schéma ci-dessous présente les types de contrôle constitutionnel qui existent en droit constitutionnel.

Le contrôle obligatoire

Le contrôle obligatoire concerne exclusivement les lois organiques. Il est demandé au Conseil constitutionnel d’examiner la constitutionnalité des textes organiques avant qu’ils ne soient publiés et mis en vigueur.

À ce niveau, ce n’est pas seulement à la lumière de la constitution que le juge constitutionnel analyse la loi organique. Mais il la soumet aussi entièrement au bloc de constitutionnalité. Autrement dit, la juridiction suprême va également juger le texte à la lumière du préambule de la constitution, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de toutes les autres normes juridiques à valeur constitutionnelle.

Le contrôle a priori

Ensuite vient le contrôle a priori qui s’intéresse particulièrement aux lois ordinaires. Il faut préciser ici que les lois référendaires ne rentrent pas dans le champ du contrôle de constitutionnalité. La saisine du Conseil constitutionnel se fait dans un délai maximum de quinze jours avant que ne soit promulguée la loi ordinaire.

Ne sont habilitées pour lancer un contrôle de constitutionnalité que des autorités limitativement citées. Par exemple : le Président de la République peut le faire, de même que le Président du Sénat, etc.

Le contrôle a posteriori

Enfin, le contrôle a posteriori est la possibilité accordée aux justiciables eux-mêmes de demander l’avis du Conseil constitutionnel sur un texte législatif que l’on veut appliquer au cours d’un procès. Contrairement aux deux autres modes de saisine qui s’exercent par voie d’action, celui-ci se fait par voie d’exception.

En somme, pour situer l’arrêt Arrighi, on pourrait dire qu’il se retrouve dans la troisième catégorie. En effet, il s’agit d’un contrôle par voie d’exception qui est demandée par le requérant au cours du litige qu’il porte devant l’ordre juridique administratif.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Arrighi?

Le contexte de l’arrêt Arrighi

Les faits ayant conduit à l’arrêt Arrighi se déroulaient dans la période de l’entre-deux-guerres. À cette époque-là, la République française était confrontée à une situation de contrainte budgétaire très importante. Il fallait donc, pour le gouvernement et les pouvoirs publics, trouver une solution efficace en vue de limiter les tourments de la crise budgétaire.

C’était dans ce contexte que le pouvoir législatif avait procédé à l’adoption d’une loi qui devait autoriser le gouvernement français à mettre en œuvre tous les moyens jugés utiles en vue d’aboutir à un équilibre des finances publiques.

Au nombre des mesures adoptées par le gouvernement figurait un décret pris en date du 10 mai 1934. Cet acte règlementaire avait pour but de mettre en retraite d’office certains agents publics qui avaient déjà travaillé pendant une certaine période prévue par le décret.

Il était clair que ce décret était intervenu dans le domaine du droit de la fonction publique en modifiant le régime de l’accession à la retraite. Les droits du sieur Arrighi ayant été modifiés, celui-ci avait porté l’affaire devant les juridictions.

Les faits dans l’arrêt Arrighi

Monsieur Arrighi avait totalisé pour le compte de l’administration plus de trente années de service. Il avait occupé non seulement des fonctions dans l’armée, mais il avait par ailleurs aussi travaillé dans l’administration publique civile tout au long de ces trente années. Après l’écoulement d’un certain délai, le requérant avait été admis d’office à la retraite dans les conditions susmentionnées.

C’était sur la base de la loi du 28 février 1934 que l’administration l’avait envoyé en retraite. En effet, deux décrets relatifs à cette loi encadraient la date de départ en retraite des agents publics. Insatisfait, il lançait un recours en inconstitutionnalité de la loi et des décrets devant le Conseil d’État.

Arrêt Arrighi : Quelle est la procédure et les prétentions des parties ?

Le requérant qui considérait que les actes administratifs pris en application de l’article 36 de la loi du 28 février 1934 étaient contraires à la Constitution, il avait saisi directement le Conseil d’État.

Devant le Conseil d’État, il demandait à ce que les juges procèdent à l’annulation de tous les actes relatifs à la loi qui avait modifié sa situation. Sa requête visait donc non seulement les décrets pris dans le but d’assurer une application des dispositions législatives, mais également l’acte administratif l’ayant conduit à une retraite d’office.

En effet, pour le requérant le texte législatif du 28 février 1934 n’était pas conforme à la constitution de la IIIe république. Si l’inconstitutionnalité de la loi était prouvée, celles des décrets l’auraient été aussi et par ricochet les actes administratifs qui l’avait envoyé en retraite le seraient également.

Les prétentions et la demande du requérant étaient donc claires. Le juge administratif devait effectuer un contrôle de conformité entre la loi du 28 février 1934 et la constitution, puis il devait procéder à l’annulation de l’acte administratif.

Quel est le problème de droit de l’arrêt Arrighi ?

Devant le Conseil d’État, la question de droit qui se posait était celle-ci : est-il possible pour le juge administratif, autrement les cours et tribunaux administratifs, d’opérer un contrôle de constitutionnalité vis-à-vis de dispositions législatives ?

Ce problème de droit mettait en jeu les compétences et les domaines d’exercice de la haute juridiction administrative. Le juge administratif se retrouvait dès lors devant un véritable dilemme avec l’arrêt Arrighi.

En effet, c’est le Conseil constitutionnel qui avait reçu toutes les compétences pour contrôler la constitutionnalité des textes législatifs, des décrets et/ou ordonnances. Le Conseil d’État n’outrepasserait-il pas son champ d’application si, au cours d’une affaire, il intervenait dans le domaine du Conseil constitutionnel en statuant sur la constitutionnalité de la loi du 28 février 1934 ?

Arrêt Arrighi : Quelle est la solution rendue par le Conseil d’État ?

Dans l’arrêt Arrighi, la décision du Conseil d’État ne s’était pas fait attendre. Pour les juges, il n’était pas du ressort juridictionnel du conseil de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi. Cette tâche ne revenait qu’au juge constitutionnel qui était alors le seul autorisé en droit français à juger de l’inconstitutionnalité d’un texte.

Par ailleurs dans l’arrêt Arrighi, le Conseil d’État avait fait savoir qu’il n’était pas si simple, sous la IIIe république de contester une loi déjà en vigueur. En effet, les lois étaient caractérisées par une certaine forme de sacralité et ne pouvaient être remise en question aussi facilement par le jeu de la volonté des justiciables.

Compte tenu des raisons évoquées ci-dessus, le Conseil d’État par sa décision du 6 novembre 1936 rejetait la requête en refusant de statuer sur la constitutionnalité de la loi du 28 février 1934.

Cette décision du Conseil d’État était compréhensible. Il fallait en effet considérer que le principe de la séparation des pouvoirs encadrait l’action de chaque pouvoir public et de chaque juridiction.

Le juge administratif n’avait pas la compétence pour apporter une censure à un acte élaboré par le pouvoir législatif et validé par le pouvoir exécutif. Au contraire, les dispositions législatives avaient (et ont toujours) pour but d’éclairer le juge dans sa prise de décision. Ainsi, le Conseil d’État devait uniquement se charger d’appliquer le droit administratif et de ne pas dépasser les domaines d’exercice de sa compétence.

Quelle est la portée de l’arrêt Arrighi ?

À travers l’arrêt Arrighi, le juge administratif a consacré la notion de la loi écran. En effet, il ressortait de l’affaire que la loi contestée par le requérant faisait écran à la constitution française et l’acte de mise à la retraite du sieur Arrighi. Dans de tels cas, le juge administratif ne pouvait pas être en mesure de vérifier la conformité des lois avec la constitution.

Ainsi, à partir de l’arrêt Arrighi et dans les années qui ont suivi, les décisions du juge administratif ont suivi une même tendance globale : son incompétence à se prononcer sur la constitutionnalité d’une norme législative au cours d’un contentieux administratif.

Il faut remarquer cependant qu’en 1958 le juge administratif a statué autrement en acceptant d’exercer un contrôle de constitutionnalité. Dès lors, la théorie de la loi-écran a tout de même fait l’objet d’une certaine forme de limitation. Aujourd’hui l’intérêt de cette théorie est amoindri par l’existence de plusieurs mécanismes que nous aborderons dans un prochain article sur novataux.com.

Intérêt actuel de l’arrêt Arrighi

On peut se demander aujourd’hui si l’arrêt Arrighi a toujours le même intérêt et s’il conserve son actualité face aux situations similaires qui se pose en droit public. La réponse est négative. Il faut le mentionner en effet, le droit public a considérablement évolué et l’arrêt Arrighi a un intérêt beaucoup plus limité aujourd’hui.

En effet, de nos jours il existe la possibilité pour tout justiciable de demander à une juridiction de l’ordre administratif de contrôler la conformité d’une loi avec la constitution. Ce moyen accordé par le législateur aux justiciables est désigné sous le nom de question prioritaire de constitutionnalité.

Qu’est-ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité ?

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été consacrée en droit français à partir du 1er mars 2010. Comme expliquée dans la section préliminaire, il s’agit du troisième mode de contrôle de constitutionnalité ; autrement dit le contrôle de constitutionnalité a posteriori.

À travers la QPC, question prioritaire de constitutionnalité, il est ouvert une possibilité aux citoyens devant une juridiction administrative ou civile, de demander à celle-ci de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi qu’on voudrait leur appliquer.

Ainsi, il est évident que la question prioritaire de constitutionnalité bat en brèche la théorie de la loi-écran. En effet, lorsqu’elle est soulevée, et que les conditions sont remplies, le juge administratif ne peut prétexter la loi-écran pour refuser d’exercer le contrôle de constitutionnalité.

Par ailleurs, il a la possibilité aujourd’hui de faire un contrôle indirect de la conformité de la loi contestée au regard du bloc de constitutionnalité. Voir le cours complet via le lien en bleu ! 🙂

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