Quel est l’apport de l’arrêt Aquarone du 6 juin 1997 du Conseil d’Etat ?

l’arrêt Aquarone du 6 juin 1997

L’arrêt Aquarone du 6 juin 1997 rendu par le Conseil d’État est un arrêt important de la jurisprudence administrative, car il a consacré la règle suivant laquelle la coutume internationale ne peut en aucun cas primer sur une disposition législative en droit interne.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Aquarone ?

En l’espèce, M. Aquarone était greffier de la CIJ, l’acronyme qui désigne la Cour internationale de Justice (CIJ). Après une longue carrière dans l’administration, il avait pris sa retraite. Dès lors, il percevait une pension versée par la caisse commune du personnel de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dont dépend la CIJ.

En tant qu’ancien fonctionnaire international, Monsieur Aquarone estimait qu’il n’était pas redevable de l’impôt sur le revenu en France. En effet, ce dernier était de nationalité autrichienne, mais vivait en France. Toutefois, l’administration fiscale française lui avait réclamé le paiement de l’impôt sur le revenu relatif à sa pension pour la période de 1981 à 1986.

M. Aquarone avait dès lors décidé de contester cette réclamation devant le tribunal administratif de Marseille. Néanmoins, sa requête avait été rejetée par le tribunal.

Il avait alors pris la décision d’interjeter appel devant la Cour administrative d’appel de Lyon. Celle-ci l’avait débouté le 5 avril 1993.

De ce fait, M. Aquarone avait décidé de former un pourvoi devant le Conseil d’État en vue de faire annuler l’arrêt de la Cour d’appel. Réuni en Assemblée le 6 juin 1997, le Conseil d’État avait également rejeté la requête de M. Aquarone.

Arrêt Aquarone : La question de droit et les prétentions des parties

En substance, M. Aquarone estimait que l’appel attaqué était contraire à l’application du paragraphe 8 de l’article 32 du statut de la CIJ qui prévoit que « les traitements, allocations et indemnités sont exempts d’impôt ». En effet, la Cour administrative d’appel avait relevé que les exemptions prévues à l’article 32 précité ne concernaient pas les pensions de retraite.

Aussi, M. Aquarone faisait valoir qu’il existait une coutume internationale qui exonérait les pensions de retraite de toute imposition. Or, la Cour administrative d’appel avait estimé quant à elle que cette coutume n’existait pas ; et que quand bien même elle existerait, elle ne pouvait de toute façon pas contrevenir à une loi française.

Le Conseil d’État avait ainsi confirmé cette position du juge d’appel dans son arrêt du 6 juin 1997 en rejetant la requête de M. Aquarone. En l’espèce, le juge suprême administratif devait répondre à la question de savoir si le juge administratif pouvait procéder à un contrôle de conformité des normes internes au regard des normes internationales et si la coutume internationale pouvait faire l’objet d’un contrôle de conventionalité.

Quelle est la solution de l’arrêt Aquarone rendue en date du 6 juin 1997 ?

Le Conseil d’État a répondu dans l’arrêt Aquarone qu’une coutume internationale peut s’appliquer en droit interne, mais qu’elle ne peut pas en revanche contredire le droit national.

En effet, c’est sur la base du contrôle des dispositions du Code général des impôts et au regard de l’article 32 du Statut de la CIJ que la haute juridiction administrative a rendu sa décision.

Pour ce faire, les juges ont d’abord vérifié si la loi interne était en contradiction ou non avec la norme internationale. C’est ainsi qu’au visa de l’article 4A du Code général des impôts on peut lire que les personnes qui ont leur domicile fiscal en France sont dès lors passibles de l’impôt sur le revenu en raison de tous leurs revenus. En outre, l’article 79 du même Code dispose que « les pensions […] concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu ».

NB : Ces dispositions du droit positif étaient déjà en vigueur au moment des faits.

Le juge suprême administratif dans l’arrêt Aquarone a donc valablement estimé qu’au regard des versements de la pension reçue par M. Aquarone, ces revenus entraient bien dans « le champ d’application de ces dispositions » et qu’il était assujetti à l’impôt en France.

Ensuite pour confronter la norme interne à la norme internationale, le Conseil d’État a procédé à l’analyse de la norme internationale en l’occurrence, l’article 32 du statut de la Cour internationale de justice invoqué par le requérant et qui prévoit que « […] les traitements, allocations et indemnités sont exempts de tout impôt ».

En comparant les deux normes, la haute juridiction de l’ordre administratif dans l’arrêt d’espèce a estimé qu’« il ressort des termes du paragraphe 8 de cet article […] que les pensions ne sont pas comprises parmi les sommes exemptées d’impôt ».

Par conséquent, le juge administratif en a tiré la conclusion que les deux normes n’étaient pas incompatibles. Il a ainsi été jugé que « les stipulations du statut de la Cour internationale de justice ne faisaient pas obstacle à l’imposition perçue par M. Aquarone ».

Il s’ensuit donc que le Conseil d’État avec l’arrêt Aquarone confirme sa jurisprudence Nicolo (CE, 20 octobre 1989, Arrêt Nicolo) par laquelle, il s’était pour la première fois déclaré compétent pour contrôler la compatibilité entre les traités internationaux signés ou ratifiés par la France et les lois internes françaises.

Toutefois, si la haute juridiction administrative assume pleinement aujourd’hui ce rôle dont le cas d’espèce est une bonne illustration, il n’en demeure pas moins qu’elle limite tout de même l’étendue du contrôle.

En effet, relativement à la seconde question soulevée par l’arrêt d’espèce ; à savoir si l’on pouvait écarter une norme interne (loi) en cas de contrariété avec la coutume internationale, le Conseil d’État a répondu par la négative.

Certes, le juge suprême administratif a reconnu que la coutume internationale peut faire l’objet d’un contrôle de conventionalité en droit interne, mais il a refusé dans le même temps que celle-ci puisse primer sur la loi en cas de contrariété. Ainsi, la jurisprudence Nicolo accordant la supériorité aux normes internationales sur les normes internes se trouve dès lors limitée aux seuls traités ou conventions.

Ce n’est pas étonnant puisque la solution de l’arrêt Aquarone est en parfait accord avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État.

En effet, pendant longtemps, le Conseil d’État refusait de reconnaître la coutume internationale et de statuer sur son fondement (CE, sec, 22 novembre 1957, Myrtoon Steamship et Cie.). Ce n’est plus le cas depuis l’arrêt Société les mines de potasse d’Alsace du 15 avril 1986 par lequel le Conseil d’État a implicitement tranché un litige en prenant en considération la coutume internationale. Cela a été confirmé ensuite par un arrêt rendu en date du 23 octobre 1987 (CE, sec, 23 octobre 1987, Société Nachfolger navigation company.

Malgré cela, la haute juridiction administrative refuse la primauté de la coutume internationale qu’elle reconnaît sur la loi. Il en résulte donc que l’arrêt Aquarone est venu confirmer une jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État sur cette question de droit.

Il convient d’ajouter ici qu’en dépit de l’admission de la coutume comme source non écrite du droit international par l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice qui la définit comme « […] une pratique générale, acceptée comme étant le droit » ; l’identification de cette dernière peut se révéler être parfois une tâche difficile.

NB : Généralement on admet que la coutume se compose de deux éléments à savoir une pratique générale et cohérente des États ainsi que l’opinio juris qui n’est rien d’autre que la conviction de considérer ladite pratique comme étant obligatoire.

Quelle est la portée de l’arrêt Aquarone rendu le 6 juin 1997 par le Conseil d’État ?

Avec l’arrêt Aquarone, le Conseil d’État reconnaît sous réserve, la possibilité pour la coutume internationale de pouvoir faire l’objet d’un contrôle de conventionalité au même titre que les traités ou les conventions internationales.

Si le juge suprême administratif a tardé à se reconnaître compétent pour effectuer un contrôle de conventionalité (CE, 1er mars 1968, Syndicat des fabricants de semoule de France) contrairement à la Cour de cassation qui le fait depuis l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975, il s’est toutefois très vite rattrapé à travers l’arrêt Nicolo sous l’insistance du Conseil constitutionnel qui dans sa décision du 03 décembre 1986 a estimé que le contrôle de la compatibilité des loi avec les engagements internationaux ou européens de la France incombe aux juridictions administratives et judiciaires.

Ce contrôle de conventionalité, fièrement assumé aujourd’hui par le Conseil d’État, comporte tout de même des limites. En effet, si l’arrêt Aquarone est confirmatif de l’arrêt Nicolo, il faut aussi souligner que par ce dernier la haute juridiction administrative affirme sinon confirme que la coutume internationale ne saurait primer sur une disposition législative en droit interne.

Cette position assumée par le Conseil d’État est d’ailleurs confirmée dans sa jurisprudence antérieure. En effet, dans un arrêt en date du 14 octobre 2011, la Haute Juridiction a admis qu’une coutume de droit international puisse instaurer certaines immunités pour accomplir des actes de souveraineté de l’État sous réserve qu’aucune législation n’y contreviennent (CE, sec, 14 octobre 2011, Mme Saleh).

Dès lors, la solution de l’arrêt Aquarone se comprend mieux puisque suivant le raisonnement du Conseil d’État, l’exemption d’impôt pour les fonctionnaires d’instances internationales ne relève pas en principe de la souveraineté de la CIJ.

Mais, le pouvoir de lever l’impôt fait partie des attributions essentielles de la souveraineté d’un État. Il s’ensuit donc que même si la coutume internationale invoquée par le requérant dans l’arrêt d’espèce existait, elle ne saurait écarter la norme interne.

D’ailleurs, cette jurisprudence Aquarone a été étendue par le Conseil d’État aux principes généraux du droit international (CE, 28 juillet 2000, Paulin) ainsi qu’aux principes généraux du droit interne (CE, sec, 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils).

En revanche, le Conseil d’État reconnaît depuis 2001 une valeur supérieure aux principes généraux du droit de l’Union européenne sur les lois (CE, 3 décembre 2001, SNIP et autres).

Aussi est-il que le Conseil constitutionnel contrairement au Conseil d’État admet la primauté du droit coutumier international sur le droit interne (lois comme règlements).

Ainsi, se référant à la règle du « Pacta sunt servanda », il a annulé une loi (DC 92-308 du 9 avril 1992 et DC 93-312 du 2 septembre 1992 pour le traité de Maastricht). Il l’a également fait sur le fondement du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (DC 75-59 du 30 décembre 1975 pour la loi sur les conséquences de l’autodétermination des îles des Comores) ou encore, sur « les effets des nationalisations hors du territoire national » (DC 82-139 du 11 février 1982 pour la loi sur les nationalisations).

Cette contradiction entre la jurisprudence du Conseil d’État et celle du Conseil Constitutionnel laisse pour le moment les observateurs dans l’attente. En effet, il est tout à fait légitime de se poser la question de leur conciliation !

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