Qu’est qu’une voie de fait en droit administratif ?

La voie de fait

La voie de fait est une notion essentiellement tirée du droit administratif. En Droit administratif, on entend par voie de fait, le fait pour l’administration de mener, sans tenir compte du droit, une action qui porte gravement atteinte à un droit de propriété ou à une liberté fondamentale.

De façon plus claire, cette notion désigne une situation dans laquelle l’administration va exécuter ou planifier l’exécution d’une action qui porte atteinte au droit de propriété d’un citoyen ou à une de ses libertés fondamentales. En vue de mettre immédiatement fin à la situation générée par l’action de l’administration, le justiciable est obligé de solliciter le concours du juge des référés dont l’intervention lui permettra de sauvegarder son droit ou sa liberté publique lésée.

La notion de voie de fait a été progressivement étendue aux domaines du Droit privé.

En Droit privé, la voie de fait désigne une situation dans laquelle une personne privée commet une infraction (Voir : Les éléments constitutifs d’une infraction) ou mène une action qui ne cadre pas avec les règles légales, règlementaires ou contractuelles, causant ainsi des préjudices à d’autres personnes.

On peut établir une analogie à la théorie de la voie de fait en la comparant telle que présentée en droit administratif et en droit privé. Ainsi, dans le cas où l’administration mène une action eu utilisant des moyens extra-juridiques, on la rend comparable au cas de celui qui, en droit civil, commet des infractions (coups et blessures volontaires, actes de violence, etc.) : elles ont, toutes les deux, commis une voie de fait.

Notre tâche essentielle est de présenter la théorie de la voie de fait. Pour ce faire, nous exposerons dans un premier temps son régime juridique (partie 1) et dans un second temps, nous aborderons les implications et aménagements qu’elle a connu (partie 2).

Le régime juridique de la voie de fait

Fondement de la voie de fait

Origine de la voie de fait

On peut se demander : d’où vient la notion de voie de fait ? Pour mieux la comprendre, il faut remonter à deux affaires. La première est celle du Curé de Réalmont en 1930.

Dans cette affaire, même si la notion de voie de fait n’était pas clairement posée, quelques jalons de base avait été jetés. En effet, le maire d’une commune a intimé le commandement d’ôter la grille autour d’une église. Toutefois, cette autorisation du maire n’avait pas respecté la procédure de désaffection qui prévalait en la matière. Lorsque l’affaire fût portée devant le Tribunal des conflits, il a reconnu la compétence de la juridiction judiciaire pour résoudre cette question. La voie de fait n’était pas encore explicitement mentionnée, mais ses prémices étaient lancées.

C’est le 7 février 1934 que la notion fut clairement mentionnée à travers l’arrêt Action française. Ce jour-là, dans la ville de Paris ainsi que dans certaines autres villes, une décision du préfet de police avait fait saisir le journal L’Action française chez tous les dépositaires du journal. Cette décision a été qualifiée de voie de fait par le Tribunal des conflits. Deux arguments ont soutenu la décision du TC : la saisie était générale et non justifiée.

Une fois la notion de la « voie de fait » consacrée, il faut aussi connaître les divers éléments qui la composent.

Les éléments constitutifs de la voie de fait

Pour qu’il y ait voie de fait, il faut la réunion de trois éléments distincts. En premier l’exécution matérielle d’une activité entachée ensuite l’irrégularité de l’opération administrative qui porte atteinte à la liberté individuelle ou à un droit de propriété.

L’exécution d’une opération matérielle

Tant que l’administration ne modifie pas les droits d’une personne par le biais d’une exécution matérielle, on ne peut parler de voie de fait. Autrement dit, l’administration doit agir, poser un acte litigieux concret et manifeste. Dans ce sens, une simple décision administrative n’est pas une voie de fait, tant qu’elle n’est pas mise en application. Cependant, lorsqu’il existe une menace identifiée d’exécution de la décision administrative, il y a déjà voie de fait. Dans ce cas, en vue de prévenir la réalisation de la menace, l’intervention du juge peut être requise.

Il faut retenir que la voie de fait peut être formée non seulement suite à l’exécution irrégulière de la décision, mais déjà au moment de la prise de la décision illégale.

L’irrégularité grossière de l’opération administrative

Deux notions sont mises en évidence ici l’opération administrative et la procédure de son exécution.

  • Premier cas : L’acte juridique exécuté est entaché d’irrégularité

À ce niveau, il faut porter une attention particulière sur l’acte juridique lui-même : le droit est-il bien dit ? Les motifs avancés sont-ils en conformité avec les textes ? La décision n’est-elle pas déjà annulée par une autre juridiction ?

Cependant l’irrégularité seule ne suffit pour emporter la qualification de voie de fait, encore faut-il qu’elle soit manifestement illicite, autrement dit, il faut chercher à savoir si l’acte mis en cause est effectivement dénaturé.

  • La procédure d’exécution est irrégulière

Il est question à ce niveau de l’omission par l’administration d’accomplir certaines formalités substantielles avant de procéder à l’exécution d’une décision. Même dans le cas où la décision est légale, si les formalités préalables à remplir par les autorités administratives ne sont pas accomplies, la procédure sera qualifiée d’irrégulière, ce qui équivaut à une voie de fait. On s’attaque ici à la condition d’exécution de la décision administrative.

Prenons le cas du recours à l’exécution forcée alors même que les conditions ne sont pas encore réunies. C’est le cas lorsque le juge administratif demande l’exécution forcée d’une décision alors qu’il existerait des sanctions pénales émises par le juge judiciaire.

L’atteinte au Droit de propriété ou à une liberté publique.

La dernière condition constitutive de voie de fait est celle où l’administration dans son action ou dans sa décision porte atteinte au droit de propriété du citoyen ou porte atteinte à l’une de ses libertés fondamentales.

On distingue trois grands groupes de libertés publiques résumées dans le tableau ci-dessous.

En parlant d’atteintes graves aux Droits et libertés, nous parlons essentiellement de l’emprise irrégulière aggravée. Il y a emprise irrégulière lorsque l’Administration s’accapare d’une propriété privée immobilière que ce soit temporairement ou définitivement.

Il faut mentionner que le juge administratif n’est pas compétent pour limiter les droits et libertés. Ce domaine relève de la compétence exclusive du législateur.

De la même manière, il ne suffit pas de crier à l’atteinte au droit de propriété ou à la liberté pour retenir la voie de fait, mais il est impérieux que cette atteinte soit manifestement grave.

Au total, le schéma ci-dessous donne le résumé des différents éléments constitutifs de voies de fait.

Lire aussi : Qu’est-ce qu’un recours de plein contentieux ? Nous détaillons dans ce cours : La définition et les conditions de recevabilité du recours de plein contentieux. C’est un article très important en droit administratif !

Quelques exemples jurisprudentiels de la voie de fait en matière administrative

Quelques arrêts consacrant la voie de fait

  • L’arrêt Société civile immobilière des Praillons :

Dans cet arrêt, deux communes ont ordonné un déversement d’ordures ménagères sur un verger qui appartenait à une tierce personne, un particulier. Le Tribunal des conflits a déclaré que l’acte en cause était constitutif d’une voie de fait dès lors qu’il n’y avait pas d’accord de volonté (contrat).

  • L’apposition de scellés, sur décision de l’autorité militaire, à l’entrée du logement privé d’un officier : CE 13 juillet 1996 Guignon.
  • Le maintien contre son gré d’une personne majeure dans un hôpital psychiatrique : CE 18 octobre 1889.

La répartition des compétences entre juridiction administrative et juridiction judiciaire

Séparation des pouvoirs judiciaire et administrative

Lorsqu’il s’agit des activités de l’administration, le seul juge compétent est le juge administratif. On dit qu’il est le juge naturel de l’administration. Quant aux juridictions judiciaires, elles sont essentiellement compétentes pour connaître toutes les affaires liées à l’état civil, la propriété, les droits fondamentaux, etc. On dénote ainsi une répartition des compétences entre chacune des deux juridictions.

Cependant, il arrive des situations où le juge judiciaire peut connaître d’un contentieux administratif.

L’autre dérogation au principe de séparation des deux ordres de juridiction se retrouve dans la voie de fait. En effet, en cas d’empiètement et d’atteinte grave commise par l’Administration, le juge judiciaire a la compétence pour se saisir de la décision incriminée afin qu’elle soit jugée. Quand ce cas se pose, il faut passer par une procédure du déclinatoire de compétence. À travers cette procédure, le juge administratif reconnaît l’incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur un litige et demande à cette dernière de décliner sa compétence.

Pour mieux appréhender la séparation des autorités administratives et judiciaires sur la question de la voie de fait, il est important de faire un bref aperçu sur la composition de chaque ordre juridictionnel.

Composition des juridictions de chaque ordre

Deux grands ordres composent le système français d’administration de la justice: les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif. Les juridictions de l’ordre administratif ont pour mission de régler des contentieux qui opposent l’administration aux justiciables. Ceux de l’ordre judiciaire ont vocation à régler les litiges qui opposent les individus entre eux en matière civile, pénale, commerciale etc.

  • Trois niveaux existent au sein de la justice administrative :

En première instance, on distingue les tribunaux administratifs. Puis en appel, ce sont les cours administratives d’appel qui ont pour rôle de statuer contre les décisions rendues par les tribunaux, ayant fait objet d’appel. Enfin, la juridiction faitière de l’ordre administratif est le Conseil d’État qui œuvre en tant que juge de cassation des décisions rendues par la cour administrative d’appel.

  • Quant aux juridictions de l’ordre judiciaire :

On y dénombre les juridictions commerciales, pénales, civiles, sociales etc. Les décisions rendues par les tribunaux judiciaires (anciennement Tribunal de grande instance TGI et Tribunal d’instance TI, Tribunal de commerce) peuvent être portées au niveau de la Cour d’appel (qui est une juridiction du second degré). Insatisfait, le requérant peut faire un pourvoi en cassation contre les décisions de la cour d’appel auprès de la Cour de cassation.

Une fois, ce panorama établi, abordons à présent la question des implications et aménagements de la voie de fait.

Implications et aménagements de la voie de fait

La résolution juridique de la voie de fait

Le rôle du juge judiciaire

Etendue de la compétence judiciaire

Lorsqu’il y a voie de fait confirmé, il faut recourir à la compétence de l’autorité judiciaire. Il dispose d’une compétence très étendue qui peut se rattacher à toutes les questions liées à la propriété; c’est d’ailleurs lui qui établit la voie de fait, qui la constate. Il peut même émettre une condamnation à l’encontre de l’autorité administrative en lui demandant de payer des dommages et intérêts. Il peut enfin faire cesser la voie de fait i-e adresser une injonction, par exemple, à l’Administration. Dans tous les cas, lorsque le juge confirme que nous sommes en présence d’une voie de fait, l’acte administratif entaché perd son caractère administratif. Cependant, mentionnons que la justice administrative est aussi compétente pour reconnaître le caractère de voie de fait d’un acte administratif : c’est la jurisprudence qui en a décidé ainsi.

On peut se poser la question de savoir pourquoi la compétence judiciaire a un champ d’action si étendue. La réponse principale est que la justice judiciaire est la gardienne traditionnelle de la propriété privée et en tant que tel, doit protéger les justiciables face aux agissements illégaux de l’Administration qui, elle, dispose de la toute puissance publique avec son corollaire de prérogatives exorbitantes de droit commun.

Cessation de la voie de fait

Nous l’avons souligné, en cas d’illégalité dans la décision de l’administration, c’est devant le juge judiciaire qu’il faut se présenter pour la cessation de la voie de fait. En effet, le juge judiciaire est compétent non seulement pour apprécier la légalité de la décision mais aussi pour trancher les litiges. Il a également la compétence de faire cesser une voie de fait et la réparer en appliquant une sanction à l’Administration.

L’un des moyens dont dispose le juge judiciaire pour contraindre l’administration est les injonctions. Par exemple, il est en mesure d’ordonner un référé préventif, une restitution, voire une expulsion de l’Administration dans le cas d’une emprise irrégulière. De la même manière il peut soumettre l’Administration au paiement d’une astreinte.

Le rôle du juge administratif

La protection des libertés

La compétence du juge administratif vise essentiellement la protection des libertés du citoyen contre les éventuels abus et erreurs potentiels de l’autorité administrative. A côté de cette fonction s’ajoute celle du maintien de l’ordre public.

Quelques domaines de compétence du juge administratif

Du fait de sa mission d’intérêt général, le pouvoir de l’administration est étendu : elle peut exproprier les propriétaires pour cause d’utilité publique, elle peut conduire à l’extinction des droits individuels, ordonner la démolition de biens immobiliers etc. Le rapport de force entre la personne publique que représente l’administration et les personnes de droit privé sont inégaux. C’est fort de cela que l’activité de l’autorité est encadrée et ses décisions peuvent faire objet de poursuites au niveau devant le juge administratif.

Voici présentés ci-dessous quelques domaines de compétence du juge administratif.

  • Le juge administratif est compétent pour juger les litiges qui naissent de tout type d’actes administratifs : marchés publics, contrats administratifs, exécution de travaux publics etc.
  • Les contrats comportant des clauses exorbitantes du droit commun ;
  • Les contrats conclus par une organisation internationale ;

Cependant, le juge administratif dispose de plusieurs moyens en vue de sauvegarder les libertés fondamentales : il peut exercer un contrôle légalité, il peut être aussi amené à prendre des référés en cas d’urgence.

La résolution de la voie de fait

Les cas urgents : Les référés

Lorsqu’il y a urgence et que le justiciable veut faire cesser immédiatement les effets de la décision (ou de l’action de l’administration), il lui est laissé la possibilité de saisir le juge administratif par une procédure dite de référé. Par le biais de cette procédure de référé, le demandeur recourt au juge du référé de prendre des mesures provisoires en vue de sauvegarder urgemment ses intérêts. Il est important de noter que le juge du référé est un magistrat qui siège seul. Il existe plusieurs types de référés.

Le référé-liberté

L’utilité de cette mesure est de faire cesser une situation urgente. L’urgence a trait à une décision de l’administration qui porte une atteinte à une liberté individuelle (expropriation, liberté d’aller et de venir, etc.). Par ailleurs, il doit s’agir d’un cas grave et manifestement illégal. La procédure du référé-liberté exige l’introduction d’une requête au niveau du tribunal administratif qui est censé se prononcer dans les 48 heures. Il est important de noter que la procédure juridictionnelle administrative est très rapide à ce niveau. Ainsi, la saisine du juge des référés peut se faire sans l’aide d’un avocat.

Le référé-suspension

Le référé-suspension vise la suspension de l’exécution d’une décision administrative (démolition d’un immeuble, expropriation pour cause d’utilité publique, rétention des locaux, etc.). A ce niveau, il faut souligner que la décision du juge des référés a un caractère provisoire.

Le référé-conservatoire

Encore appelée référé mesures utiles, l’idée dans ce cas est de demander aux magistrats d’intervenir avant que l’administration ait pris la décision jugée illicite. Le juge administratif est amené à prendre des mesures conservatoires.

Autre institution de protection des libertés fondamentales : La CEDH

Ce n’est pas seulement devant la juridiction administrative ou judiciaire qu’il faut se référer en cas de voie de fait. Il faut compter sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) aussi qui intervient en tant que garante des droits et libertés des citoyens européens. C’est ainsi que cette Cour de justice a rendu le 30 janvier 2020 un arrêt marquant par lequel elle condamnait l’Etat français pour les conditions de détention dans certaines prisons qui semblent inhumains et dégradants.

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