Lorsqu’un justiciable est en conflit avec l’administration, il peut saisir les juridictions administratives compétentes, à savoir : les tribunaux administratifs, les Cours administratives d’appel et le Conseil d’État. Le recours de plein contentieux et le recours pour excès de pouvoir sont les deux principaux recours administratifs du justiciable.
La différence majeure entre ces deux recours est la suivante : dans le cas de l’excès de pouvoir, le juge n’est pas libre dans sa décision. Son pouvoir est cantonné à annuler une décision administrative pour illégalité ou valider une décision administrative. Dans le cadre du recours de plein contentieux, le juge à davantage de pouvoir. Nous verrons par la suite quelle est l’étendue de ses pouvoirs.
En effet, le pouvoir du juge n’est pas limité à l’annulation ou à la validation d’une décision. Il peut aussi se prononcer sur l’affaire. Dans un recours de plein contentieux, l’administré peut faire un recours en responsabilité, c’est-à-dire engager la responsabilité de l’administration suite à un préjudice subi du fait d’une action ou une activité de l’administration.
Dans cet article, nous allons voir dans la première partie ce qu’est un recours de plein contentieux et dans la deuxième partie, les différents types de recours contentieux.
Vous souhaitez en apprendre un peu plus sur le recours de plein contentieux ? Lisez la suite 🙂
Qu’est-ce que c’est un recours de plein contentieux ?
Définition : Recours de plein contentieux
Le recours de plein contentieux est un recours par lequel un administré ayant été victime d’un acte de l’administration peut demander à un juge administratif d’annuler ou de valider une décision administrative. Le juge peut également se prononcer sur l’affaire en reformant ou en modifiant cette décision.
La décision du juge va ainsi se substituer à celle prise par les autorités administratives. On dit alors que le juge exerce la plénitude de ses pouvoirs.
La contestation doit se porter sur l’existence, la portée, les modalités ou l’exécution d’une situation juridique individuelle.
Puisqu’ici, il est question de rechercher la responsabilité de l’administration, la victime est en droit de demander une indemnisation en réparation des préjudices subis.
Conditions de recevabilité du recours de plein contentieux
Le recours de plein contentieux, pour être recevable, doit satisfaire à certaines conditions concernant le requérant, la décision préalable et les délais.
Conditions relatives au requérant
Premièrement, le requérant doit avoir l’intérêt et la qualité pour agir.
Contrairement à l’excès de pouvoir où le requérant devra simplement montrer son intérêt pour agir, dans le recours de plein contentieux, il faut démontrer l’existence d’un préjudice pour pouvoir engager la responsabilité de l’administration.
De ce fait, pour qu’un recours contentieux soit recevable, il faudra justifier l’existence d’un droit lésé.
Dans sa demande, le requérant doit solliciter le juge à lui accorder une réparation des préjudices qu’il a subis du fait d’une violation de ses droits.
Toutefois, même si le recours de plein contentieux est subordonné à l’existence d’un préjudice, il n’est pas nécessaire qu’il y ait violation d’une situation juridiquement protégée.
Ce recours appartient aussi aux tiers, mais seulement à condition qu’ils arrivent à justifier que leurs droits sont susceptibles d’être lésés par la réalisation de la décision administrative.
En matière de recours de plein contentieux, un ministère d’avocat est obligatoire. En effet, selon l’article R.431-2 du Code de justice administrative, à peine d’irrecevabilité, la demande tendant au paiement d’une somme d’argent, que ce soit à la décharge ou à réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou alors à la solution d’un litige né de l’exécution d’un contrat, doit être présentée soit par un avocat, par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou encore par un avoué dans le ressort du tribunal administratif qui est intéressé.
Exception : Celles qui sont citées dans l’article R431-3.
Décision préalable
Cette règle est applicable à tous les types de recours. En effet, on ne peut pas faire un recours de plein contentieux administratif sans avoir préalablement fait « un recours préalable » auprès des administrations.
Elle s’explique par le fait qu’on ne peut pas saisir directement le juge. Il faut tout d’abord envoyer une demande écrite par lettre recommandée avec accusé de réception et qu’elle soit adressée à l’administration concernée.
Dans cette demande, il faut préciser le préjudice subi et éventuellement le montant des dommages et intérêts (indemnisation).
Délai
L’administration dispose d’un délai de deux mois pour répondre, et ce, à compter de la réception de la demande.
- Si elle ne répond pas dans les 2 mois, cela vaut une décision implicite de rejet
- Si une décision explicite de rejet intervient dans ces délais, elle fait courir un nouveau délai de recours.
Sans une décision administrative rejetant la demande, on ne peut former un recours devant les tribunaux administratifs. C’est seulement à la suite d’une décision de rejet que le requérant peut saisir le tribunal pour contester le refus d’indemnisation de l’administration.
Concernant cette décision de rejet, qu’elle soit implicite ou explicite, selon l’article R.421-3 du Code de justice administrative, l’administré dispose d’un délai de 2 mois (délai franc) pour exercer un recours devant le tribunal administratif à compter de la réception ou de leur intervention de la décision implicite de rejet ou notification de la décision explicite de rejet. Après l’expiration de ce délai, le requérant sera forclos.
Il s’agit d’un délai de recours de droit commun en matière administrative sauf dispositions législatives ou règlementaires particulières.
La saisine du juge se fait par requête introductive d’instance.
À noter : Le délai en matière de décision implicite de rejet, pour être opposable, doit faire l’objet d’un accusé de réception indiquant les délais et voies de recours qui lui est applicable.
Le requérant dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification du jugement pour interjeter appel sauf pour les affaires dont la demande d’indemnité n’excède pas les 10.000 euros, et qui ne sont pas susceptibles d’appel.
Quels sont les différents types de recours de plein contentieux ?
Le contentieux de la responsabilité extracontractuelle
Constitue un recours de plein contentieux, la responsabilité de l’administration pour les dommages causés par un acte matériel du fait des personnes que l’administration emploie ou d’une décision de l’administration.
La victime du dommage peut réclamer une réparation à l’administration.
Le pouvoir étendu du juge administratif lui permet non seulement d’engager la responsabilité de l’administration et de donner droit à une réparation, mais il peut aussi fixer les modalités de cette réparation.
Exemples :
- Litiges relevant du mauvais fonctionnement du service public
- Litiges issus des accidents causés par des ouvrages publics
Le contentieux contractuel
Ce recours est ouvert à toute partie à un contrat administratif. Ils peuvent saisir le juge que cela soit :
- Pour une contestation de la validité d’un contrat (contentieux de la conclusion du contrat)
- Pour contester l’exécution du contrat
- Pour demander la reprise des relations contractuelles
Le requérant doit, de ce fait, justifier la présence de vice du contrat ayant un rapport direct avec l’intérêt lésé dont l’importance et la gravité sont soumises à l’appréciation souveraine du juge.
Le juge pourrait suivant les cas :
- Poursuivre la réalisation du contrat
Sous réserve ou non pour les parties d’effectuer une mesure régularisation du contrat d’une manière à faire disparaitre les vices.
- Résilier le contrat :
Si la mesure de régularisation ne permet pas de faire disparaitre les irrégularités donc la poursuite de la réalisation du contrat et à condition que la conséquence de la résiliation du contrat ne porte pas atteinte à l’intérêt général.
- Annuler partiellement ou totalement le contrat
Si ce dernier est jugé illicite ou entaché de vice.
- Il pourra éventuellement condamner la partie au paiement d’une indemnité au requérant
Il est aussi ouvert sans distinction à tout tiers susceptible d’être lésé. En effet, il pourrait contester la validité d’un contrat administratif qui porte atteinte à ses intérêts par sa passation ou ses clauses d’une manière directe et certaine devant le juge.
Il pourrait d’ailleurs demander au juge de mettre fin à l’exécution du contrat si cette demande lui a été refusée par l’administration.
Le contentieux fiscal
Il fait aussi partie du recours de plein contentieux.
Concernant la décision préalable qui est une étape commune à tous les recours de plein contentieux, la demande doit être adressée au Ministre chargé du budget dans laquelle il expose les préjudices qu’il a subis et notamment, le montant de l’indemnisation.
Cependant, selon l’article L190A des livres des procédures fiscales, « le contrôle et le recouvrement » ne peut porter que sur une période qui est postérieure au 1er janvier de la seconde année précédant celle au cours de laquelle l’existence de ladite créance a été révélée au demandeur. Si l’action se fonde sur une faute dans la détermination de l’assiette.
En cas de rejet implicite (silence gardé) de l’administration, l’intéressé peut saisir le juge de la juridiction administrative.
À noter : L’action indemnitaire ne constitue pas une réparation ayant pour objet le remboursement des impôts que l’intéressé estime être indu parce qu’un recours fiscal est déjà prévu à cet effet (article R.772-1 du CJA).
Ici, le pouvoir du juge ne se limite pas à valider ou à annuler une décision concernant une imposition litigieuse, il est aussi investi du pouvoir de reformer une décision. Par exemple, le juge peut réduire le montant de l’impôt que doit payer le contribuable.
Cependant, tous les litiges en matière fiscale ne sont pas du ressort d’un recours de plein contentieux, mais plutôt du recours pour excès de pouvoir, tel est le cas du recours contre un décret fixant les taux de redevance par exemple.
En ce qui concerne le contentieux en matière fiscale et entrant dans le domaine du contentieux de pleine juridiction, on peut aussi citer :
- Le contentieux concernant une demande de restitution de taxe
- Le contentieux de recouvrement
Contentieux électoral
En matière de contentieux électoral, le juge va trancher sur les questions de régularité du résultat du scrutin.
S’il constate une irrégularité grave qui aurait pu affecter le résultat, il pourrait rectifier les résultats entachés de vices, voire même substituer une nouvelle décision en procédant à la désignation d’un autre vainqueur que celui qui était initialement déclaré par l’autorité administrative (CE, 20 février 2002, Élections municipales de Saint-Elie).
Le contentieux de la protection de l’environnement
Selon l’article L181-1 du Code de l’environnement, sont soumis à des autorisations environnementales :
- Les installations, ouvrages, travaux et activités mentionnés I de l’article L.214-3, ainsi que les prélèvements d’eau pour l’irrigation en faveur d’un organisme unique
- Les installations classées pour la protection de l’environnement citées dans l’article L.512-1
D’après l’article L181-9 du Code de l’environnement, la demande qui consiste à une autorisation environnementale doit être soumise à une étape d’instruction qui se divise en trois phases : d’examen, d’enquête publique et de décision.
Cette demande peut toutefois être rejetée par l’autorité administrative ne serait-ce qu’à l’issue de la première phase, c’est-à-dire la phase d’examen si au vu du dossier ou du projet, l’autorisation ne pourra être accordée.
Par ailleurs, selon l’article L181-17 du Code de l’environnement, cette demande en question est soumise à un contentieux de pleine juridiction.
Ici, le juge n’est saisi que de la question de légalité de l’autorisation, mais son pouvoir ne se limite pas à cela. En effet, il est aussi investi du pouvoir de reformer l’acte administratif, et même de substitution en rendant nouvelle une décision et en se substituant à celle du préfet.
Le contentieux des droits sociaux
Il s’agit de contentieux qui concerne l’aide sociale. On peut ici citer :
- Les contentieux des requêtes relatives aux prestations, d’allocations du revenu et de solidarité active
- Les contentieux des pensions civiles et militaires de retraite
Le contentieux des sanctions
Le juge de plein contentieux peut aussi être saisi sur les litiges relatifs à la sanction prononcée par les autorités administratives à un administré (CE, Ass. 16 février 2009, Société Atom).
Exemple de sanction infligée par l’administration : Retrait de permis de conduire (CE, Ass. 9 Juillet 2010, Bertaux).
À noter : les sanctions prononcées par l’administration contre les agents publics, c’est-à-dire les sanctions disciplinaires, ne rentrent pas dans la compétence du juge du plein contentieux, mais plutôt de l’excès de pouvoir. Exemple : les sanctions infligées aux fonctionnaires.
Ou encore la déchéance de nationalité, à l’égard de Français naturalisés et condamnés par la justice pénale pour des faits de terrorisme, celle-ci relève de la compétence du juge de l’excès de pouvoir (CE, 8 juin 2016, Eveillard).
Le recours en interprétation
Le rôle du juge consiste à se prononcer sur le sens d’un acte administratif obscur. Il peut être exercé à titre principal.
La suite dans un prochain cours … 😉
Très utile