L’article 34 de la constitution est l’article qui définit le domaine de la loi. Le domaine de la loi est un terme qui désigne les attributions constitutionnelles accordées à l’Assemblée nationale. Il est question du domaine d’exercice ainsi que de la définition des diverses lois prises par le pouvoir législatif.
Dans un régime semi-présidentiel comme celui de la France, la séparation des pouvoirs est l’une des règles majeures qui organise le fonctionnement de tous les pouvoirs publics : le pouvoir exécutif incarné par le gouvernement est séparé du pouvoir législatif représenté par l’assemblée qui lui-même (le pouvoir législatif) est différent du pouvoir judiciaire exercé par les juridictions.
Pour ce qui concerne le pouvoir judiciaire, chaque juridiction dispose d’une attribution spéciale et d’un champ d’intervention technique suivant l’organisation juridictionnelle française. Dans ce sens, le droit administratif n’est pas le droit civil, ce ne sont pas les mêmes procédures ni les mêmes juges qui siègent dans chacun de ces domaines. Ce n’est pas exactement le cas lorsque le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont concernés.
C’est justement pour éviter des conflits fonctionnels entre les pouvoirs exécutif et législatif que le constituant a mis en place l’article 34 dans la constitution en vue de préciser le domaine d’application de la loi. Le domaine de la loi défini à l’article 34 de la constitution s’oppose au domaine du règlement qui, lui, est défini à l’article 37.
Dans cet article, nous allons expliquer dans un premier temps ce que recouvre le domaine de la loi. Dans cette perspective, il sera question pour nous de procéder, dans un premier temps, à une présentation générale en définissant le domaine de la loi et en présentant son contexte. Dans une seconde partie, nous allons montrer que le domaine de la loi admet un certain champ de limitation et quelques extensions.
Le domaine de la loi : Présentation générale de l’article 34 de la constitution
Le domaine de la loi : Contenu et définition
Le domaine de la loi : Définition
Tout d’abord, pour donner une définition fonctionnelle de ce que c’est que la loi, on dira qu’elle est un acte qui émane de l’Assemblée nationale par le biais d’une procédure bien définie et qui fait objet d’une promulgation par le Président de la République.
Le domaine de la loi quant à lui, fixe le cadre et les bornes de l’exercice des prérogatives reconnues au parlement en matière d’adoption des textes législatifs.
Le domaine de la loi : Les origines de l’article 34 de la constitution
Avant les années 1958, il n’existait pas une véritable démarcation entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. D’ailleurs, le domaine de la loi avait une prépondérance sans pareille mesure donnant à la loi la possibilité d’intervenir et de régir tous les domaines.
Les parlementaires avaient la largesse de fixer eux-mêmes les éléments que régissaient la loi, les compétences liées à certaines lois, etc. Ainsi, toute matière pouvait se retrouver sous le joug de la loi, ce qui restreignait très fortement le domaine du règlement.
Mais, sous la Ve République, deux textes principaux sont intervenus pour consacrer la distinction entre la compétence réglementaire et celle du législatif : il s’agit de l’article 34 de la constitution qui délimite le domaine de la loi et l’article 37 celui du règlement. Il faut reconnaître que cette distinction a apporté un changement notable en ce sens qu’elle permet de définir les limites du législateur ainsi que celles de l’exécutif.
Elle permet d’abord de mettre fin à la suprématie du parlementarisme qui faisait de l’Assemblée, la toute-puissance en matière de compétence législative. Ensuite, elle permet de reconnaître au pouvoir exécutif les domaines dans lesquels il peut prendre des décisions.
Cependant, il est important de mentionner qu’aujourd’hui, le pouvoir réglementaire est subordonné, en ce sens que les normes réglementaires sont inférieures aux normes législatives lorsque l’on considère la hiérarchie de la pyramide des normes de Kelsen. Par exemple, tout décret pris par le gouvernement ne peut aller en contradiction avec une loi, c’est-à-dire qu’il doit être conforme à la loi et en préciser l’application. C’est dans ce cadre qu’il est possible à tout citoyen de demander la censure par le juge administratif d’un décret non conforme à une disposition législative.
Le domaine de la loi selon l’article 34 de la constitution
Pour identifier le domaine de la loi, il suffit de considérer toutes les matières qui ne rentrent pas dans le domaine du règlement. Or ces matières sont précisées et listées par l’article 34 de la constitution. De façon plus claire, les domaines dans lesquels le parlement peut statuer sont encadrés dans l’article 34 de la constitution, il ne peut aller au-delà.
Toutes les autres matières qui sortent de ce champ tombent sous le pouvoir de l’exécutif qui peut édicter des normes et mesures afférentes grâce à la prise de règlements. On déduit donc à ce niveau que les mesures réglementaires édictées par l’exécutif sont comparables à des mesures de droit commun.
En effet, au regard de l’article 34 de la constitution française, le domaine de la loi peut être subdivisé en trois volets : d’abord les matières régies par la loi, ensuite les principes fondamentaux établis par la loi et enfin la précision du domaine de la loi par une loi organique.
Le schéma ci-dessous permet de mieux comprendre l’article 34 de la constitution.
Les matières législatives
Le domaine de la loi est principalement constitué des matières fixées par l’article 34 de la constitution. Dans ce cadre, il s’agit pour la loi d’expliquer dans le détail comment devra fonctionner la matière. Toutefois, l’application des lois rentre dans le ressort du pouvoir exécutif.
Au nombre des matières soumises à la loi, on peut citer :
- Toutes les matières relatives aux droits civiques dont jouissent les citoyens.
Aussi, tout ce qui a trait aux garanties fondamentales par lesquelles les personnes sont appelées à exercer leurs libertés publiques dans la société.
- Toutes les matières relatives à l’état civil des personnes.
Il s’agit en l’occurrence de leur nationalité, de leur capacité. Dans le cadre du mariage, sont aussi concernés les différents régimes matrimoniaux. Il faut y ajouter les successions et les libéralités.
- Toutes les matières relatives au régime électoral.
Sont concernées les différentes assemblées parlementaires, locales et celles d’outre-mer. À ce niveau, il faut ajouter les conditions dans lesquelles doivent être exercés tous les mandats électoraux. Il en va de même pour ce qui concerne les assemblées délibérantes des collectivités territoriales. En ce qui concerne les collectivités territoriales décentralisées, les mandats des élus locaux et les conditions afférentes relèvent de la loi sur la décentralisation.
- Toutes les matières conduisant à la création des établissements publics qu’ils soient à caractère commercial ou administratif.
- Toutes matières relatives au droit pénal.
Cette catégorisation s’étend de la détermination des crimes et délits jusqu’à la définition du statut applicable aux magistrats.
Les principes fondamentaux
Lorsqu’il s’agit de certaines matières, il existe des règles et principes auxquels elles sont soumises. Il revient à la loi de fixer ces règles, ce qui élargit le domaine de la loi. Ici, la loi ne fait que déterminer les grands principes auxquels sont soumises les matières. Les conditions de leur application sont fixées par des règlements.
Au titre des principes fondamentaux, le schéma ci-dessous en présente les plus essentiels :
La précision et l’apport des lois organiques
Le dernier alinéa de l’article 34 de la constitution permet de tirer la conclusion que les matières listées et rentrant dans le domaine du pouvoir législatif sont les lois ordinaires. En effet, cet alinéa précise qu’en cas de flou juridique, la précision peut être fournie par une loi organique.
Quels sont les types de lois qui existent ?
En droit français, plusieurs types de lois régissant divers domaines peuvent être énumérés. Ainsi il existe des lois relevant du domaine constitutionnel, de même certaines lois faisant partie du domaine administratif, fiscal, budgétaire, etc. Mais de façon générale, on peut distinguer deux grands sous-groupes de lois.
Tout d’abord, il y a les lois ordinaires. Ce sont les lois simples, prises selon une procédure législative classique. Ensuite, le second sous-groupe regroupe les lois qui relèvent d’une procédure législative spéciale. En effet ces dernières catégories de lois ne peuvent être votées et promulguées que dans des conditions particulières. Le schéma ci-dessous présente la seconde catégorie de lois.
Étant donné que chacune de ces lois a un domaine précis, le Conseil constitutionnel a pour mission de veiller à ce qu’elles soient adoptées dans les domaines les régissant. Par ailleurs, l’autre rôle du Conseil constitutionnel est de veiller aux écarts parlementaires tendant à élargir certains projets de loi à d’autres.
Pour ce qui concerne les lois constitutionnelles, leur adoption se fait par deux alternatives : celle du vote du congrès ou du référendum. Quant aux lois référendaires, c’est le Président de la République qui les initie (cas des projets de loi) ou alors le 1/5 des parlementaires (cas des propositions de loi). Quant à la révision de la constitution elle-même, elle n’est possible que par voie référendaire ou par une majorité des 3/5 de tous les suffrages des parlementaires.
Quelle différence existe-t-il entre une loi ordinaire et une loi organique ?
La première différence se situe dans le fait que la loi organique doit être nécessairement prévue par une disposition constitutionnelle alors que la loi ordinaire reste limitée aux matières listées par l’article 34 de la constitution. Au nombre des lois ordinaires qui existent, on peut évoquer le cas des lois de finances ; on peut également mentionner les lois de financement de la sécurité sociale, etc.
Par ailleurs, dans la hiérarchie des normes Kelsen (Pyramide de Kelsen), les lois organiques sont situées au-dessus des lois ordinaires et en dessous des lois constitutionnelles, ce qui rend leur procédure d’adoption spéciale.
Compte tenu de la jurisprudence en droit constitutionnel, les lois organiques sont cantonnées à régir seulement les domaines exclusivement prévus par la Constitution. Ainsi, lorsque les sénateurs manifestent leur désaccord, si la loi organique doit être adoptée, il faudra rechercher la majorité absolue des voix des parlementaires.
Une autre différence entre loi organique et loi ordinaire est la saisine du Conseil constitutionnel qui est automatique dès lors qu’il s’agit d’une loi organique. Cette saisine est opérée dès que le texte est adopté et avant que sa promulgation ne soit faite. Une fois, le texte est soumis au Conseil constitutionnel, celui-ci se charge du contrôle de constitutionnalité par lequel il vérifie si la loi est conforme aux règles constitutionnelles
Pour ce qui concerne les lois ordinaires, leur conformité à la constitution n’est vérifiée que dans certains cas, dont celui d’une question prioritaire de constitutionnalité (la QPC).
Voir : Différence entre contrôle de conventionnalité et contrôle de constitutionnalité.
Le domaine de la loi et les spécificités prévues par la constitution
Le domaine de la loi : Les extensions
Les extensions prévues au domaine de la loi
Le domaine de la loi tel que décrit par l’article 34 de la constitution est toutefois sujet à certaines extensions. Tout d’abord, en considération de la jurisprudence établie par le juge constitutionnel, il ne faut pas seulement s’appesantir sur l’article 34 de la constitution pour déterminer la compétence de l’Assemblée nationale. Ainsi, il est évident que d’autres articles constitutionnels permettent au Parlement d’intervenir en matière législative.
Le tableau ci-dessous présente ces articles :
Par ailleurs, l’assemblée est également compétente lorsqu’est concerné le Préambule de la constitution de 1958. En effet, le préambule fait recours à la possibilité que certaines lois interviennent dans des situations particulières liées aux libertés publiques et aux garanties fondamentales.
Dans ce même sillage, le parlement est compétent pour ce qui concerne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 surtout en matière de prise de lois visant à protéger les libertés fondamentales.
En outre, il n’est pas rare non plus, de voir les membres du gouvernement opter pour un projet de loi, quand bien même des décrets pourraient régler certaines matières données mises sous forme de dispositions législatives.
En effet, il faut reconnaître qu’à travers la délimitation des domaines opérés par les articles 34 et 37, le but visé n’est pas de faire frapper d’inconstitutionnalité des mesures règlementaires contenues dans une loi, mais plutôt de permettre la séparation des pouvoirs de façon effective en encadrant l’action et le domaine de compétence de chaque organe.
On comprend donc qu’une loi votée par le Parlement puisse renfermer des mesures de type règlementaire. Dès lors que le gouvernement n’y apporte pas de contestations particulières et qu’elle a été prise dans les conditions prévues par la constitution, cette loi va exister en toute régularité. Il faut en déduire que le gouvernement peut accepter que, par moment, le Parlement empiète sur son domaine, par le biais de lois comportant des mesures règlementaires.
Les extensions prévues au domaine du règlement
Le domaine de la loi possède des liens avec les mesures règlementaires dont l’extension a créé un type particulier de norme : l’ordonnance du gouvernement. En effet, il faut admettre qu’il existe quelques nuances à l’article 34 de la constitution. Si cet article a précisé le champ d’intervention du parlement et l’a distingué de celui du gouvernement, il faut faire recours à l’article 38 de la constitution pour constater que celui-ci élargit le domaine règlementaire.
Ainsi, une lecture de l’article 38 permet de conclure que lorsqu’il reçoit l’amendement du parlement, le gouvernement a la possibilité de prendre une ordonnance qui est une mesure normative lui permettant d’agir dans le domaine de la loi. Au premier abord, une ordonnance est une norme règlementaire, mais dès qu’elle est ratifiée par l’assemblée, elle est considérée comme une norme législative.
Comment le parlement autorise-t-il le gouvernement dans la prise d’ordonnance?
Tout d’abord, le gouvernement dépose son projet de loi d’habilitation qui donne la précision sur la durée et le but de l’habilitation. Ensuite, le projet est soumis à des votes au sein de l’assemblée puis il est procédé à son adoption selon la procédure législative ordinaire.
Une fois cette étape passée, le projet adopté est soumis au Conseil d’État pour recueillir son avis. Dans le cas d’un avis favorable, le conseil des ministres se réunit afin d’adopter définitivement l’ordonnance que signera le président de la République.
L’article 34 de la constitution et le domaine de la loi : Les mesures de respect des compétences
Il existe plusieurs garde-fous qui ont pour but de suivre le fonctionnement de chaque organe avec pour finalité d’éviter des empiètements entre les organes.
La recevabilité des propositions de loi du parlement
Une proposition de loi peut être frappée d’irrecevabilité lorsqu’elle n’est pas dans le cadre de la limite fixée par l’article 34 de la constitution. Le domaine de la loi est connu et l’assemblée ne peut l’ignorer. C’est l’article 41 de la constitution qui donne cette possibilité au gouvernement.
Dans certains cas, le président de l’assemblée nationale lorsqu’il est saisi peut aussi se prononcer sur l’irrecevabilité de la proposition de loi en question. Par cette procédure, dite de délégalisation, cette loi n’est pas débattue en assemblée par les parlementaires B/ Le rôle de gardien du Conseil constitutionnel.
Comme expliqué ci-dessus, le Conseil constitutionnel sert de dernier rempart parce qu’il exerce un contrôle constitutionnel des lois votées par rapport à la constitution. Mais aussi parce qu’elle vérifie si le parlement, en adoptant une loi, n’interfère pas dans le champ de l’exécutif.
Par ailleurs, grâce à l’article 37 de la constitution, il est accordé au gouvernement la possibilité de demander au Conseil constitutionnel une autorisation particulière qui lui permettrait de prendre un décret et de modifier toute loi qui aurait empiété le champ règlementaire.