L’arrêt Ternon du 26/10/2001 est un arrêt important en droit administratif, car il apporte des précisions sur les conditions de retrait d’une décision administrative créatrice de droits ainsi que sur les effets de sa disparition.
Par cet arrêt, le Conseil d’État a ainsi jugé que le délai de retrait d’un acte administratif ainsi que le délai de recours contentieux étaient différents et devaient être séparés ; tant pour leur durée réciproque que pour le point de départ qui fait courir les deux délais.
Dans cet article, nous allons analyser cette décision de justice rendue par la plus haute juridiction de l’ordre administratif et nous délivrerons un commentaire de l’arrêt Ternon.
Les faits et la procédure de l’arrêt Ternon
Tout comme l’arrêt Dehaene du 07 juillet 1950, l’arrêt Ternon est aussi un arrêt de principe en droit administratif. Voici les faits et la procédure : le 30 décembre 1983, le président du conseil régional de Languedoc-Roussillon a pris un arrêté à travers lequel il a titularisé des agents contractuels.
Suite à cet arrêté, Monsieur Ternon qui faisait partie des agents titularisés par cet acte administratif va demander le retrait de l’acte puis revenir sur sa décision.
Par un arrêté pris par le président du conseil régional de Languedoc-Roussillon en date du 31 décembre 1987, Monsieur Ternon va être réintégré en qualité d’agent contractuel.
Néanmoins, le président du conseil régional va refuser la titularisation de Monsieur Ternon en qualité d’administrateur territorial par une décision rendue en date du 25 mars 1988.
Suite à la commission d’une faute disciplinaire, les fonctions de Monsieur Ternon prendront fin par un arrêté rendu en date du 7 janvier 1991 par le président du conseil régional de Languedoc-Roussillon.
Monsieur Ternon va dès lors contester cette décision devant le tribunal administratif de Montpellier et demander que l’arrêté du 31 décembre 1987 soit annulé tout comme la décision du 25 mars 1988 relative au refus de sa titularisation en tant qu’administrateur territorial, ainsi que l’arrêté du 7 janvier 1991 relatif à son licenciement disciplinaire.
Après une décision rendue en première instance par deux jugements du 11 mai 1995 et du 8 novembre 1995 qui vont rejeter les demandes de Monsieur Ternon, celui-ci va interjeter appel contre ces deux jugements auprès de la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Par un arrêt du 26 mars 1998, ses requêtes en appel vont être rejetées.
Monsieur Ternon, non satisfait de cette décision, va alors former un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. La haute juridiction par un arrêt rendu en date du 26 octobre 2001 va annuler l’ensemble des décisions précédentes ainsi que les arrêtés.
** Voir ici : C’est quoi un arrêt de principe ? Comment le distinguer des autres arrêts ? Cliquez sur le lien pour en savoir plus ! **
Le problème de droit de l’arrêt Ternon et la décision du Conseil d’État
Le problème de droit qui se posait devant le Conseil d’État avec l’arrêt Ternon était le suivant :
Quelles sont les conditions de retrait d’une décision administrative créatrice de droits ?
À travers son arrêt, le Conseil d’État va décider de distinguer le délai de retrait du délai de recours contentieux. Il s’agit d’un véritable revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt Dame Cachet de 1922 qui avait lié les deux.
Il ressort de cette décision que l’administration a la possibilité de retirer unilatéralement une décision illégale créatrice de droits dans un délai de 4 mois.
Par ailleurs, le délai pour agir doit avoir comme point de départ la date de prise de décision et non pas la date de publicité ou de notification de l’acte. Toutefois, des dérogations légales ou réglementaires peuvent prévoir des règles contraires comme les juges du Conseil d’État l’ont précisé.
Ainsi, les conditions pour retirer (ou abroger) une décision administrative créatrice de droits sont les suivantes :
- La décision doit être illégale
- Le retrait ou l’abrogation doit obligatoirement intervenir dans les quatre mois qui suit la date de prise de décision sauf dispositions légales ou réglementaires contraires
Ce principe établi par la jurisprudence (la définition ici) de l’arrêt Ternon a ensuite été repris et codifié par le code des relations entre le public et l’administration en son article L. 242-1.
La distinction entre le retrait et l’abrogation d’un acte administratif
Les actes administratifs et plus spécifiquement les actes administratifs unilatéraux obéissent à un régime particulier ainsi qu’à des conditions de validités particulières. Il en va de même de leur annulation.
C’est justement de l’annulation d’un acte administratif dont il est question avec l’arrêt Ternon. Ainsi, pour annuler un acte administratif, deux voies sont possibles :
L’abrogation :
L’abrogation d’un acte administratif consiste à annuler un acte, mais seulement pour l’avenir. Il n’y a pas d’effet rétroactif c’est-à-dire que toutes les conséquences passées qui résultent de l’acte ne sont pas annulées.
Le retrait :
Le retrait d’un acte administratif consiste à annuler un acte non seulement pour l’avenir, mais aussi pour le passé. Ici, l’annulation de l’acte entraîne bien des effets rétroactifs et annule tout ce qu’il a produit depuis la date de prise de l’acte. Il n’aura plus aucun effet non plus dans le futur. Le retrait peut être effectué par l’auteur de l’acte ou son supérieur hiérarchique.
Toutefois, en droit administratif français, le retrait ou l’abrogation ne sont possibles que si l’acte administratif (unilatéral en l’espèce dans l’arrêt Ternon) qui crée des droits est irrégulier. Dans le cas contraire, si l’acte est régulier alors il n’est pas possible de l’abroger ou de le retirer sauf dispositions légales ou réglementaires contraires comme le précise le Conseil d’État dans l’arrêt Ternon.
L’idée pour les magistrats consiste ici à dire que le législateur peut venir préciser ou modifier les conditions du retrait ou de l’abrogation s’il l’estime nécessaire.
La distinction entre le délai de retrait et le délai de recours contentieux
L’arrêt Ternon énonce de manière très claire que le retrait d’un acte illégal peut avoir lieu dans un délai de quatre mois à partir de la date de la prise de décision comme point de départ du délai de retrait.
Nous avons ici un véritable revirement de jurisprudence en ce sens que jusqu’alors, c’est le principe de la jurisprudence Dame cachet de 1922 qui était appliqué. Ce principe énonçait que le délai applicable pour un acte créateur de droits était un délai de deux mois, soit le délai du recours contentieux. Ainsi, le délai de retrait correspondait au délai contentieux.
Pour des raisons de sécurité juridique, mais aussi de légalité les magistrats dans l’arrêt Ternon, ont mis fin à une jurisprudence constante qui fusionnait les deux délais.
Depuis lors, il est possible pour l’administration de retirer un acte administratif illégal créateur de droits pour un administré de manière unilatérale dans un délai de 4 mois à partir de la date de prise de décision.
Une précision s’impose : Il ressort de cet arrêt que les décisions individuelles créatrices de droit sont concernées de manière express. Néanmoins, les décisions implicites tout comme les actes réglementaires ou d’espèces dont les destinataires n’ont aucun droit acquis à leur maintien ne sont pas concernés par la jurisprudence de l’arrêt Ternon.