En quoi l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 est-il important en droit européen ?

Arrêt Simmenthal du 9 mars 1978

L’arrêt Simmenthal du 09/03/1978 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes est un arrêt fondamental pour le droit européen, car il a confirmé la primauté du droit communautaire sur le droit national ainsi que son application par le juge national.

Avec cet arrêt Simmenthal, les juges européens ont posé le principe que le juge national est aussi un juge communautaire. Il doit en tout temps appliquer le droit européen qui est d’ordre public. Il s’agit non seulement d’un pouvoir qui lui est octroyé, mais aussi d’un devoir, et ce même si une loi nationale postérieure à une norme communautaire est contraire au droit communautaire.

En effet, à l’instar de l’arrêt Van Gend en Loos et de l’arrêt Costa contre ENEL du 15 juillet 1964, cette jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes représente un arrêt de principe qui caractérise le droit européen.

Face à ce constat, posons-nous cette question : Quel est l’apport essentiel qu’il faut retenir de l’arrêt Simmenthal ? À travers l’arrêt Simmenthal, la leçon essentielle à garder en tête est la primauté du droit communautaire sur le droit interne, peu importe que les dispositions de l’ordre juridique interne soient adoptées avant ou après celles de l’ordre juridique communautaire.

Dans cet article, nous allons nous focaliser sur le commentaire de l’arrêt Simmenthal qui sera étudié sous tous ses aspects. Mentionnons que tout au long de l’étude de l’arrêt Simmenthal, certains termes parfois désuets seront utilisés : ainsi on parlera à la fois de « droit communautaire » et de « droit de l’Union européenne ».

Toutefois, les deux termes expliquent la même chose, la différence subsiste entre le fait que le terme « droit de l’Union européenne » est celui utilisé aujourd’hui. Il en va de même pour les termes « Cour de justice des Communautés européennes » et « Cour de justice de l’Union européenne ». Aujourd’hui, la juridiction européenne qui tranche les litiges à l’échelle européenne est la Cour de justice de l’Union européenne.

Le développement de cet article sera subdivisé en deux grandes parties : dans la première partie, il sera essentiellement question de présenter l’arrêt Simmenthal. Dans la seconde partie, nous allons porter quelques analyses critiques relatives à cet arrêt.

Présentation de l’arrêt Simmenthal

Arrêt Simmenthal : Quels sont les faits ?

Dans l’arrêt Simmenthal, le requérant est une société d’origine italienne spécialisée dans la fabrication de corned-beef. Après que la société a fait une importation de viande de bœuf depuis le territoire français, elle a fait l’objet d’une taxation importante résultant d’un contrôle sanitaire sur la marchandise.

En effet, l’entreprise est sommée de payer une lourde taxe de près de 581.480 lires. Indigné par la dureté de la loi nationale qu’on lui a appliquée, le requérant a saisi les juridictions italiennes aux fins de se faire restituer les sommes payées.

Quelles sont la procédure et les prétentions des parties dans l’arrêt Simmenthal ?

C’est d’abord devant le juge national italien que se porte le requérant. En effet, il estime que la législation nationale qui lui a été appliquée est contraire au droit communautaire, lequel protège la libre circulation des marchandises sur le territoire européen.

La demande du requérant porte sur le fait que la juridiction nationale doit sanctionner la violation par l’administration des finances de ce principe communautaire et la rétrocession des sommes qu’elle a payée.

À leur tour, les juridictions nationales procèdent à la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Devant le juge des communautés européennes, le requérant obtient raison et la Cour de justice décide que la taxe payée doit lui être remboursée.

Ensuite, les juges nationaux dans le sillage de la jurisprudence rendue par la Cour de justice des Communautés européennes intime à l’administration de retourner les montants versés par le requérant. Par effet de surprise, celle-ci refuse, en se basant sur le fondement d’une loi postérieure au traité de Lisbonne qui autorise la taxe contestée.

De nouveau, le juge interne fait appel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en lui demandant de trancher les questions préjudicielles qui se posent dans l’arrêt.

Rappelons que la Cour de justice des Communautés européennes a changé de dénomination en 2009 pour devenir la nouvelle Cour de justice de l’Union européenne.

Commentaire :

L’arrêt Simmenthal consacre une situation conflictuelle entre le droit communautaire et le droit interne qui devait être soumis en principe à l’appréciation de la Cour constitutionnelle italienne.

En effet à cette époque, après la décision du juge communautaire c’était à la Cour constitutionnelle qu’il revenait de décider si la loi contestée était effectivement incompatible au droit constitutionnel.

Cependant dans l’arrêt Simmenthal, le juge national a assumé lui-même la responsabilité de constater l’incompatibilité du texte national par rapport à la norme réglementaire alors que ce qui était en jeu dans cette affaire était un principe à valeur constitutionnel.

Pour rappel, en droit européen il faut remarquer que la libre circulation des marchandises est incorporée aux principes fondamentaux dans tous les États membres.

Ceci sous-entend que son respect doit être unanime, quel que soit le pays européen dans lequel l’on se trouve. Autrement dit, il ne doit pas exister de restriction nationale par rapport à ce principe communautaire.

NB : Notre méthodologie du commentaire d’arrêt en droit français est aussi accessible via ce lien. Si vous voulez renforcer vos compétences ou apprendre cette méthodologie, rendez-vous sur notre article dédié au commentaire d’arrêt ! Ce guide pratique a été élaboré afin d’aider les étudiants en droit à réussir cet exercice juridique particulier.

Quel est le problème de droit de l’arrêt Simmenthal ?

Le problème de droit que pose l’arrêt Simmenthal est de deux ordres ; c’est ce qui justifie essentiellement les deux questions préjudicielles que la juridiction nationale a porté devant la juridiction communautaire.

Première question préjudicielle en cause dans l’arrêt Simmenthal

Puisqu’une norme du droit communautaire est d’application directe, cela revient-il à considérer comme incompatible et inapplicable toute norme nationale contraire au droit communautaire alors même que cette dernière n’a pas encore fait l’objet d’une abrogation par le législateur national ou par le Conseil constitutionnel (ou tout autre organe constitutionnel) ?

Deuxième question préjudicielle en cause dans l’arrêt Simmenthal

En cas d’abrogation d’une disposition législative contraire au droit communautaire, faut-il opérer une pleine rétroactivité de manière à ne pas créer un potentiel préjudice pour les droits subjectifs ?

Commentaire :

Pour le premier point, il revenait de trancher la question de savoir si l’application d’un texte national (dont les droits nationaux sont en jeu) pris postérieurement à une règle communautaire pouvait être contestée.

En réalité, aucun véritable problème ne se serait posé sur ce point, si la disposition nationale était antérieure à la règle communautaire. Ce qu’il faut comprendre c’est que le droit des Communautés européennes avait pour but de corriger un manquement ou la violation de certains droits au sein même des États membres.

Le véritable problème survenait en effet lorsqu’un État membre promulguait une loi contraire à une règle communautaire alors que cette dernière existait bien avant.

De façon claire, dans nos faits d’espèce les deux questions préjudicielles amenaient le juge communautaire à trancher la compatibilité de la taxe imposée au requérant par le droit national avec la réglementation communautaire.

Quelle est la solution de l’arrêt Simmenthal ?

Concernant la première question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a répondu par l’affirmative. Pour la Cour, une norme communautaire est applicable directement, et ce, même lorsqu’elle rentre en conflit avec le droit national.

Ainsi, les juges nationaux doivent considérer l’incompatibilité et l’inapplicabilité des textes nationaux par rapport au droit communautaire.

En réalité, la Cour ne pouvait statuer autrement puisque dans le cas contraire, la Cour n’aurait pas reconnu l’effectivité des engagements internationaux pris par les États membres de la communauté européenne.

Par conséquent, il faut remarquer que cette position de la Cour de justice des communautés européennes par rapport à la première question préjudicielle rend la seconde sans objet.

Quelle est la portée de l’arrêt Simmenthal ?

Avant d’aborder la portée de l’arrêt Simmenthal, il serait intéressant de jeter un regard sur la valeur de cette jurisprudence.

La valeur de l’arrêt Simmenthal

Deux raisons déterminent l’importance de l’arrêt Simmenthal pour le droit européen.

Tout d’abord, l’arrêt Simmenthal permet de retenir que c’est le juge national qui est habilité à statuer également en lieu et place de juge communautaire.

Autrement dit, c’est au juge national qu’il revient d’assurer l’application du droit communautaire. Or les normes communautaires étant d’ordre public, le juge est tenu au moment de leur application de veiller au respect du principe de primauté du droit communautaire.

Par ailleurs, au moment de l’application du droit communautaire, deux situations peuvent se poser au juge national. Dans le cas où une appréciation claire des normes communautaires ne peut être faite, les juridictions nationales prononcent un sursis à statuer et dans ce cas, elles saisissent la Cour de justice de l’UE (de l’Union européenne).

À ce niveau, une question préjudicielle est adressée par la juridiction nationale afin que la Cour de justice de l’Union européenne puisse interpréter le « texte obscur ». Une fois cette étape franchie, le juge national statue conformément à l’interprétation donnée par la Cour.

Dans la seconde situation, la règle communautaire est suffisamment claire pour qu’il ne soit plus nécessaire pour le juge national de requérir l’avis de la Cour à l’échelle européenne avant de l’appliquer. Dans ce cas, le juge (national) applique la réglementation communautaire. C’est ce qui est désigné par la théorie de l’acte clair.

La seconde raison qui justifie l’importance de l’arrêt Simmenthal est le fait qu’il confère au juge national une certaine puissance et des prérogatives au-delà de l’ordre juridique national. En effet, celui-ci peut assurer la primauté du droit communautaire sur tout type de texte législatif.

La portée de l’arrêt Simmenthal

La portée de l’arrêt Simmenthal est très importante pour cette époque en ce sens que cet arrêt modifie la hiérarchie des normes en consacrant la primauté du droit international et surtout du droit communautaire sur la législation nationale.

Ainsi, si une composante du droit national est contraire au droit communautaire qui est situé au-dessus dans la hiérarchie des normes Kelsen, soit le droit national ne sera pas applicable soit la disposition contraire devrait être transposée par rapport au droit communautaire.

Il s’agit donc d’une véritable nouvelle hiérarchie des ordres juridiques qui est née à travers l’arrêt Simmenthal. Le schéma ci-dessous fait ressortir le lien hiérarchique entre les différents ordres.

Analyse critique de l’arrêt Simmenthal

Application de l’arrêt Simmenthal au droit français

À travers l’arrêt Simmenthal, la question qui se pose maintenant est de savoir comment les juridictions françaises doivent se comporter vis-à-vis de l’application du droit de l’UE. En la matière, plusieurs points sont à relever.

Application immédiate du droit international

L’administration française doit appliquer les normes issues du droit international ou du droit communautaire. Ceci peut se faire soit de façon immédiate ou après la transposition de la norme communautaire à la législation nationale. Cela se justifie par le fait que les règles communautaires ont une prééminence sur les textes législatifs et les règlements.

Cependant, l’application du droit européen par le juge français diffère selon la nature de la norme. Dans les cas où les décisions européennes sont des directives communautaires (recommandations, avis, etc.), il n’est pas nécessaire de procéder à leur transposition en droit interne avant leur applicabilité immédiate. Pour ce qui concerne les décisions-cadres, l’ordre juridique national doit être aligné sur la réglementation communautaire.

Rappelons que par rapport aux transpositions en droit interne, un État membre n’est lié à une directive de l’UE que dans l’atteinte des résultats fixés. Ainsi chacun des États membres est libre d’utiliser les moyens qui lui conviennent pour y arriver. Dans cette optique il revient à l’administration française d’étudier la compatibilité du droit national par rapport à la directive européenne.

Dans les cas où les deux règles ne sont pas compatibles, il est procédé à la modification du droit national par la loi ou par les règlements. À la question de savoir qui détermine si une directive communautaire rentre dans le champ d’application réglementaire ou législatif, il faut répondre que c’est le Conseil d’État en France qui joue dans ce cas un rôle prépondérant.

Reconnaissance de la suprématie du droit communautaire par les institutions françaises

Dans le droit interne français, plusieurs institutions ont consacré la suprématie du droit communautaire sur l’ordre juridique français. Lorsqu’on s’en tient par exemple, en droit civil, à l’arrêt Société des Cafés Jacques Vabre, c’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation.

Cet arrêt rentre dans la ligne droite de l’arrêt Simmenthal. En effet, dans cette affaire qu’a connue la chambre mixte de la Cour de cassation, il apparaissait selon le juge judiciaire que le traité de Rome a la primauté sur les dispositions législatives antérieures comme postérieures à celles adoptées par le législateur. Tout comme l’arrêt Simmenthal, le juge judiciaire dispose de l’habilitation pour effectuer lui-même le contrôle de conventionnalité.

Il en va de même, en droit administratif, pour l’arrêt du Conseil d’État relatif à l’arrêt Nicolo dans lequel la haute juridiction confirmait que le droit communautaire européen se hisse au-dessus de la législation nationale française.

Dans cette affaire, le juge administratif reconnait avoir la compétence pour effectuer un contrôle de compatibilité entre les engagements internationaux de la République française avec les lois nationales même dans le cas où celles-ci leur sont postérieures.

Ainsi, il peut écarter l’application d’une loi dès lors que celle-ci est non conforme aux engagements internationaux de la France (pour aller plus loin, lisez aussi notre article sur l’application d’une loi dans l’espace).

L’implication directe de ces deux exemples est que le droit français doit être conforme aux prescriptions de la réglementation européenne.

Le conseil constitutionnel a par ailleurs donné l’autorisation aux juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire d’opérer toute vérification des lois qui les concernent dès lors que celles-ci entrent en conflit avec des normes communautaires et de statuer elles-mêmes sans oublier de garantir la primauté du droit communautaire.

Les caractéristiques du droit communautaire

En considération des implications de l’arrêt Simmenthal, il ressort que deux principes fondamentaux fondent la spécificité du droit communautaire. Le schéma ci-dessous présente ces deux principes :

La primauté du droit communautaire

C’est la constitution de 1958 qui consacre déjà ce principe à travers son article 55. Selon cet article de la constitution, un texte national ne doit pas aller en contradiction avec les accords et les traités internationaux dont les normes communautaires font partie.

Si tel est le cas, ce dernier doit être modifié. La question est plus complexe concernant la Constitution qui est supérieure au droit européen. Bien souvent, en cas d’incompatibilité effective et importante, celle-ci est révisée si certains de ces articles ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. On peut citer dans ce sens plusieurs révisions qui ont suivi les traités de Maastricht en 1992 ou celui de Schengen en 1993.

L’effet direct du droit européen

Pour ce qui concerne l’effet direct de la norme réglementaire, il faut retenir à ce niveau que les principes du droit européen peuvent être appliqués de façon directe à tous les ressortissants de l’Union européenne, alors même que les États membres ne les ont pas encore incorporés dans leur législation nationale.

Autrement dit, malgré qu’un texte communautaire ne soit pas encore transposé dans une loi nationale, les dispositions de ce texte européen sont applicables aux citoyens de cet État qui fait partie de l’Union européenne.

Le rôle de la cour de justice de l’UE

C’est à la Cour de justice de l’Union européenne qu’il revient de veiller au respect par chaque État membre de l’application du droit communautaire vis-à-vis de leur législation nationale. Ainsi, dans le cas où un État viole une norme communautaire, la cour de justice peut le sanctionner et lui rappeler les règles à suivre.

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babazou

merci beaucoup pour cet article !

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