L’arrêt Perruche du 17/11/2000 est un arrêt majeur en matière de responsabilité civile car il a consenti la réparation d’un préjudice personnel subi par un enfant qui était né avec un handicap.
En effet, un dommage ne mérite réparation qu’autant qu’il consiste dans la lésion d’un intérêt licite. La perte de rémunération illicite n’est pas un préjudice réparable (Cass 2e chambre civile 24 janvier 2002). Cette exigence a pu poser plusieurs problèmes, et notamment, celui de la mort du concubin et celui de la naissance d’un enfant.
Par cet arrêt du 17 novembre 2000, dit l’arrêt Perruche, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est allée très loin puisqu’elle a admis la réparation du préjudice personnel subi par un enfant né avec un handicap. Rarement une décision de justice avait provoqué une telle discorde.
L’arrêt Perruche prend le parti de ne laisser aucune situation douloureuse sans secours, pas même l’enfant du préjudice du fait de la naissance et de son handicap, non pas pour rétablir un équilibre passé à jamais rompu, mais bien pour lui permettre de limiter les conséquences présentes et futures de la situation provoquée par la faute du médecin et du laboratoire d’analyses médicales.
Cette jurisprudence a trouvé son aboutissement dans l’article 1er de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé appelée loi « anti-Perruche » aujourd’hui codifié à l’article L114-5 du Code de la santé publique.
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Les faits et la procédure de l’arrêt Perruche
Alors qu’elle pensait être enceinte, Madame Perruche a décidé de faire réaliser un test afin d’établir si elle avait ou non contracté la rubéole et pouvoir, le cas échéant, interrompre sa grossesse. À la suite d’une erreur du laboratoire d’analyses et d’une grave négligence du médecin traitant qui ne fit pas procéder à des analyses complémentaires, la mère pense ne pas avoir contracté cette maladie, poursuit sa grossesse jusqu’à son terme et met au monde un enfant lourdement handicapé.
Quelques années plus tard, les parents décidèrent d’agir en justice non seulement pour obtenir réparation de leur propre préjudice, mais également au nom de leur enfant pour réclamer la réparation du préjudice subi personnellement par ce dernier.
Les juges du de la Cour d’appel de Paris, dans l’arrêt du 17 décembre 1993 refusèrent de réparer le préjudice subi par l’enfant, tout en faisant droit à la demande personnelle des parents. La première chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 1996 leur donna tort et censura, mais uniquement en ce que l’arrêt avait refusé de réparer le préjudice de l’enfant puis renvoya le litige devant la Cour d’Orléans. Cette dernière, par son arrêt du 5 février 1999, décida alors de résister et l’affaire revient devant la Cour de cassation, cette fois-ci saisie en sa formation plénière.
Tenue par les termes de l’article L131-4 alinéa 2 du Code de l’organisation juridictionnelle française, celle-ci devra admettre que le préjudice de l’enfant a bien été causé par la faute du médecin et du laboratoire d’analyses, et on peut considérer que l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière le 17 novembre marque ainsi l’épilogue de l’arrêt Perruche
Les prétentions des parties et le problème juridique de l’arrêt du 17 novembre 2000
Les parents Perruche soutiennent que le médecin ainsi que le laboratoire ont commis une faute en omettant d’effectuer correctement le test de rubéole de la mère. En effet, cette dernière n’a pu pratiquer l’IVG et cette faute a entraîné la naissance de l’enfant handicapé. Ils se font sur l’ancien article du Code civil 1165 relatif à la responsabilité contractuelle.
Nicolas Perruche a subi le préjudice de ce handicap du fait de la faute médicale du médecin et du laboratoire de biologie médicale d’Yerres. Il s’appuie sur la responsabilité civile du médecin et les dispositions de l’ancien article 1382 du Code civil.
Les juges du fond dans l’arrêt Perruche s’accordent à reconnaître la responsabilité contractuelle de l’article 1165 de l’ancien Code civil et l’indemnisation des parents. Cependant, ils forment un bloc de résistance pour admettre l’indemnisation de Nicolas. Ils considèrent que son handicap n’est pas imputable à la faute du médecin et du laboratoire de biologie médicale, mais seulement à la transmission de la rubéole par sa mère et ne peut se prévaloir de la décision de ses parents d’interrompre sa grossesse. Ils déplorent un défaut de lien de causalité entre la faute des défendeurs et le préjudice subi par Nicolas.
Il est soumis à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation la question de savoir si un enfant né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic d’un médecin peut obtenir réparation du fait de sa naissance.
La solution de l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000
Par cet arrêt, la Haute Cour casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans aux visas de l’article 1165 et 1382 anciens du Code civil. Elle décide que « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X… avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ».
La rubéole contractée in utero par l’enfant que portait Mme Perruche aurait dû être décelée. Elle ne l’a pas été. La faute médicale est avérée. Mme Perruche avait, de son côté, clairement exprimé sa volonté d’interrompre sa grossesse en cas d’atteinte rubéolique. Ce dont il résulte que la faute médicale a été la condition sine qua non de la naissance de l’enfant. On peut donc considérer qu’il existe une relation de causalité entre la faute médicale et la naissance. C’est ce que nous apprend le raisonnement de la Cour de cassation.
Cependant le dommage, c’est le handicap, qui est, quant à lui, congénital et résulte de la rubéole contractée par la mère au cours de la grossesse. En d’autres termes, il y a bien une faute (l’erreur de diagnostic) et un dommage (le handicap), mais pas de lien causal entre les deux, puisque le seul lien de causalité qu’on a pu détecter relie la faute et la naissance, non la faute et le dommage.
D’autre part, l’assemblée plénière affirme l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice résultant du handicap et l’erreur de diagnostic anténatal. Dans l’arrêt Perruche, le dommage, c’est le handicap et les préjudices, les souffrances morales en résultant. L’Assemblée plénière ne met-elle pas en œuvre une distinction entre le dommage et les préjudices, lorsqu’elle parle de « la réparation du préjudice résultant de ce handicap » ? Le dommage (handicap) n’a assurément pas été causé par les fautes médicales. Mais peut-on en dire autant des préjudices ? Ceux-ci, qui consistent en une souffrance, ne peuvent exister qu’autant que l’enfant malformé in utero est né. La naissance est une condition indissociable de l’existence des préjudices.
L’exigence d’une faute prouvée constitue un rempart efficace contre les dérives contentieuses qu’on nous prédit. Le risque serait en effet que les actions en responsabilité exercées au nom d’enfants nés dans des conditions comparables à celles du jeune Nicolas Perruche prolifèrent subitement et qu’elles n’atteignent à terme soit les parents qui auraient décidé de ne pas interrompre une grossesse, soit les médecins qui n’auraient pas conseillé à une mère présentant des risques de recourir à une telle intervention.
S’inscrivant dans la même lignée, on a pu lire que l’arrêt Perruche pourrait bien développer un certaine tendance incitant les médecins à privilégier la solution de facilité de l’interruption de grossesse afin de se protéger contre d’éventuelles actions menées par l’enfant ou ses représentants légaux, les parents eux-mêmes hésitant à mener à terme, pour des raisons identiques, les grossesses à risque, exposés qu’ils seraient, à leur tour, à des actions téléguidées par quelque avocat intéressé ou quelque conjoint revanchard.
Il serait faux de prétendre qu’il n’existe aucun risque en ce sens, ou plus exactement qu’il serait possible d’exclure tout risque d’action dirigée au nom de l’enfant contre les médecins ou les parents « coupables » d’avoir mené la grossesse à terme.
Le risque ne nous paraît pas non plus sérieux pour les médecins. Certes, un risque existe et les médecins peuvent se tromper lors du diagnostic concernant le « péril grave » pour « a santé de la femme ou sur la forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».
Mais il est à souligner que les conditions posées par l’article L2211-1 du Code de santé publique laissent aux médecins une marge d’appréciation assez importante et qu’il n’est pas interdit aux parents de demander une autorisation d’interruption de grossesse pour motif thérapeutique à une autre équipe, si elle estime que le refus opposé par la première n’est pas fondé. Une faute dans le diagnostic est donc toujours possible, mais, compte tenu des termes mêmes de la loi, elle impliquerait une erreur particulièrement grossière, rare en pratique.
L’arrêt Perruche ne changera en tout état de cause pas la perception qu’ont les médecins de leurs responsabilités, ni même de la qualité du travail à accomplir.
La portée de l’arrêt Perruche
Le droit de ne pas naître a également été l’enjeu de vives discussions à l’occasion de cet arrêt Perruche aussi médiatisé que controversé. Bien que la volonté des juges de rendre une décision d’équité soit manifeste, les retombées ultimes de cette position n’ont pas manqué pas de causer une inquiétude légitime à la majorité de la doctrine.
Nombreux sont les auteurs qui pensent que le droit de ne pas naître, loin d’assurer la dignité des personnes handicapées, risque au contraire de cautionner l’eugénisme ou l’euthanasie, sous couvert de bonne conscience.
Malgré ces critiques, la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises le principe de l’indemnisation de l’enfant né handicapé en réparation de son préjudice, notamment à l’occasion de deux arrêts de l’assemblée plénière du 28 novembre 2001. Ils concernaient des enfants atteints de trisomie 21. L’un des arrêts ne concerne que le préjudice parental et affirme qu’il doit être réparé dans son intégralité, y compris dans ses aspects matériels. L’autre arrêt statue sur le préjudice du petit Lionel X., atteint d’une trisomie 21 à laquelle s’associent des troubles psychotiques.
La cour d’appel avait limité la réparation à 50 % des conséquences de son handicap. L’assemblée plénière pose le principe de la réparation intégrale, au motif que le préjudice de l’enfant résulte de son handicap et non de la perte d’une chance. Ni le fait que la grand-mère de l’enfant s’occupe actuellement de lui au domicile ni le fait qu’il devrait être bientôt pris en charge en internat dont les frais seront acquittés par les organismes sociaux ne sont de nature à réduire ou supprimer son droit à réparation.
Devant l’émoi provoqué par ces jurisprudences, très vivement critiquées par une doctrine quasi-unanime, un amendement au projet de loi relatif à la solidarité nationale et à l’indemnisation des handicaps congénitaux a été adopté le 10 janvier 2002, posant le principe selon lequel « nul, fût-il né handicapé, ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » antinomique à la solution de l’arrêt Perruche, codifiée à l’article L114-5 du Code de la santé publique.
Restait à savoir si les dispositions de la loi du 4 mars 2002 seraient considérées conformes aux dispositions de la Convention EDH par le juge européen. Malgré l’avis optimiste du Conseil d’État (CE, avis, 6 déc. 2002, no 250167, D. 2003, p. 108), la France a été censurée par la Cour de Strasbourg dans les arrêts Draon et Maurice (CEDH 6 octobre 2005 Draon c/ France et Maurice c/ France).
Considérant que l’espérance légitime d’obtenir le versement d’une indemnité constitue un bien au sens de l’article 1er du premier Protocole additionnel, la Cour européenne va estimer que l’intervention d’une loi destinée à priver les requérants de cette valeur patrimoniale a une portée rétroactive incompatible avec les dispositions de la Convention. Sans s’immiscer dans la marge d’appréciation habituellement réservée aux États pour définir ce qui relève de l’ordre public et d’un « besoin social impérieux » de recourir à une ingérence dans les droits et libertés reconnus aux individus, les juges de Strasbourg, au travers du prisme de la proportionnalité, vont néanmoins avoir une lecture critique de la mise en œuvre du mécanisme d’indemnisation proposé par le législateur français.
En substituant un système de compensation fondé sur la solidarité nationale aux règles de la responsabilité civile prônant la juste réparation du préjudice, la loi de 2002 porte une atteinte disproportionnée au droit des parents qui se trouvent ainsi lésés des indemnités auxquelles ils pouvaient légitimement aspirer. Au-delà de la censure de la rétroactivité de la loi, il est tenté d’estimer que c’est le dispositif législatif qui est critiqué, tant il est vrai que compenser n’est pas indemniser. Mais il serait sans doute excessif de conclure à l’inconventionalité générale du texte de 2002.
Le caractère disproportionné de l’atteinte aux biens des requérants doit se combiner à la portée abusivement rétroactive du texte. Les parents victimes d’erreurs de diagnostics prénataux déjà constatées avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle auraient dû recevoir des indemnités judiciaires. C’est d’ailleurs dans ce sens que la première chambre civile de la Cour de cassation a fait droit aux victimes d’erreurs de diagnostics prénataux dans une série d’arrêts du 24 janvier 2006 (Cass. 1re civ., 24 janvier 2006) considérant que l’application de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 aux instances en cours viole le droit au respect des biens.
En revanche, il est désormais acquis dans cette construction post arrêt Perruche que les futures victimes ne peuvent pas tirer argument de la rétroactivité de la loi, pas plus qu’elles ne peuvent se prévaloir d’une « espérance légitime » d’obtenir le versement d’une indemnité, les dispositions du texte de 2002 ne leur offrant pas cet avantage.
Bonne argumentation