Quel est l’apport de l’arrêt Mme Laubier rendu par le Conseil d’État le 24 Octobre 1997 ?

Arrêt Mme Laubier du 24 Octobre 1997

L’arrêt Mme Laubier (CE/24/10/1997) rendu par le Conseil d’État est un arrêt important de la jurisprudence administrative et plus particulièrement en matière d’acte administratif.

Et pour cause, la disparition de l’acte administratif de l’ordonnancement juridique peut se faire en principe via plusieurs mécanismes. Soit naturellement en ce que l’acte en question devient caduc car devenu avec le temps inapplicable. Soit de façon accidentelle par l’intervention du juge administratif qui l’annule pour irrégularité ou illégalité.

Aussi, l’acte administratif peut disparaître du fait de son auteur c’est-à-dire l’autorité l’ayant adopté. Ici, l’administration dispose de deux procédés pour anéantir une décision provenant d’elle. Soit par le mécanisme de l’abrogation qui prive l’acte d’effets juridiques pour l’avenir ou en le retirant tout simplement.

Contrairement à l’abrogation qui n’a point d’effet rétroactif, le retrait anéantit tous les effets de l’acte à compter de son adoption. De ce fait, on dit que le retrait produit un effet rétroactif. Ce dernier mécanisme n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre soulève souvent quelques difficultés.

En effet, si le retrait d’actes créateurs de droits légaux ne pose pas de problèmes en ce que l’initiative appartient à son seul bénéficiaire et à condition que son retrait par l’Administration ne porte pas atteinte aux droits de tiers, il n’en est pas de même pour ceux créant des droits illégaux dans le chef d’un bénéficiaire.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat avait dans l’arrêt Dame Cachet du 3 novembre 1922 posé la règle selon laquelle le retrait n’était possible que tant que le délai du recours contentieux n’était pas encore expiré et ce, dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte.

En renfort à cette règle, l’arrêt Ville de Bagneux du 6 mai 1966 du Conseil d’Etat est venu rajouter la possibilité pour l’administration de retirer à tout moment un acte en l’absence de notification ou de publication ou même en cas de publicité incomplète ou irrégulière.

Ce positionnement de la Haute juridiction administrative avait son lot de défaillances jusqu’à l’arrivée de l’arrêt Mme Laubier. En effet, la solution retenue par celle-ci et, dans l’arrêt Dame Cachet et, dans l’arrêt Ville de Bagneux consacrait une insécurité juridique en permettant à l’administration de pouvoir retirer un acte créateur de droit aussi illégal soit-il, à tout moment au seul motif que sa publicité aurait été incomplète ou irrégulière.

C’est pour pallier ce vide favorable dans une certaine mesure, à l’arbitraire de l’Administration que le Conseil d’Etat est intervenu à travers l’arrêt Mme Laubier rendu le 24 novembre 1997 pour poser les conditions de retrait d’un acte administratif créateur de droit illégal.

Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Mme Laubier ?

En l’espèce, Madame Laubier avait demandé au secrétaire d’Etat aux anciens combattants et victimes de guerre de procéder à son reclassement. Par un arrêté du 26 février 1988, ce dernier fit droit à sa requête de reclassement en prenant en compte pour le calcul de son ancienneté, la totalité de la durée de ses services accomplis avant sa prise de fonction à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Néanmoins, environ 10 mois après le reclassement de Madame Laubier, le ministre, par un arrêté du 4 janvier 1989, décida de retirer son arrêté précédent du 26 février 1988 reclassant la requérante au motif que ce dernier avait été pris en méconnaissance des dispositions des articles 5 et 6 du décret susvisé du 27 janvier 1970 relatif à l’organisation des carrières des fonctionnaires des catégories C et D.

Madame de Laubier décide alors de faire recours devant le Tribunal administratif de Paris en vue d’obtenir l’annulation du second arrêté adopté le 4 janvier 1989. Toutefois, elle fut déboutée de sa demande.

En conséquence, elle interjette appel devant le Conseil d’Etat. Le 24 novembre 1997 avec l’arrêt Laubier, le juge suprême administratif rendit l’arrêt sous commentaire en faisant droit à la demande de la requérante.

Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Mme Laubier ?

En substance, la requérante dans l’arrêt Mme Laubier demandait au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêté du 4 janvier 1989 en ce qu’il emportait suppression de celui du 26 février 1988 lui ayant notifiée son reclassement.

Or, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants et victimes de guerre, auteur des deux arrêtés respectifs, prétendait que Madame Laubier ne pouvait pas opposer les délais de retrait d’une décision administrative créatrice de droit illégal car lesdits délais n’étaient pas mentionnés dans la notification de l’acte de reclassement du 29 février 1988, comme le prévoyait l’article R.104 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel.

Dès lors, il revenait au Conseil d’Etat dans l’arrêt Mme Laubier de répondre à la question de savoir si l’Administration pouvait valablement retirer un acte individuel créateur de droit illégal en se prévalant de son oubli de préciser dans sa notification, les délais et voies de recours tel que expressément prévu par les textes.

Quelle est la solution de l’arrêt Mme Laubier rendue en date du 24 novembre 1997 ?

En réponse à la question de droit soulevé dans l’arrêt Mme Laubier, la Haute juridiction administrative répondit par la négative.

En effet, le Conseil d’Etat a, dans l’espèce, jugé que l’auteur d’un acte qui n’a pas précisé les délais et voies de recours dans la notification de celui-ci, ne pouvait pas de sa propre initiative, valablement invoquer le bénéfice des dispositions de l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, pour le retirer au-delà du délai des deux mois à compter de sa notification, à partir du moment où ladite décision individuelle, illégale soit-elle ; était créatrice de droits.

Par conséquent, dans l’arrêt Mme Laubier, il donna gain de cause à Madame Laubier en cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel.

Par cette solution, le juge suprême administratif fait le choix de la sécurité juridique en amorçant par-là, une avancée jurisprudentielle d’une importance majeure.

En effet, comme nous l’avons précédemment relevé, c’est dans l’arrêt Dame Cachet de 1922 précité que le Conseil d’Etat a pour la première fois posé le principe général du retrait d’un acte administratif créateur de droit illégal.

En effet, le retrait n’était envisageable que dans l’hypothèse où l’acte en cause était illégal et ce, avant qu’il ne soit devenu définitif, c’est-à-dire, plus susceptible de recours devant le juge administratif (CE, 26 janvier 2007, SAS Kaefer Wanner, n°284605).

Et pour cause, ce recours n’était possible que dans un délai de deux mois qui courait à partir de la publication ou la notification de l’acte. Il s’ensuit ainsi que le Conseil d’Etat assimilait le délai du retrait à celui du recours contentieux.

De surcroît, il y avait un autre souci avec cette jurisprudence. En effet, puisque le délai ne courait qu’à compter de la publication ou de la notification, celui-ci était donc toujours envisageable dans l’hypothèse où il n’y avait pas eu de publication ou notification. Cela a d’ailleurs été consacré par la Haute juridiction administrative dans l’arrêt Ville Bagneux de 1966 précité.

Or, par cette possibilité accordée à l’Administration de pouvoir retirer une décision illégale plus de deux mois après sa notification à l’intéressé au seul motif que l’acte en cause avait été irrégulièrement notifié et ne pouvait par conséquent, plus encore faire l’objet d’un recours de l’intéressé, le Conseil d’Etat consacrait une sorte d’insécurité juridique.

En effet, il permettait à l’Administration de couvrir ses erreurs en retirant indéfiniment des actes créateurs de droits aussi illégaux soient-ils. De toute évidence, cela ressemblait à un pouvoir arbitraire dans le chef de l’administration.

Il a fallu donc attendre l’arrêt Mme Laubier pour que la Haute juridiction corrige se ressaisit. En effet, le Conseil d’Etat dans l’arrêt Mme Laubier a rappelé que l’obligation résultant de l’article R.104 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel tel que modifié par le décret du 28 novembre 1983 en vertu duquel « les délais de recours contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », avait pour but de protéger les administrés. Dès, lors, l’Administration ne pouvait se fonder sur ce dernier pour retirer un acte même si celui-ci était créateur de droits illégaux.

Cette solution semble tout à fait logique et juste d’ailleurs. En effet, l’obligation de notification de l’acte administratif qui incombe à l’Administration a pour objet d’informer les notifiés des possibilités qu’ils disposent pour faire recours au cas où ils ne seraient pas d’accord avec la décision de l’administration.

Il est donc compréhensible que l’Administration ne puisse pas se prévaloir de son oubli d’avoir rempli cette obligation pour retirer un acte en se prévalant de l’illégalité de celui-ci. L’article R.104 précité a donc pour finalité de protéger les administrés et non de couvrir les erreurs de l’administration.

Cette position retenue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Mme Laubier a d’ailleurs été reprise dans l’arrêt Ternon du 26 octobre 2001 dans lequel le juge suprême de l’ordre administratif a estimé que l’Administration ne disposait que d’un délai maximal de quatre mois à compter de l’édiction d’un acte individuel créateur de droits même, entaché d’illégalité pour le retirer.

Le Conseil d’Etat va plus loin encore en précisant qu’il importait peu que le délai de recours ait ou non couru à l’égard des tiers ou que l’acte en cause soit ou non devenu définitif à l’égard de ces derniers.

Quelle est la portée de l’arrêt Mme Laubier rendu le 24 novembre 1997 par le Conseil d’État ?

À travers l’arrêt Mme Laubier, les juges ont fait le choix de la sécurité juridique en imposant à l’Administration des conditions pour le retrait des actes créateurs de droit même s’ils sont illégaux.

Malgré que cette solution ait été confirmée par la Haute juridiction judiciaire dans l’arrêt Ternon du 26 octobre 2001 précité, il convient de noter tout même que la jurisprudence de l’espèce est aujourd’hui tempérée.

En effet, le Conseil d’État permet désormais à l’Administration de neutraliser les conséquences d’une décision illégale créatrice de droits lorsque celle-ci a pour objet d’attribuer un avantage financier à un agent d’une personne publique.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat, dans un avis en date de 2014 (Avis CE, 28 mai 2014, n°376501), a estimé que l’Administration pouvait refuser de verser les sommes dues en application d’une décision illégale définitive dès lors qu’elle pourrait les répéter dès leur versement en application des dispositions de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 fixant un délai de deux ans de prescription des créances des personnes publiques.

Aussi, le juge administratif a admis que le délai de quatre mois accordé à l’Administration pour le retrait d’une décision illégale créatrice de droits puisse être remis en cause, tant par des dispositions législatives ou réglementaires contraires (CE Ass., 26 octobre 2001, Ternon, n°197018 précité) ainsi qu’en vue d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union européenne (CE, 29 mars 2006, Centre d’exportation du livre français, n°274923).

Ces exceptions admises au retrait par l’Administration d’un acte illégal créateur de droits sont aujourd’hui reprises dans par l’article L. 241-1 du CRPA.

A cela s’ajoute, la possibilité pour l’Administration de retirer sans conditions des actes individuels obtenus par fraude (CE, 29 novembre 2002, Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, n°223027) ou des actes insusceptibles de créer des droits au profit de leurs destinataires (CE, 18 mars 1998, M. Khellil, n°160933). Cette jurisprudence constante est aujourd’hui également consacrée à l’article L. 241-2 du CRPA.

Enfin, dans un arrêt en date du 5 juillet 2010, la Haute juridiction administrative a posé la règle suivant laquelle il pouvait être procédé sans conditions de délai, au retrait des décisions attribuant des subventions lorsque les conditions permettant leur octroi n’étaient plus remplies (CE, 5 juillet 2010, CCI de L’Indre, n°308615). Cette règle prétorienne est aujourd’hui reprise à son compte par l’article L. 242-2 du CRPA.

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