L’arrêt Labanne du 19 décembre 2000 est un arrêt majeur en droit du travail, car il a précisé ce qu’est un lien de subordination. En effet, si le contrat de travail semble toujours séduire les uns et les autres, c’est parce qu’il constitue une certaine assurance pour les salariés. Bien sûr l’assurance d’obtenir un revenu à la fin de chaque mois. C’est en cela que réside essentiellement l’avantage de ce contrat car constituant pour le salarié une garantie à l’employabilité et au salaire. Aussi, il permet aux salariés un éventail élargi de protection sociale contrairement aux indépendants.
En outre, le contrat de travail est aussi, à contrario de beaucoup de contrats voisins, un garde-fou contre les mesures de licenciement abusif de l’employeur qui pourrait viser le salarié qui risque de se retrouver sur le banc du chômage. Puisque, l’employeur peut être amené à verser une indemnité de licenciement au salarié en cas de licenciement sans juste motif. En effet, c’est ce qui explique la tentation de beaucoup de particuliers engagés dans des rapports contractuels à vouloir voir leur relation requalifier en contrat de travail.
Certes, restrictif de la liberté du salarié puisque ce dernier est soumis au pouvoir de direction, de contrôle et éventuellement de sanction de l’employeur, le contrat de travail n’en est pas moins attractif et un incontournable lorsque l’on vit en société. D’ailleurs, les nombreuses demandes en requalification l’en témoignent. Le cas d’espèce de L’arrêt Labanne rendu le 19/12/2000 par la Cour de cassation en constitue également une parfaite illustration.
Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt Labbane ?
En l’espèce, dans l’arrêt Labanne, la société Bastille s’était engagée par un contrat en date du 1er juin 1993 intitulé « contrat de location d’un véhicule équipé taxi », à donner en location un taxi à M. Labbane et ce, pour une durée d’un mois, renouvelable par tacite reconduction et ce, moyennant le paiement d’une redevance.
À la suite de la résiliation dudit contrat par la société Bastille Taxi, le locataire a saisi le tribunal des prud’hommes en vue de se faire reconnaitre la qualité de salarié de la société Bastille taxi afin d’obtenir le paiement des indemnités liées à la rupture du contrat de travail. Toutefois, la société a décliné la compétence de la juridiction prud’homale au motif qu’elle n’était pas dans un rapport contractuel de travail avec le requérant.
Le requérant a alors décidé de saisir la Cour d’appel de Paris en l’espèce, compétent pour statuer. Néanmoins, cette dernière a donné à son tour raison à la société en estimant que le requérant n’était nullement lié au loueur par un contrat de travail en ce qu’il ne recevait pas d’instructions de celui-ci, et qu’en l’absence de pouvoir de direction, la seule dépendance économique résultant de la redevance ne suffisait pas à caractériser le lien de subordination.
En conséquence, M. Labbane a formé un pourvoi en cassation afin d’obtenir la cassation de l’arrêt attaqué et donc la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail.
Dans son arrêt Labanne du 19 décembre 2000 ici commenté, la Cour de cassation a fait droit à sa demande en cassant et annulant l’arrêt de la Cour d’appel.
Arrêt Labbane : les prétentions des parties et la question de droit
En effet, le requérant dans l’arrêt Labanne a fait grief à l’arrêt attaqué de le débouter en ce qu’il n’était pas lié à la société Bastille taxi par un contrat de travail en ce sens qu’il ne recevait pas d’instructions du loueur et qu’en l’absence d’un pouvoir de direction avec le chef de la société, la seule dépendance économique résultant de la redevance ne suffisait pas à caractériser un lien de subordination.
Or, ce dernier soutenait que les conditions d’exercice de son activité résultant des obligations mises à sa charge par le contrat satisfaisaient à la condition d’existence du lien de subordination.
Ainsi, M. Labbane entendait faire casser l’arrêt d’appel afin de pouvoir bénéficier des indemnités de résiliation inhérentes au contrat de travail.
En l’espèce dans l’arrêt Labanne, la Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si le critère du lien de subordination était rempli pour permettre convenablement la requalification du contrat de location issu de la volonté des parties en contrat de travail.
Quelle est la solution de l’arrêt Labbane rendue en date du 19/12/2000 ?
Pour répondre à la question de droit soulevée dans l’arrêt d’espèce, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé la solution dégagée par la cour d’appel en déclarant que «[…] l’accomplissement effectif du travail dans les conditions précitées prévues par ledit contrat … plaçait le locataire dans un état de subordination à l’égard du loueur[…] « et par conséquent, elle a jugé qu’en réalité : «[…] sous l’apparence d’un contrat de location d’un véhicule taxi, était en fait dissimulé l’existence d’un contrat de travail ».
Le juge suprême de droit commun est allé encore plus loin en reprenant la jurisprudence de l’arrêt du 17 avril 1991 suivant laquelle l’existence d’une relation de travail ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties et ne dépend pas non plus de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais plutôt des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
En effet, le raisonnement de la haute juridiction judiciaire amène à constater que l’appréciation du lien de subordination, « clé de voûte » du contrat de travail, ne dépend pas de la dénomination du contrat signé entre les parties, encore moins de leur volonté exprimée dans celui-ci. Dès lors, toute demande de qualification ou requalification d’une convention devrait s’apprécier au regard « des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur ».
Ce n’est nullement surprenant puisque la solution de l’arrêt Labanne est confirmative de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, dégagée depuis son fameux arrêt du 13 novembre 1996, dit « arrêt Société Générale », par lequel, elle a érigé le lien de subordination comme étant la pierre angulaire du contrat de travail.
En effet, d’après de la haute juridiction judiciaire, le lien de subordination s’entend de « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
Pour le caractériser, le juge du fond doit recourir à la méthode du faisceau d’indices pour confirmer ou, le cas échéant, infirmer l’état de subordination à l’aune des « conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».
C’est ainsi que dans l’arrêt Labanne, la Cour de cassation ayant constaté que «[…] l’accomplissement effectif du travail […] plaçait le ” locataire ” dans un état de subordination à l’égard du ” loueur ” […] » a en déduit que le contrat liant les deux parties qui, en apparence, était un « […] contrat de location d’un ” véhicule taxi ” […]», dissimilait en fait « […] l’existence d’un contrat de travail […] ». Par voie de conséquence, elle a donné gain de cause au requérant en cassant et annulant l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Paris.
Ce considérant de l’arrêt Labanne peut se justifier en ce que le contrat en cause mettait de nombreuses obligations à la charge du locataire quant à l’utilisation et l’entretien du véhicule loué.
Ainsi, il lui était notamment requis de « […] conduire personnellement et exclusivement le taxi, de l’exploiter en « (bon père de famille) […] », de pourvoir « […] chaque jour à la vérification des niveaux d’huile et d’eau du moteur […] » en vue de « […] le maintenir en état de propreté en utilisant, à cette fin, les installations adéquates du ” loueur […] ».
Aussi, le contrat imposait au locataire, l’obligation de « […] faire procéder, dans l’atelier du ” loueur “, à une ” visite ” technique et d’entretien du véhicule une fois par semaine et en tout cas, dès qu’il aura parcouru 3 000 kilomètres […] » sous peine de supporter lui-même « […] les frais de remise en état […] » et d’assumer «[…] le coût de toute intervention faite sur le véhicule en dehors de l’atelier du ” loueur ” ainsi que la responsabilité de cette intervention […] ». Cela rappelle incontestablement le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction dans le chef de l’employeur, éléments caractéristiques du lien de subordination.
Au regard de ces exigences requises du locataire, on peut donc dire que c’est à bon droit que la Cour de cassation dans l’arrêt Labanne a fait droit à la requête de requalification de M. Labanne après que la cour d d’appel lui a opposé un refus catégorique.
Cette solution retenue dans l’arrêt Labanne, fidèle à la jurisprudence de « l’arrêt Société générale » de 1996, est constamment rappelée aujourd’hui par la Cour de cassation pour requalifier des rapports contractuels en contrat de travail. C’est ainsi que cette même Cour a jugé que le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur sur l’employé était caractéristique de l’existence du lien de subordination et par conséquent d’un contrat de travail (Cass. 2e civ., 20 mars 2008).
En outre, la Cour de cassation est allée plus loin dans la recherche du lien de subordination en élargissant ses indices au critère de « service organisé ». En effet, selon le juge suprême de droit de commun, un travail accompli au sein d’un « service organisé » par l’employeur suffit à établir l’existence du lien de subordination puisque ce dernier « détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » (Cass. 2e civ., 14 juin 2006, no 04-30.711).
La portée de l’arrêt Labbane rendu le 19 décembre 2000 par la Cour de cassation
À travers l’arrêt Labanne, la Cour de cassation a affirmé son attachement à sa jurisprudence « Société générale » du 13 novembre 1996 précitée, par laquelle, elle a reconnu explicitement le lien de subordination comme étant une « clé de voûte » devant servir à la qualification du contrat de travail.
Ne constituant pas certes un arrêt de principe, l’arrêt Labanne a au moins le privilège de préciser que l’appréciation de toute relation contractuelle de travail doit se faire suivant les « conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur ».
Cela sert aujourd’hui de base pour la détermination du lien de subordination. Ainsi, dans l’arrêt Uber, la Cour de cassation a, au regard des conditions d’exercice de l’activité des chauffeurs Uber, jugé que ces derniers devaient être considérés comme des salariés, car se trouvant dans un rapport de subordination vis-à-vis de la plateforme (Cass. Soc. 4 mars 2020).
Également, dans l’affaire Take Eat Easy, la même Cour a estimé qu’eu égard au fonctionnement du service proposé par celle-ci qu’il existait un lien de subordination entre la plateforme de travail collaboratif et ses livreurs à vélo et cela emportait donc la requalification de leur relation contractuelle en contrat de travail.
Cette tradition qui voit dans le lien de subordination, « l’unité de mesure » du contrat de travail, à laquelle l’arrêt Labanne n’aura pas dérogé est donc constamment reprise par la jurisprudence actuelle.
En effet, ce dernier exclut toute indépendance dans le chef de l’employé et le place dans un rapport de soumission à un employeur duquel il reçoit des ordres et dépend également de lui économiquement.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 8 octobre 2020, la Cour d’appel de Paris a jugé que les livreurs de la plateforme Tok Tok n’avaient pas la qualité de salariés puisque ces derniers choisissaient eux-mêmes leurs zones d’interventions (CA Paris, 8 octobre 2020). Un raisonnement analogue a aussi été adopté par la cour d’appel de Lyon qui, le 15 janvier 2021, a, dans le cadre d’une demande de requalification, refusé la qualité de salarié à un chauffeur Uber au motif que ce dernier était indépendant, ce qui excluait alors l’existence d’un éventuel lien de subordination (CA Lyon, 15 janvier 2021).
Enfin, dans les affaires Voxtur en date du 14 avril 2014, le conseil de prud’hommes de Paris a pu refuser la qualité de salarié à un chauffeur en observant que « le chauffeur fixait lui-même non seulement ses jours d’activité et de repos, mais également quand il souhaitait se connecter au réseau ».
En conséquence, la jurisprudence « Société générale » reprise dans l’arrêt Labanne ici rapportée, reste toujours d’actualité.