L’arrêt château d’Yquem du 9 février 1999 est un arrêt novateur, car à travers cette décision la Cour de cassation vient poser le principe que tous les associés ont le droit de participer aux décisions collectives et de voter. Ainsi, les statuts ne peuvent pas déroger à ces dispositions. Bien que l’arrêt Château d’Yquem ne fasse pas de revirement de jurisprudence à proprement parler, les juges de cassation viennent balayer l’ombre qu’avait mis la jurisprudence auparavant sur la faculté des statuts à pouvoir déroger au principe du droit de vote des associés.
Selon la jurisprudence antérieure et notamment l’arrêt de 1994 (l’arrêt De Gaste), la Cour de cassation laissait à penser que le caractère d’ordre public de la faculté des associés à pouvoir prendre part aux votes de la société n’était en réalité plus autant d’ordre public que cela.
Pour autant et contre toute attente, la Cour de cassation ne suivra pas la jurisprudence de l’arrêt Château d’Yquem quelques temps plus tard et reviendra même sur ses positions en permettant une dérogation de la loi de par les statuts. Finalement, elle revient de nouveau sur sa position en confirmant l’arrêt Château d’Yquem dans une décision rendue en date de 2013.
Arrêt Château d’Yquem du 09/02/1999 : Les faits et la procédure
En l’espèce, la société en commandite par actions (S.C.A) Château d’Yquem constitué en 1992 a un article 26 au sein de ses statuts qui exclue du vote relatif aux conventions réglementées non seulement les personnes visées par l’article 258 de la loi de 1966, mais également leurs conjoints, ascendants et descendants.
Le 25 janvier 1992, l’Assemblée Générale constitutive de la société vote une troisième résolution autorisant la signature de conventions avec une société civile, en l’occurrence la société civile du château d’Yquem dont le gérant est le même que pour la S.C.A. Trois résolutions sont ainsi signées entre les deux sociétés.
Il en résulte que certains actionnaires demandent judiciairement la nullité de ces résolutions (voir : la différence entre une demande en nullité absolue et une demande en nullité relative), car ils estiment que pour la première résolution, le gérant qui est à la fois gérant de la société civile et le gérant de la SCA ne peut pas prendre part au vote. De plus, les actionnaires estiment également que le fils du gérant qui prend part au vote lors de la deuxième résolution n’est pas habilité à le faire.
La Cour d’appel de Bordeaux va ainsi annuler la résolution de l’assemblée générale du 28 mai 1994 en faisant application des dispositions statutaires, c’est-à-dire l’article 26 des statuts étendant l’interdiction du vote prévue par l’article 258 de la loi du 24 juillet 1966. Elle va également rejeter la demande de nullité de la résolution du 25 janvier 1992.
Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Château d’Yquem
Dans l’arrêt Château d’Yquem, les associés demandent la nullité relative des résolutions prises par l’Assemblée Générale car le gérant a participé au vote de la société tout en étant le gérant de la société commandité et le gérant de la société civile.
De plus, son fils a pris part au vote de la seconde société en son nom personnel, mais aussi en tant que mandataire de son oncle. Ainsi, il s’agit d’une violation de l’article 26 des statuts de la société qui disposent que les dispositions établies par l’article 258 de la loi du 24 juillet 1966 sont applicables en cas de conventions intervenant directement ou par personne interposée entre une société et l’un de ses gérants ou l’un des membres de son conseil de surveillance.
Dès lors, le problème de droit posé devant la Cour de cassation dans l’arrêt Château d’Yquem consiste à savoir si les statuts d’une société peuvent déroger à la loi en matière de vote d’un associé souhaitant participer aux décisions collectives ?
Quelle est la solution de l’arrêt Château d’Yquem ?
La Cour de cassation va casser et annuler l’arrêt rendu par la Cour d’appel le 9 février 1999 en précisant que les statuts ne peuvent pas déroger aux dispositions de l’article 1844 alinéas 1 et 4 du Code civil. En effet, la Cour de cassation estime que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et donc de voter. Dès lors, ces dispositions ne peuvent pas déroger aux statuts de la société.
Quelle est la portée de l’arrêt Château d’Yquem rendu en date du 9 février 1999 par la Cour de cassation ?
L’arrêt Château d’Yquem est un arrêt fondamental qui a bousculé la vision antérieure du droit de vote de l’associé. En effet, la Haute juridiction va se baser sur le visa de l’article 1844 alinéa 1 du Code civil qui dispose que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives » pour rendre sa décision.
Cet article d’apparence plutôt clair est en soi plutôt difficile à interpréter, car il faut comprendre ce que signifie l’expression « participation aux décisions collectives ». Cette participation comprend trois droits pour les associés, à savoir : Celui d’accéder et d’être informé sur les comptes de la société, le droit de contrôler les dirigeants de la société ainsi que le droit de vote.
Ce dernier est considéré comme un droit d’ordre public depuis un arrêt ancien de la Cour de cassation. En effet, la Cour de cassation le 7 février 1932 considérait déjà le droit de vote comme un attribut essentiel de l’associé.
Dans les faits de l’espèce, deux conventions posent problème aux associés :
- La première s’agissant du droit de vote du gérant de la société en commandite, car il conclut une convention avec la société civile dont il est aussi le gérant.
- La deuxième, car ici c’est son fils qui prend part au vote en tant que mandataire de son oncle. La Cour de cassation ne va pas annuler la première convention, celle-ci ne pose pas de problème. En revanche, la seconde fait face à plus de difficultés.
Cette convention avait déjà été précédemment annulée par la Cour d’appel qui considérait que le fils du gérant agissant en son nom personnel et en qualité de mandataire de son oncle ne pouvait pas participer au vote de la convention. Par cette interprétation, la Cour d’appel avait élargi l’interdiction du droit de vote prévue par la loi.
La Cour de cassation va finalement annuler et casser l’arrêt puis valider la participation du fils du gérant de la société en tant que mandataire de son oncle au vote de la convention. Cet arrêt de rejet bouleverse complètement la vision antérieure qu’avait la jurisprudence en matière de droit de vote d’un associé.
L’aspect fondamental de l’arrêt Château d’Yquem est aussi dû au fait que celui-ci arrive après un autre arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 1994, l’arrêt De Gaste à travers lequel la Cour estimait qu’en raison de l’article 1844 du Code civil en son alinéa 4, il ne peut être dérogé à l’alinéa 3 de cet article relatif au droit de vote et qu’ainsi, il était possible de prévoir une dérogation aux statuts litigieux sur ce point.
Elle ajoutait qu’aucune dérogation n’est prévue concernant le droit des associés et de surcroît du nu-propriétaire pour participer aux décisions collectives telles que prévues à l’alinéa 1er de l’article 1844 du même article.
Ce qu’il faut savoir, c’est que quelques années auparavant avec cet arrêt De Gaste, la Cour de cassation réduisait le caractère d’ordre public du droit de vote. Finalement peut-on dans ce cas considérer l’arrêt Château d’Yquem comme un revirement de Jurisprudence ? Et bien la réponse est négative sachant que la situation factuelle est différente.
L’arrêt De Gaste avait atténué le caractère d’ordre public du droit de vote des associés. En effet, dans cet arrêt la Cour de cassation estimait que les statuts sociaux pouvaient déroger au principe relatif du droit de vote qui en l’espèce était une clause statutaire privant le nu-propriétaire du droit de vote au profit de l’usufruitier. D’autre part, le même article protégeait le nu-propriétaire, car celui-ci ne pouvait se voir priver de son droit de participation.
L’arrêt Château d’Yquem est venu en quelque sorte adoucir la jurisprudence antérieure en se prévalant d’une logique plus appréciable. Cet aspect apparaît quand la Cour cite dans son attendu de principe, l’article 1844 alinéa 1 du Code civil et le complète en ajoutant à l’article les termes « et de voter », qui ne se trouve pas dans la lettre de la loi.
Un fait intéressant : Dans l’arrêt château d’Yquem, la Cour de cassation va aussi se baser sur l’alinéa 4 du Code civil qui dispose que « les statuts peuvent déroger aux dispositions de deux alinéas précédents », ce qui montre que la Cour utilise l’article 1844 dans sa totalité. Les deux alinéas précédents concernent des hypothèses particulières ou les statuts d’une société seraient en mesure de déroger à la loi.
Or, dans son attendu de principe, la Cour de cassation va dire l’inverse puisqu’elle nous dit que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives, et de voter, et que les statuts des sociétés ne peuvent déroger à ces dispositions ».
On peut alors se demander légitimement : Pourquoi la Cour cite l’alinéa 4 dans son visa ? Il semblerait qu’en citant l’alinéa 4 dans l’arrêt Château d’Yquem, la Haute juridiction veuille nous montrer qu’une dérogation de la loi en passant par les statuts est toujours possible.
Le professeur Paul la Cannu, considérait que l’on « pouvait avoir le sentiment que le litige soumis à la Cour de cassation a été victime d’un effet “d’élastique”, c’est-à-dire qu’il a permis à la Haute juridiction de se libérer d’un coup d’une tension accumulée […] depuis le célèbre arrêt de Gaste ». Cette citation permet de comprendre un peu mieux pourquoi la Cour utilise l’alinéa 4 dans son visa.
De plus, les associés eux ne se sont pas fondés sur l’article 1844 du Code civil pour étayer leurs moyens, mais sur l’article 258 de la loi du 24 juillet 1966. Ce texte est aujourd’hui l’article L226- 10 du code de commerce, qui lui-même renvoie à l’article L225-38 et suivants du code de commerce qui concerne les conventions réglementées qui sont des conventions qui mettent en présence une société et un associé qui a une certaine responsabilité pour dire les choses simplement.
Dans les faits de notre espèce, des conventions sont passées entre deux sociétés, il s’agissait donc bien de conventions réglementées. Toutefois, il subsistait une question de droit importante : Pourquoi seule la deuxième convention c’est-à-dire celle signée par le fils du gérant agissant en tant que mandataire de son oncle posait problème ?
C’est pour avoir une idée claire sur cette question que la doctrine attendait avec grande impatience les arrêts qui allaient succéder à l’arrêt Château d’Yquem. Ainsi, deux autres arrêts importants ont été rendus après celui-ci.
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- Le premier, un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation dont les faits ne se rapprochaient pas vraiment de ceux de l’arrêt Château d’Yquem mais plus de l’arrêt De Gaste de 1994.
- Le second arrêt quant à lui est intervenu le 23 octobre 2007. Cet arrêt de la Cour de cassation tant attendu par la doctrine, allait mettre enfin un terme aux interrogations posées par l’arrêt château d’Yquem.
Cependant, il n’a pas eu totalement l’effet escompté puisque dans son attendu de principe, l’arrêt de 2007 a remis en cause l’arrêt château d’Yquem. Ici, la Cour de cassation a utilisé l’article L227-15 du code de commerce ce qui vient semer un trouble là où tout le monde attendait une confirmation de l’arrêt Château d’Yquem.
Finalement, ce changement dans l’attendu de principe de 2007 découle d’une raison tout à fait banale à savoir le temps. En effet, un certain délai s’est écoulé entre ces deux décisions et pendant ce temps le législateur a œuvré et il a modifié les textes de loi relatifs au droit de vote des associés.
Enfin dans un arrêt de 2013 la Cour de cassation va une nouvelle fois revenir sur sa jurisprudence puisqu’elle va rappeler le principe instauré par l’arrêt château d’Yquem où elle affirme qu’un associé ne peut pas se voir priver de son droit de vote sauf cas expressément prévu par la loi. Cette décision a mis un terme aux interrogations diverses laissées par l’arrêt château d’Yquem.
NB : Depuis le 22 mai 2019, la loi pacte est venue moderniser le droit des sociétés et préciser la question de la possibilité de supprimer le droit de vote. En fonction de la forme sociale de la société, cette possibilité est modulable et les règles peuvent varier d’une forme sociale à une autre (de l’impossibilité de supprimer le droit de vote jusqu’à son autorisation sous conditions).
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- L’arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978 : Une jurisprudence importante rendue par le Conseil d’État. L’arrêt a apporté une véritable solution sur l’applicabilité des directives.
- L’arrêt Monpeurt du 31 juillet 1942 : Une jurisprudence à travers laquelle le Conseil d’État a pu établir une grande évolution sur la notion d’établissement public.