Quel est l’apport de l’arrêt Cassis de Dijon du 20 février 1979 en droit de l’Union européenne ?

Arrêt Cassis de Dijon du 20 février 1979

L’arrêt Cassis de Dijon est une décision rendue le 20 février 1979 (affaire 120/78) par la Cour de justice des communautés européennes ou CJCE (aujourd’hui la Cour de justice de l’Union européenne ou CJUE, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009). L’arrêt Cassis de Dijon s’inscrit dans la jurisprudence qui a construit l’Union européenne telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec ses principes et piliers fondamentaux.

En effet, cet arrêt établit le principe de reconnaissance mutuelle des législations nationales, selon lequel un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un État membre de l’Union européenne doit pouvoir être vendu dans les mêmes conditions sur le marché d’un autre État membre, alors même qu’il n’existe pas d’harmonisation sur les réglementations du produit.

Au cœur de l’arrêt Cassis de Dijon, un litige commercial entre une entreprise coopérative allemande ayant pour activité l’importation de marchandises, et l’administration fédérale allemande du monopole des alcools.

Le litige porte sur une limitation imposée à la société importatrice en vertu de la législation allemande pour la vente, sur le marché germanique, de boissons alcoolisées, notamment une liqueur française de renommée, connue sous le nom de « Cassis de Dijon ». La fixation d’une teneur minimale en alcool dans la liqueur fait l’objet d’un recours, porté devant la CJUE.

En 1979, par l’avènement du principe de reconnaissance mutuelle des législations nationales, l’arrêt Cassis de Dijon contribue à faciliter et accélérer les échanges de marchandises sur le marché communautaire.

Les faits et la procédure de l’arrêt Cassis de Dijon

L’arrêt Cassis de Dijon résulte du différend survenu entre la société Rewe-Central AG et l’administration fédérale allemande du monopole des alcools (en allemand la Bundesmonopolverwaltung für Branntwein).

Rewe-Central AG est une société par actions dont le siège social se situe à Cologne en Allemagne. Elle a pour activité l’importation de marchandises, principalement alimentaires, en provenance d’États membres de ce qui était encore en 1979 la Communauté économique européenne (jusqu’à l’avènement de l’Union européenne le 1er novembre 1993).

Dans le cadre de cette activité, en date du 14 septembre 1976, la société fait une demande d’autorisation auprès de l’administration fédérale du monopole des alcools en vue d’importer de France et de vendre sur le territoire et marché de l’Allemagne des alcools « destinés à la consommation humaine ». Parmi ces produits, de la liqueur de production française « cassis de Dijon ».

L’appellation « cassis de Dijon » désigne une crème de cassis alcoolisée fabriquée traditionnellement à Dijon en Bourgogne, selon un savoir-faire spécifique, qui lui vaut une indication géographique protégée depuis plusieurs années, notamment au niveau européen.

Une des caractéristiques du cahier des charges de cette appellation est un titre alcoométrique volumique minimal de 15%. La teneur en alcool d’une bouteille de crème de cassis de Dijon vendue en France varie donc généralement entre 15 et 20%.

L’administration fédérale allemande du monopole des alcools adresse une réponse à la demande de la société Rewe-Central AG par une lettre du 17 septembre 1976. Elle y indique que l’obtention d’une autorisation d’importation n’est pas nécessaire pour la boisson spiritueuse.

En revanche, sa commercialisation ne serait pas permise du fait de l’exigence pour la mise en vente sur le territoire allemand d’une teneur en alcool d’au moins 32%. La législation allemande en vigueur ne permet pas à la liqueur cassis de Dijon, dont la teneur est comprise entre 15 et 20%, de bénéficier d’une dérogation.

La décision de refus de l’administration fédérale fait l’objet d’un recours par la société Rewe-Central AG devant le tribunal administratif de Darmstadt. L’affaire est renvoyée au tribunal des finances du Land de Hesse le 27 décembre 1976.

L’article 177 du traité instituant la Communauté économique européenne ou traité CEE (qui deviendra le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou TFUE) donne compétence à la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur demande des juridictions nationales, notamment pour interpréter le traité. En vertu de cet article, le tribunal des finances sursoit à statuer et soumet deux questions d’interprétation de droit sur lesquelles la Cour va statuer.

Les prétentions des parties et la question de droit de l’arrêt Cassis de Dijon

La société Rewe-Central AG est le demandeur, et l’administration fédérale allemande le défendeur dans l’arrêt Cassis de Dijon. La société requérante soutient que la réglementation imposée en Allemagne sur la teneur requise en alcool dans les produits qu’elle entend commercialiser a pour effet de restreindre la libre circulation des marchandises entre les États membres. Les prétentions de la société requérante s’appuient sur les articles 30 et 37 du traité CEE.

L’article 30 dispose que les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent sont interdites entre les États membres. L’article 37 concerne les monopoles nationaux à caractère commercial et prévoit un cadre permettant d’assurer l’exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres quant aux conditions d’approvisionnement et de débouchés. La société requérante allègue que les dispositions législatives allemandes constituent une violation de ces articles.

Pour la CJUE saisie de l’affaire, il s’agit de se prononcer sur les questions suivantes, relatives à l’interprétation des articles 30 et 37 du traité CEE : La notion de mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation s’applique-t-elle à la fixation d’une teneur minimale en alcool pour les boissons spiritueuses destinées à la consommation humaine, et une telle fixation relève-t-elle de la notion de discrimination dans les conditions d’approvisionnement entre les États membres ?

La solution de l’arrêt Cassis de Dijon rendu en date du 20 février 1979

Dans l’arrêt Cassis de Dijon, la CJUE rappelle que la libre circulation des marchandises est un des piliers de la Communauté européenne, principe qui prime encore aujourd’hui dans l’Union européenne actuelle.

La Cour écarte les dispositions de l’article 37, la législation allemande ne concernant pas l’exercice d’un monopole national à caractère commercial. Ces dispositions ne trouvent donc pas à s’appliquer en l’espèce. Les dispositions de l’article 30 sont pertinentes pour résoudre le litige.

En effet, la Cour statue en affirmant que la notion de « mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation » de l’article 30 doit se comprendre comme englobant la fixation par un État membre (en l’espèce l’Allemagne) d’une teneur minimale en alcool pour les boissons spiritueuses, et donc l’interdiction de faire circuler sur son territoire des produits dont la teneur en alcool est inférieure à la quantité imposée, dans la mesure où ces produits sont légalement fabriqués et vendus dans un autre État membre.

Dans l’arrêt Cassis de Dijon, la Cour n’a pas jugé décisifs les arguments avancés par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne, intervenu dans la procédure. En effet, les dispositions législatives tenant à la fixation d’une teneur minimale en alcool ont été justifiées par des considérations de sauvegarde de la santé publique et de protection des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales.

Le gouvernement a soutenu que ces dispositions prévenaient les risques de prolifération et d’accoutumance aux boissons alcoolisées sur le territoire national par rapport à des boissons présentant une plus forte teneur en alcool, ou encore l’avantage concurrentiel pour les producteurs de boissons modérément alcoolisées par rapport aux producteurs de boissons à plus forte teneur en alcool, l’alcool étant un ingrédient coûteux dans les boissons spiritueuses.

La Cour admet que les disparités entre les réglementations de chaque État membre servent bien des exigences liées à la protection de la santé publique, la loyauté des transactions commerciales ou encore la défense des consommateurs. La décision de l’arrêt Cassis de Dijon relève aussi qu’il est utile de fixer des limites de taux d’alcool dans les boissons pour standardiser les produits et offrir une plus grande transparence au consommateur.

Cependant, selon la Cour, la fixation impérative d’une teneur minimale en alcool ne sert pas un objectif d’intérêt général « de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises, qui constitue l’une des règles fondamentales de la Communauté ». Elle était donc contraire aux dispositions de l’article 30 du traité.

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La portée de l’arrêt Cassis de Dijon rendu le 20 février 1979 par la Cour de justice de l’Union européenne

La jurisprudence élaborée dans l’arrêt Cassis de Dijon intègre le droit dérivé de l’Union européenne. Le droit primaire et le droit dérivé sont les deux sources fondamentales du droit de l’Union européenne. Le droit primaire est créé par les traités qui forment le cadre juridique de l’union. Le droit dérivé contient la hiérarchie des normes juridiques créées à partir de l’interprétation des traités telles que les règlements et les directives. La jurisprudence en fait partie intégrante.

En droit de l’Union européenne, la jurisprudence de l’arrêt Cassis de Dijon a connu un retentissement particulier, en créant le principe de reconnaissance mutuelle des législations nationales en vigueur dans les États membres de l’Union européenne.

À l’époque de la décision, le marché commun européen (aujourd’hui appelé marché intérieur) a été institué par le Traité de Rome de 1957. Un des objectifs d’un marché communautaire était la libre circulation des produits dans la Communauté, notamment par la suppression des droits de douane.

Le marché intérieur actuel s’organise toujours autour de ce principe, avec quatre libertés : La libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. La Cour rappelle le principe de la libre circulation des marchandises dans sa décision et la nécessité de limiter les entraves à cette liberté.

À travers la décision de l’arrêt Cassis de Dijon, la CJUE affirme que toute marchandise légalement produite et commercialisée dans un État membre de l’Union européenne doit pouvoir être librement commercialisée dans les autres États membres, même si les législations nationales diffèrent sur les règles relatives au produit. Il peut s’agir de la composition, du traitement ou encore de la dénomination du produit.

Les règles du pays d’importation peuvent être plus rigoureuses, tel est le cas dans l’arrêt Cassis de Dijon. Il est toujours admis que les États membres peuvent avoir dans leur droit interne respectif des réglementations différentes sur la production et la commercialisation de leurs produits. Les États membres demeurent libres d’organiser le commerce de ces produits sur leur territoire.

Le principe de la reconnaissance mutuelle n’est pas un principe qui est absolu. Il comporte des exceptions selon lesquelles un État membre de l’Union européenne peut refuser la commercialisation d’un produit sur son marché, quand bien même ce produit est légalement fabriqué et vendu dans l’État d’importation, condition posée par la Cour l’arrêt Cassis de Dijon.

En effet, un État peut justifier d’un risque pour la santé publique ou de pratiques commerciales déloyales pour pouvoir refuser les produits sur son territoire. Cela n’a pas été le cas dans l’arrêt Cassis de Dijon.

La dérogation au principe de reconnaissance mutuelle était régie par le règlement n°764-2008, qui prévoyait une procédure à respecter par l’autorité nationale qui voulait se prévaloir d’une exception : Notification de l’intention de refuser le produit à l’entreprise concernée, justification de la mesure d’intérêt général nécessaire et proportionnée qui sous-tend le refus. L’entreprise concernée avait alors 20 jours pour présenter ses observations.

Devant la faible application du principe de reconnaissance mutuelle et l’application abusive des dérogations relatives dans les États membres, un nouveau texte a été proposé par la Commission européenne le 19 décembre 2017 et approuvé par le Parlement européen et le Conseil en visant à préciser les droits et obligations des autorités et entreprises des États membres, et les conditions de la dérogation pour une autorité qui refuse l’accès à son marché national. Il abroge et remplace le règlement n°764/2008.

Le règlement 2019/515 du 19 mars 2019 relatif à la reconnaissance mutuelle des biens commerciaux légalement dans un autre pays de l’UE est entré en vigueur le 19 avril 2020. Quarante ans après l’arrêt Cassis de Dijon rendu par la CJUE, ce nouveau règlement européen devrait ainsi fluidifier les échanges commerciaux dans les États membres de l’Union européenne.

Une première évaluation du règlement par la Commission européenne est prévue d’ici le 20 avril 2025, date à partir de laquelle une évaluation quadriennale devrait être menée. Un rapport de ces évaluations doit être soumis à d’autres institutions de l’Union européenne : Le Parlement européen, le Conseil ainsi que le Comité économique et social européen.

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