L’arrêt Branly du 27/02/1951 rendu par la Cour de cassation est un arrêt important en matière de responsabilité civile. Et pour cause, depuis l’avènement du Code civil en 1804, la faute n’a pas une définition textuelle, bien que cette notion ait été envisagée comme l’élément important, voire central, du droit de la responsabilité civile en droit des obligations dans le système romano-germanique. Par ailleurs, elle demeure une notion très importante du droit, c’est pourquoi la Cour de cassation exerce son contrôle sur sa qualification lors des contentieux.
C’est ainsi que la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer dans un arrêt Branly rendu le 27 février 1951 que la reconnaissance de la faute prévue par les articles 1382 et 1383 peut s’analyser aussi bien dans une abstention que dans un acte positif. Dans cet arrêt, la Cour de cassation n’a pas opéré une distinction ou démarcation entre l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.
L’arrêt Branly : Quels sont les faits et la procédure ?
L’arrêt Branly rendu par la Chambre civile de la Cour suprême le 27 février 1951 est le principal arrêt jurisprudentiel qui a reconnu la négligence par omission, c’est-à-dire la négligence causée par l’omission quand l’auteur doit agir.
Si la doctrine a longtemps hésité à admettre qu’une telle négligence puisse engager la responsabilité délictuelle de son auteur, elle distingue désormais l’omission et abstention totale.
Il est à noter que la jurisprudence a adopté l’arrêt Branly et adopté une position plus pragmatique et avant-gardiste sur la négligence, laissant de côté les critiques et les différends doctrinaux.
Dans son arrêt du 27 février 1951, la Cour a infirmé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel, lui donnant la possibilité de reconnaître et d’appliquer les conditions de l’omission.
Selon les faits de l’espèce, en 1939, l’historien M. Turpain a écrit un article sur l’histoire du télégraphe sans fil (T.S.F.), où il a exposé les travaux de nombreux savants, dont lui-même. Cependant, il n’a pas cité le professeur Branly, ni mentionné son travail, qu’il avait contesté, il y a plusieurs années.
Les héritiers du Professeur Branly ont porté l’affaire devant le juge en raison du reproche qu’ils firent à Turpain de n’avoir pas mentionné Branly dans l’invention de la TSF dans son article que celui-ci avait rédigé pour le journal l’Almanach populaire.
Les requérants invoquaient la violation de l’article 1382 du Code civil qui pose le principe général de la responsabilité civile pour faute en droit des obligations pour prétendre obtenir une réparation. Le juge du tribunal de première instance appréciant la situation juridique leur donna satisfaction estimant que le silence de l’historien Turpain était fautif. Ce silence s’analyse en un manquement à un devoir d’information.
Saisie de l’appel relevé contre ce jugement du tribunal de première instance, la Cour d’appel de Poitiers infirma cette décision au motif que Turpain n’avait pas agi de mauvaise foi, ni par malice et avec l’intention de nuire, en omettant volontairement de citer le nom et les œuvres du Professeur Edouard Branly. La Cour d’appel l’a ainsi dégagé de son obligation de réparer le préjudice résultant de cette omission sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
C’est pourquoi un pourvoi en cassation a été formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers. La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par Turpain, elle rejeta le pourvoi, au motif que l’abstention de la mention des travaux du Professeur Branly dans l’invention de la Télégraphie Sans Fil (TSF) était une omission volontaire constitutive d’une faute au regard des devoirs de l’historien.
L’arrêt Branly devient ainsi une décision importante, en ce qu’il consacre la notion de faute par omission comme source possible de responsabilité civile en droits des obligations. Il vient confirmer la position de la doctrine, notamment le Professeur Mazeaud. Mais elle sera très violemment critiquée par le Professeur Jean Carbonnier dans une chronique célèbre, le silence et la gloire. L’auteur dira que ce faisant, le juge fait une histoire officielle en s’immisçant dans le rôle de l’historien.
Il s’est donc posé la question de savoir si une abstention peut être retenue comme source de responsabilité pour son auteur au point où cette omission soit considérée comme un manquement à une obligation professionnelle ?
La Cour de cassation a répondu par l’affirmation. Elle admet désormais la faute d’omission comme source de responsabilité, mais elle doit être un manquement à une obligation professionnelle.
Arrêt Branly : L’admission de la responsabilité civile en cas de la faute d’omission
Dans l’arrêt Branly, la Cour de cassation a reconnu l’omission dans l’action, et ce, dans une totale indifférence de l’intention malveillante pour engager la responsabilité civile de son auteur. Se faisant, elle a fait ainsi évoluer la notion de faute en matière de responsabilité civile en droit des obligations.
Arrêt Branly : Une reconnaissance prétorienne de l’omission dans l’action
Dans un arrêt Branly du 27 février 1951, la Cour de cassation a eu l’occasion de reconnaître pour la première fois la faute prévue par les articles 1382 et 1383 du Code civil peuvent s’analyser aussi bien dans une abstention que dans un acte positif. C’est l’admission prétorienne de la faute d’omission en droits des obligations qui n’était reconnue que par la doctrine.
Il faut reconnaître qu’il y a deux sortes de fautes d’omission qui sont distinctes les unes des autres : l’abstention dans l’action et l’abstention pure et simple. C’est la faute d’omission dans l’action que la jurisprudence a retenue pour la première fois dans l’arrêt Branly.
En effet, l’abstention pure et simple est l’omission qui ne se rattache à aucune activité déterminée. Le défendeur adopte une attitude totalement passive face à la survenance du dommage dont il est censé y veiller.
Tandis que certains auteurs plaident pour que l’abstention pure et simple ne soit qualifiée de faute que dans l’hypothèse où le défendeur avait l’obligation formelle d’agir notamment d’une obligation de porter secours, non-dénonciation des comportements fautifs ou crimes ou délits, l’omission ou refus de témoigner en faveur d’une personne innocente, etc.
Pour d’autres doctrinaires, il importe peu qu’une obligation formelle d’agir pèse sur le défendeur, dans la mesure où un agent adopte un comportement passif, alors qu’il aurait pu éviter la survenance du dommage, la faute lui est imputable.
En outre, l’abstention dans l’action retenue dans l’arrêt Branly est l’omission qui consiste pour son auteur de n’avoir pas pris suffisamment de précautions dans l’exercice de son activité pour éviter le fait dommage emportant la faute d’omission.
À titre illustratif, un journaliste qui ne vérifiait pas suffisamment une information et sa source crédible avant de la mettre à la disposition du public ou encore le notaire qui n’a pas pris la précaution d’informer ses clients sur les points importants de l’opération qu’ils souhaitent réaliser sur les implications juridiques. Ainsi, l’abstention se confond avec la faute par commission. Elle est, en conséquence, appréhendée de la même manière.
Tout l’enjeu de la question soumise à la Cour de cassation était de distinguer la faute d’omission qui tire sa source d’une omission pure et simple et celle qui tire sa source d’une omission dans l’action. L’arrêt Branly est clair, la faute d’omission par action est constituée à l’égard de l’Historien Turpain.
Mieux, la Cour de cassation reconnaît que si l’Historien Turpain se comportait de façon objective en un Historien averti, il aurait pu éviter de commettre une faute d’omission par action. C’est ainsi qu’elle reconnaît sa responsabilité au mépris de son intention.
Arrêt Branly : Une reconnaissance dans l’indifférence totale de l’intention malveillante
La Cour d’appel de Poitiers en infirmant le jugement rendu par la juridiction ou tribunal de première instance, elle énonce que l’Historien Turpain, en commettant une omission volontaire de citer l’œuvre et le nom du Professeur Branly sur la trace des origines de la télégraphie sans fil (TSF) n’a pas fait preuve de mauvaise foi et donc, d’une mauvaise d’intention.
Mieux encore, elle ajouta que son comportement n’a été dicté ni par malice ni par intention de nuire. De ce fait, son comportement ne peut donc valablement être constitutif d’un comportement fautif engageant sa responsabilité civile au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
L’intervention de la Cour de cassation qui vient contredire l’arrêt d’appel est ici d’une importance fondamentale et particulière. En effet, la haute juridiction de l’ordre judiciaire n’a posé que le principe selon lequel, en ce qui concerne une faute d’omission, l’intention malveillante ou fautive de l’auteur est indifférente, ni l’article 1382 ni l’article 1383 du Code civil ne supposant une intention de nuire ou une volonté de causer un quelconque dommage.
La Cour de cassation admet ainsi que cette intention malveillante est inopérante au regard du quasi-délit dont se soutenaient les requérants. Les quasi-délits, qui peuvent se définir comme le fait de l’homme illicite, mais commis sans intention de nuire, qui cause un dommage à autrui et oblige son auteur à le réparer : négligence, imprudence, inattention.
Comme telle, la Cour de cassation dira que la Cour d’appel de Poitiers ne devait pas valablement exonérer l’historien Turpain de sa responsabilité et de son obligation, pris en sa qualité d’historien, de réparer le préjudice résultant de l’omission par action.
Contrairement à la faute pénale qui exige une intention active de son auteur, la faute en droit civil n’est pas nécessairement intentionnelle pour être imputable à son auteur. La faute civile se déduit dans l’indifférence totale quant au caractère intentionnel. Désormais, et après la modification du Code civil, le législateur a retenu à travers les articles 1240 et 1241 du Code civil.
Il faut reconnaître que l’arrêt Branly consacre la faute d’omission en tant que source de responsabilité civile, mais cette faute ne peut être sanctionnée qu’à la condition qu’il ait existé une obligation professionnelle préalable.
Arrêt Branly : La consécration du manquement à une obligation professionnelle constitutive de la faute d’omission
L’acceptation de faute d’omission est gouvernée par la reconnaissance de l’existence préalable d’une obligation indéniable. Et ce faisant, la Cour de cassation s’est immiscée dans l’arrêt Branly dans la définition du rôle de l’Historien.
Arrêt Branly : L’existence d’une obligation préalable indéniable
L’arrêt Branly du 27 février 1951 a pris le soin de préciser les conditions d’application de la faute d’omission. En effet, la Cour de cassation en reconnaissant la faute d’omission n’a pas omis de la sanctionner qu’à la condition qu’il ait existé une obligation d’action préalable d’ordre professionnel.
Elle retient au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil que « l’abstention, même non dictée par la malice et l’intention de malveillante, engage la responsabilité civile de son auteur lorsque le fait omis tire sa source d’une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle, soit dans l’ordre professionnel ».
Elle énonce clairement les sources de l’obligation qui peuvent tirer son fondement de la loi, des règlements, du contrat, dans l’ordre professionnel. C’est la première fois que la Cour de cassation a fait un prolongement de la source du droit des obligations en droit civil français par le comblement des insuffisances des articles 1382 et 1283 du Code civil.
Elle a élargi le champ de reconnaissance de la faute d’omission par action en incluant l’ordre professionnel. Ainsi, chaque fois qu’un professionnel a omis d’accomplir une obligation essentielle d’ordre professionnel même sans intention, sa responsabilité sera engagée sans que celui-ci ne puisse pas invoquer une cause d’imputabilité.
C’est une innovation importante de l’arrêt Branly. Or, de façon classique, il est reconnu en droit civil qu’il ne suffit pas qu’une faute ait été commise pour que la responsabilité de son auteur soit engagée, encore faut-il qu’elle lui soit imputable par le mécanisme du lien de causalité.
Et, l’imputabilité suppose que l’auteur du dommage soit doué de discernement, c’est-à-dire qu’il doit avoir conscience de faits ou actes, soit être capable de reconnaître s’il commet ou non un écart de conduite sanctionné. En somme, l’auteur du dommage doit être en mesure de distinguer sans ambiguïté le bien du mal.
Mais cette conception a évolué avec l’arrêt Branly, qui a affirmé la position de la doctrine des universitaires qui allait qu’il faut inclure dans les fautes civiles, la faute d’omission. Autrement dit, l’abstention pourra engager la responsabilité civile de son auteur si l’omission constituait un manquement à une obligation d’ordre professionnel dont celui-ci ne doit déroger. Ce qui contraint le professionnel à mettre à la disposition du public les informations crédibles.
Le juge de cassation en reconnaissant la faute d’omission par action, il ne s’est pas arrêté en si bon chemin, mais s’est immiscé dans la fonction du professionnel.
Arrêt Branly : Le constat de l’ingérence dans la définition du rôle de l’historien
La reconnaissance des juges de cassation de la faute d’omission par action d’ordre professionnel à l’égard de l’Historien Turpain n’est pas sans implication de plusieurs ordres. Elle implique l’immixtion des magistrats dans la définition voire le rôle de l’historien, pour mieux en préciser les obligations de celui afin d’engager sa responsabilité civile.
Les héritiers de M. Branly ont déjà invoqué le devoir, au soutien de leur action, pour un spécialiste, historien, de renseigner exactement et avec exactitude les lecteurs. Ils conclurent que celui-ci avait commis une faute civile en manquant à cette obligation.
La Cour de cassation s’est appuyée sur ce moyen en l’améliorant pour consacrer l’obligation, incombant à tous les individus exerçant toute profession d’historien, de fournir une information objective au public en restituant avec vérité toute l’histoire.
Elle soulève alors que la Cour d’appel Poitiers devait de rechercher si, en écrivant un article dans lequel les travaux de Professeur Branly étaient volontairement omis, M. Turpain s’était comporté comme « un historien prudent, avisé, et conscient des devoirs d’objectivité qui lui incombent dans sa profession ».
Dans l’arrêt Branly, la Cour de cassation a rejeté les motifs invoqués par la Cour d’appel au soutien de sa solution, alors même que cette dernière avait reconnu dans sa décision que M. Turpain a peut-être agi « dans une volonté de surestimer ses propres expériences de la connaissance des TSF ».
Mais, la Cour de cassation a également précisé que si l’appréciation de la responsabilité imputable à l’auteur du dommage relève bien du pouvoir souverain d’appréciations des juges du fond. Par contre, il en résulte que ceux-ci n’ont pas déterminé avec précision quelles obligations incombent à cette personne, un sachant en sa qualité de professionnel avisé.
Ainsi, on est en droit de se demander si le rôle de la Cour de cassation et l’élargissement de son champ d’action ne le conduisent pas purement et simplement à définir le rôle des professionnels. Elle attire l’attention de tout professionnel de chercher constamment lors de ses travaux de rechercher s’il n’a pas commis une omission préjudiciable et pouvant lui être imputable.
Chaque professionnel doit savoir qu’il y a la faute d’omission par action. Ainsi, la prudence s’impose dans toute profession de ne pas omettre l’évolution et les différents travaux déjà accomplis.