En quoi l’arrêt Berkani rendu en date du 25 mars 1996 par le tribunal des conflits est-il fondamental ?

Arrêt Berkani 25 mars 1996

L’arrêt Berkani du 25 mars 1996 rendu par le Tribunal des Conflits a été l’occasion de poser un principe, fondamental, quoique retravaillé par la jurisprudence postérieure. En effet, dans l’arrêt Berkani, il s’agissait de régler le sort des « personnels non statutaires » des services publics.

C’est ainsi que la juridiction des conflits a déclaré que tous les personnels non statutaires et qui travaillent pour le compte d’un service public à caractère administratif sont nécessairement des agents contractuels de droit public, et ce, quel que soit leur emploi.

Cette position du Tribunal des conflits dans l’arrêt Berkani a amorcé la simplification jurisprudentielle des agents non statutaires employés dans les Services Publics Administratifs. C’est un tournant décisif et fondamental de la participation directe au service public comme critère d’identification de l’agent public, consacrée dans les arrêts Vingtain-Affortit (CE, 4 juin 1954) et Mme veuve Mazerand (Tribunal des conflits, 25 nov. 1963) qui a toujours fait l’objet de critiques de la part de la doctrine.

Les faits et la procédure de l’arrêt Berkani du 25 mars 1996

En l’espèce, Monsieur Berkani est employé pendant dix-sept ans par le Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires (CROUS) de la ville de Lyon en tant que commis de cuisine est licencié irrégulièrement. Il forme un recours devant le Conseil des Prud’hom pour obtenir réparation de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, ses indemnités de préavis et de congés payés.

Mis au courant, le préfet de la région Rhône-Alpes a introduit le 14 mars 1994 un déclinatoire de compétence tendant à ce que le Conseil des Prud’Hom se déclare incompétent.

Le déclinatoire de compétence est prévu par l’article 75 du code de procédure qui dispose que s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité.

Cependant, nonobstant le déclinatoire de compétence, le Conseil des Prud’Hom rend un jugement, en date du 3 juillet 1995, par lequel il a condamné le CROUS de Lyon-Saint-Etienne à payer à M. Berkani 25.849,78 F au titre de l’indemnité de licenciement, 16.326,20 F au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 1632,60 F au titre des congés payés et 146.935,80 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Le préfet de la région Rhône-Alpes a alors décidé d’élever le conflit. Par conséquent, ledit conflit a été soumis au Tribunal des Conflits, ce qui donnera lieu au célèbre arrêt Berkani.

Cette juridiction a pour mission de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif, en vertu de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du « 16 fructidor an III ».

Les prétentions des parties et la question de droit posée par l’arrêt Berkani de 1996

Monsieur Berkani demande que l’arrêté de conflit soit annulé. Il soulève le dépassement du délai de l’appel interjeté par le CROUS de Lyon devant la Cour administrative d’appel.

Il demande, par conséquent, que la décision du Conseil des Prud’hom ayant déclaré son licenciement sans cause réelle et sérieuse soit confirmée. Il fonde ses prétentions sur l’article 21 du décret du 5 mars 1987 qui prévoit que les personnels ouvriers sont des agents contractuels de droit public.

Ainsi, la question soumise à la juridiction des conflits dans l’arrêt Berkani, est celle de savoir de quelle compétence relève le litige mettant en cause un personnel non statutaire employé par un service public à caractère administratif ?

In extenso, il conviendra de s’interroger sur le régime du contrat administratif, c’est-à-dire les contrats passés entre l’Administration et ses personnels non statutaires.

Quelle est la solution dégagée par l’arrêt Berkani ?

Par sa décision Berkani rendue le 25 mars 1996, le Tribunal des conflits décide que le litige mettant en cause Monsieur Berkani, personnel non statutaire travaillant pour un service public administratif relève de la juridiction administrative. À cet effet, le préfet a élevé le conflit à juste titre.

Dans sa solution, il juge que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur emploi ». En conséquence, le contentieux de l’ensemble des agents des services publics administratifs relève désormais de la seule compétence du juge administratif.

Le juge des conflits dans l’arrêt Berkani a donc adopté une solution que le Commissaire du Gouvernement Chardeau avait qualifiée de « radicale » en précisant que « nous ne nous faisons guère d’illusions sur la possibilité de voir triompher cette solution, sans doute trop simpliste ».

Cette décision Berkani constitue assurément un progrès. Elle met un terme à une jurisprudence devenue très pointilliste poussant l’application du critère de la participation directe au service public jusqu’à l’absurde, faisant d’une même personne tantôt un agent de droit public tantôt un agent de droit privé selon les périodes et au gré de ses activités.

Cette évolution traduit un glissement notable d’un critère fonctionnel à un critère organique, peut-être plus simple à manier pour les agents, les services gestionnaires et pour les juridictions.

Doit-on conclure, au travers de l’arrêt Berkani, pour autant que l’application générale de ce critère conduira à un tarissement des interrogations sur la compétence juridictionnelle et le droit applicable à ces agents ? Certains auteurs répondent par l’affirmative : Il conférera à la situation des agents une plus grande stabilité juridique et contribuera à unifier le droit applicable dans les services administratifs.

Cela est incontestable. Mais, en dépit des avantages de cet arrêt, une interrogation peut être soulevée, notamment par rapport à la conception communautaire de l’entreprise.

En effet, quelle sera l’attitude du juge (Conseil d’État, Tribunal des conflits ou Cour de cassation) lorsqu’il s’agira de déterminer la qualité d’un agent employé par un service public administratif qui assure des prestations dans les conditions du marché ?

Le juge national sous la pression du juge communautaire, sera-t-il amené à considérer comme agents privés les personnels de ce type de services publics ?

Il faut rappeler qu’au regard du droit communautaire, l’Administration, lorsqu’elle exerce une activité à caractère économique, doit être assujettie comme les entreprises à la loi du marché, sauf dans la mesure exigée par la satisfaction de la mission d’intérêt général.

Ainsi donc, les services publics administratifs sont assujettis à un régime qui est dans son principe le même que celui des services publics industriels et commerciaux et des entreprises publiques, dès lors qu’ils font figure d’opérateurs économiques.

L’alignement éventuel du régime des contrats des agents employés par ce type de services administratifs sur celui du personnel des services publics industriels et commerciaux (qui est de droit privé) n’est pas une simple hypothèse d’école. Le juge judiciaire pourrait, par exemple, se fonder sur le fait que ces agents sont employés par une entité « à visage inversé » pour justifier sa compétence.

Le glissement, constaté en l’espèce, du critère fonctionnel vers le critère organique, le lui permettrait d’ailleurs, puisque, pour le Tribunal des conflits, dans l’arrêt Berkani, c’est la nature du service employeur qui est décisive.

Dans ces conditions, il paraît difficile, semble-t-il, de soutenir qu’un agent employé par un service public administratif, considéré par le droit communautaire comme une vraie entreprise, reste un agent public (même s’il est vrai qu’il existe quelques entreprises qui emploient des agents publics ou même des fonctionnaires).

Il est donc clair que le débat ouvert par la jurisprudence Berkani n’est pas totalement clos : Avec le droit communautaire, il n’est pas exclu que l’on découvre, à l’avenir, des « poches de résistance » à l’unification du régime des agents employés par les services administratifs.

Découvrez aussi : Notre méthodologie du commentaire d’arrêt qui est aussi disponible via ce lien. Vous pouvez suivre directement le lien ou l’ouvrir dans un nouvel onglet si vous souhaitez poursuivre la lecture de notre guide complet sur l’arrêt Berkani du Tribunal des Conflits.

La portée de l’arrêt Berkani du Tribunal des Conflits

Depuis cet arrêt Berkani, le Tribunal des conflits et le Conseil d’État usent de l’expression imprécise « personnels travaillant pour le compte d’un service public ». Or, force est de constater que cette locution renvoie plus familièrement au contrat de mandat qu’à celui de louage de services.

À la suite de l’arrêt Berkani, le Conseil d’État se garde bien de confondre « mandat administratif » et lien de subordination (CE 16 Mai 2001 Joly). Le refus de qualifier d’agent public les personnels travaillant pour une personne privée gestionnaire de service public va dans ce sens (CE 19 juin 1996 Syndicat Général des Personnels des affaires Culturelles).

Ainsi, par exemple, doivent être considérés comme exerçant leur activité pour le compte d’un service public administratif (en l’espèce une direction départementale de l’équipement), des agents qui ont été recrutés par un EPIC (l’agence foncière et technique de la région parisienne) par des contrats à durée indéterminée visant les statuts de droit privé du personnel de celle-ci, alors que ce recrutement a eu lieu sur proposition du préfet, directeur régional de l’équipement d’Île-de-France et que ces agents n’ont été affectés à aucune des tâches dévolues à cet établissement public, mais exclusivement à celles d’élaboration du schéma directeur de la région Île-de-France qui incombait pour le compte de l’État au directeur régional de l’équipement d’Île-de-France.

De même, pour l’exercice de leur mission, ils ont été intégrés à des équipes de la DRE et étaient rémunérés par des crédits versés par l’État à l’agence foncière et technique de la région parisienne qui n’en assurait que la gestion comptable moyennant une commission.

Enfin, ils exerçaient leurs tâches dans les locaux de la direction régionale de l’équipement ou des directions départementales de l’équipement sous l’autorité du directeur régional et se sont vu proposer après leur licenciement une intégration par le ministère de l’Équipement (Cour administrative d’appel Paris 5 octobre 2005).

Dans le même sens que l’arrêt Berkani, mais alors qu’était en concurrence une personne privée et une administration, un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy du 2 décembre 2005) a jugé que la personne recrutée par une association peut obtenir la prise en compte de ces années en tant qu’emploi public au titre de l’ancienneté, dès lors que compte tenu des conditions d’exécution du contrat et des modalités de rémunération de l’agent, et quelles que soient les modalités générales d’organisation et de fonctionnement de l’Adrerus, ladite association doit être regardée comme ayant recruté l’intéressée pour le compte de l’université Louis-Pasteur, laquelle doit par conséquent être désignée comme le véritable employeur de la requérante.

Pareillement, bien que l’idée de mandat ne soit pas explicitement retenue, le Conseil d’État a assimilé à un agent public le chercheur ayant travaillé dans un laboratoire du CNRS, dans des conditions identiques aux chercheurs publics, bien qu’il n’ait pas été rémunéré par ledit laboratoire, mais par la Ligue nationale contre le cancer, qui lui versait une « libéralité » (CE 28 mars 2018).

La théorie des structures « transparentes », derrière lesquelles l’administration est en quelque sorte dissimulée, permet également de retrouver l’employeur réel de l’agent public. Issue d’une jurisprudence ancienne (CE 11 mai 1987) l’hypothèse de la transparence a été explicitée par un arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2007 (CE 21 mars 2007) qui énonce le principe suivant : « Lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources » alors cette personne privée doit obligatoirement être regardée comme transparente.

Dans une décision du 6 juillet 2020, le Tribunal des conflits (Tribunal des conflits 6 juillet 2020, Association de la philharmonie de Paris) rejette, dans le cas d’un marché de travaux, la qualification d’association transparente à une association qui, bien que créée par des personnes publiques pour exercer une mission de service public, n’était pas soumise au contrôle de ses instigatrices et n’en tirait pas l’essentiel de ses ressources.

En présence d’une relation de travail, le caractère transparent d’une personne privée (le plus souvent une association) a pour conséquence de faire peser sur la personne morale de droit public les obligations de l’employeur (CAA Marseille 14 septembre 2004).

De son côté, la chambre sociale de la Cour de cassation a admis, au visa de la décision Berkani de 1996, qu’une personne publique peut se voir reconnaître la qualité de co-employeur du salarié lié à une association par un contrat de travail (Chambre sociale de la Cour de Cassation 6 avril 2016).

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2 Comments
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F. Jessica

Très pertinent et permet de bien comprendre! Merci.

Serigne Moustapha GUEYE

Trés instructif ! merci.

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