En quoi l’arrêt Authier du 31 mars 1992 rendu par la Cour de cassation est-il intéressant ?

Arrêt Authier du 31 mars 1992

L’arrêt Authier du 31 mars 1992 (Cass. civ., 1re, 31/03/1992) est un arrêt qui constitue un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en matière de qualification des revenus de propres et des biens communs.

Ce qu’il faut savoir, c’est que le divorce même consenti est toujours difficilement vécu par les conjoints. Parfois encore mal vue par la société (même si les mœurs évoluent vers une plus grande acceptation du divorce), la dissolution du mariage est en effet une véritable épreuve pour les époux qui s’étaient promis de se soutenir pour le meilleur et pour le pire.

Puisqu’au chagrin sentimental résultant de la rupture du contrat de mariage entre en jeu la dissolution de la communauté des biens constitués par les époux, des problématiques juridiques liées aux droits patrimoniaux (et extrapatrimoniaux) des parties peuvent aussi en découler.

En effet, cette opération de partage des biens communautaires est d’autant plus subtile que le professeur Malaurie a pu la qualifier de « comptes d’apothicaires », tant la détermination de la masse partageable de la communauté des biens propres des époux nécessite des calculs parfois complexes.

C’est à cette question d’une extrême complexité que la Cour de cassation a répondu dans l’arrêt Authier.

Arrêt Authier : Quels sont les faits et la procédure ?

En l’espèce dans l’arrêt Authier et à la suite du prononcé du divorce d’un couple, la liquidation de la communauté des époux a suscité plusieurs difficultés d’ordre juridique.

En effet, le problème de droit principal était relatif à un immeuble qui a été acquis par l’épouse en tant que bien propre au moyen de ses fonds propres et d’un emprunt dont le remboursement a été assuré partiellement par des deniers communs.

Ne s’entendant pas sur la masse partageable des biens communautaires, la justice a été saisie pour départager les époux.

Par un arrêt en date du 24 avril 1990, la Cour d’appel de Paris a accordé à la communauté un droit à récompense calculé en considération du capital ainsi que des intérêts payés par la communauté au titre des échéances du prêt.

Toutefois, l’arrêt a été attaqué devant la Cour de cassation. Dans un arrêt du 31 mars 1992 dit d’arrêt Authier, la Haute Juridiction de droit commun a censuré l’arrêt de la Cour d’appel au visa des articles 1401, 1403, 1433, 1437, 1469 et 1479 du Code civil.

Arrêt Authier : Les prétentions des parties et la question de droit

En substance, la requérante a fait grief à l’arrêt de la condamner au profit de la communauté et de son ex-époux au paiement d’une certaine somme correspondant aux intérêts du prêt assurés par les deniers communs.

En l’espèce, la Cour de cassation devait répondre principalement à la question de savoir si la communauté avait un droit à récompense pour le paiement des intérêts d’un emprunt contracté pour l’acquisition d’un bien propre.

Subsidiairement, elle devait aussi se prononcer sur la nature des fruits et revenus des biens propres afin de déterminer sur qui de l’époux ou de la communauté incombait la charge des dettes afférentes aux fruits et revenus propres, notamment, les intérêts de l’emprunt.

Quelle est la solution de l’arrêt Authier rendue en date du 31 mars 1992 ?

En réponse dans l’arrêt Authier, la Cour de cassation a estimé que la communauté à laquelle étaient affectés les fruits ainsi que les revenus des biens propres devait supporter les dettes qui étaient à la charge de la jouissance de ces biens.

Par ailleurs, leur paiement ne pouvait pas donner droit à une récompense au profit de la communauté lorsqu’il avait été fait avec des fonds communs. Il s’en suivait que l’époux qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres disposait d’une récompense contre la communauté.

Par conséquent, la Cour de cassation a fait droit à la demande de la requérante en cassant l’arrêt de la Cour d’appel.

C’est ainsi que la haute juridiction de droit commun a estimé que « pour déterminer la somme due par un époux en cas de règlement [par la communauté] des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l’acquisition d’un bien qui lui est propre », il est aussi nécessaire de prendre en considération la fraction remboursée du capital, toute en excluant les intérêts qui sont quant à eux une charge de la jouissance.

Il en ressort dès lors que le montant de la récompense calculée par les juges du fond était erroné puisque ces derniers avaient pris en compte les intérêts. Ce syllogisme de la Première chambre civile laisse ici penser que les intérêts des emprunts souscrits par les époux constituent ainsi « une charge de la jouissance » du bien propre acquis en ce sens que la communauté a profité cette jouissance. Ainsi, le remboursement des intérêts d’emprunts devait eux aussi être supporté par la communauté qui n’avait donc pas droit à récompense.

Cette solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt Authier est lourde de conséquences. En effet, la Première chambre civile dans l’arrêt d’espèce retient que les fruits et revenus des biens propres sont affectés à la communauté. Même si la haute juridiction judiciaire ne dit pas explicitement que les revenus des biens propres sont des biens communs, il n’en demeure pas moins qu’elle a créé un rapport d’affectation de ces revenus à la faveur de la communauté. Cette affectation dans la masse commune devrait donc jouer toutes les fois que la communauté aura la jouissance d’un bien propre.

Cette solution retenue dans l’arrêt Authier par la Cour de cassation considérant les fruits et revenus des biens propres comme des biens communs n’a toutefois pas toujours été admise. En effet, sous l’égide de la loi 1965, la contradiction entre quelques articles du Code civil relativement à la qualification de ces fruits et revenus a donné lieu à une hésitation jurisprudentielle.

Ainsi, les articles 1403 et 1428 du Code civil semblaient donner aux fruits et revenus des biens propres, le caractère de biens propres. C’est ainsi que l’article 1403 Code civil, dispose que « Chaque époux conserve la pleine propriété de ses propres » et à l’article 1428 du même Code de préciser que « Chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement ». La lecture de ces articles permet sans nul doute d’affirmer que les fruits et revenus de biens propres doivent être considérés comme des biens propres.

Or, l’alinéa 2 de l’article 1403 Code civil précité dispose que « La communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ». Et l’article 1401 Code civil prévoit que la communauté des époux se compose activement des acquêts qui sont faits « par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant […] des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ».

Ainsi, contrairement aux articles 1403 et 1428 précités, l’alinéa 2 de l’article 1403 et l’article 1401 du Code civil semblent militer en faveur du caractère des biens communs des fruits et revenus des biens propres.

Cette contradiction accusée entre les textes a aussi nourri une controverse doctrinale profonde. Ainsi, alors que le Professeur Mazeaud en référence à l’article 1401 Code civil soutenait que les fruits ainsi que les revenus de propres avaient « le caractère de biens propres dès leur perception, et ce tant qu’ils n’ont pas servi à acquérir un bien et que seuls les biens acquis avec ses revenus des propres seraient des acquêts de communauté, les revenus ayant servi à les acquérir restant des biens propres » [« La communauté réduite au bon vouloir des époux », Dalloz, 1965], la majorité de la doctrine au rang de laquelle des auteurs comme (Aubry et Rau, Morin, Maubru, Marty, Raynaud, Terré, Simler) et surtout le Professeur Patarin défendait que « les fruits et revenus des biens propres sont des biens communs dès leur perception ».

Cette qualification reposait essentiellement sur la lecture de l’article 1401 Code civil lequel réserve « la qualification d’acquêt aux seules économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ».

La controverse doctrinale concernant la qualification des fruits et revenus des biens propres n’était pas sans intérêt. En effet, à l’époque, le mari détenait le monopole de gestion de la communauté. Ainsi, en qualifiant les fruits et revenus de biens propres comme étant des biens communs, on portait atteinte à l’indépendance de sa femme puisque celle-ci se voyait privée de ses pouvoirs sur ces fruits et revenus.

Il a donc fallu attendre la loi de 1985 qui mit fin à cela en instaurant le principe de gestion concurrente de la communauté et de gestion exclusive des biens propres par l’époux propriétaire.

En tout état de cause, deux enjeux subsistaient de l’épineuse question de la qualification de ces fruits et revenus. En effet, en retenant les fruits et revenus de biens propres en tant que biens communs, on en faisait un droit de gage général des créanciers, mais par leur qualification comme biens propres, cela permettait aussi de déterminer si ces derniers étaient soumis ou non au partage, lors de la dissolution de la communauté, et par conséquent, s’ils pouvaient donner lieu à un droit à récompense.

Face à la complexité de la question née de la contradiction entre les textes, la jurisprudence a d’abord été hésitante.

Ainsi, dans un arrêt du 15 juillet 1981 (Cass. 1ère civ. 15 juill. 1981, n°80-10318), la Cour de cassation a refusé à la communauté une récompense pour les travaux d’entretien effectués avec des fruits et revenus de propres sur un immeuble propre en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui l’avait pourtant octroyée dans un arrêt du 17 mai 1977, en estimant que « les dépenses relatives à l’entretien d’un bien propre, faites au moyen de deniers communs, ne donnent pas lieu à récompense au profit de la communauté ».

Toutefois, dans une affaire voisine survenue un an plus tard, la Cour de cassation a consacré la solution contraire en jugeant que l’utilisation de revenus de propres par un époux à des fins personnelles était sans incidence sur le droit à récompense de la communauté.

Dès lors, en admettant une récompense à la communauté en cas d’affectation des revenus tirés d’un bien propre au financement de l’amélioration de ce bien, la Cour de cassation entendait appréhender ces revenus comme des biens communs. C’est cette solution qui sera confirmée et clarifiée dix ans plus tard par la haute juridiction judiciaire dans l’arrêt     « Authier ».

Quelle est la portée de l’arrêt Authier rendu le 31 mars 1992 par la Cour de cassation ?

Par l’arrêt Authier, la Cour de cassation a consacré définitivement le caractère de biens communs des fruits et revenus des biens propres. En effet, après une jurisprudence hésitante sur la qualification de ces fruits et revenus, la haute juridiction semble s’être enfin décidée à les appréhender comme des biens communs.

D’ailleurs, dans un arrêt rendu trois ans plus tard, soit le 4 janvier 1995, elle a réaffirmé la solution de l’arrêt Authier en reprochant aux juges du fond, relativement aux fonds affectés au financement de travaux réalisés sur une propriété agricole appartenant en propre au mari, que si « ces fonds ne provenaient pas des revenus de l’exploitation agricole, lesquels tombaient en communauté bien qu’il s’agisse d’un bien propre du mari » (Cass. 1ère 4 janv. 1995, n°92-20013).

Certes la prudence doit être de mise avec le sens de cet arrêt dans la mesure où la Cour de cassation n’a pas précisé explicitement si les revenus tirés de l’exploitation agricole tombaient dans la communauté en tant que gains et salaires ou en tant que revenus de propres. Toutefois, beaucoup y ont vu l’attachement en faveur de la reconnaissance de la qualification de biens communs aux revenus de propres.

Finalement, c’est dans un arrêt en date du 20 février 2007 que la Cour de cassation a définitivement évacué ce doute en affirmant explicitement que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs » (Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°05-18066).

Toutefois, il convient de noter que cette jurisprudence bénéficie de tempéraments. En effet, il est désormais possible pour les époux qu’ils puissent stipuler dans leur contrat de mariage une clause indiquant que les revenus de propres échapperaient à la communauté. Ainsi, outre la réduction de la masse commune, les biens acquis avec des revenus de propres seraient propres, sous réserve d’accomplissement des formalités d’emploi.

Aussi par principe, les revenus de propres tombent en communauté, l’alinéa 2 de l’article 1403 du Code civil autorise néanmoins chaque époux à les consommer à des fins personnelles, sans que cette consommation ne puisse donner lieu à récompense au profit de la communauté.

Toutefois, cette consommation ne devra pas consister en un investissement (acquisition d’un bien durable ou travaux d’amélioration d’un propre). Enfin, elle ne devra pas non plus être frauduleuse sinon, la communauté aura droit à récompense.

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