L’arrêt APREI (Conseil d’État, 22/02/2007, Section du Contentieux, 264541, Publié au recueil Lebon) est un arrêt fondamental en droit administratif français, en ce qu’il a précisé quels étaient les critères permettant de déterminer dans quelle mesure une personne privée pouvait assurer une mission de service public, notamment lorsqu’elle n’était investie d’aucune prérogative de puissance publique.
L’Arrêt APREI du 22 février 2007 est un arrêt fondamental en droit administratif
L’arrêt APREI a, en effet, poursuivi la réflexion apportée par l’arrêt Narcy (Conseil d’État, Sect. 28/06/1963, Narcy) et énoncé, dans un considérant de principe :
Qu’indépendamment de tous les cas dans lesquels le législateur a entendu reconnaître ou exclure l’existence d’un service public, une personne privée assurant une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et dotée de prérogatives de puissance publique à cette fin, est chargée de l’exécution d’un service public.
Ainsi, même en cas d’absence de telles prérogatives, une personne privée doit être regardée comme si elle assurait une mission de service public dans le silence de la loi, lorsque, par rapport à l’intérêt général de son activité ainsi qu’aux conditions de sa création, de son organisation ou encore de son fonctionnement et aux obligations qui lui sont imposées, tout comme les mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît dès lors que l’administration a entendu lui confier une telle mission.
Mais, sans doute serait-il plus judicieux, avant de présenter l’arrêt APREI du 22 février 2007 qui est un arrêt majeur en droit administratif, de préciser, brièvement, le « contexte juridique » ayant amené le Conseil d’État à prendre cette décision.
Il faut le rappeler, le service public est une notion spécifique, particulièrement difficile à appréhender en droit public. C’est une notion qui n’est d’ailleurs définie dans aucune disposition légale, le législateur ayant laissé le soin aux juridictions administratives de déterminer les critères d’identification de cette notion (on peut, ici, penser à l’arrêt Blanco, en date du 08/02/1873, aux arrêts Terrier et Thérond, en date du 06/02/1903 et du 05/03/1910, mais également à l’arrêt Caisse primaire « aide et protection », en date du 13/05/1938, et les arrêts Montpeurt et Bouguen, du 31/07/1942 et du 02/04/1943, qui ont largement contribué à la définition du service public).
Aujourd’hui, la notion de service public est définie, par le droit commun, comme étant une activité d’intérêt général (critère matériel), assurée par une ou des personnes publiques (critère organique), soumises à un régime juridique particulier, à savoir un régime exorbitant du droit commun, donc doté de prérogatives de puissance publique (critère juridique).
Parallèlement à cette problématique, qui est celle de la définition de la notion de service public, s’est également posée la question de savoir si une personne privée pouvait gérer une mission de service public.
Bien que, dans un premier temps cette hypothèse a largement été exclue, le juge administratif a finalement admis cette possibilité (on pense, ici, à l’arrêt Société Bac d’Eloka « ouest-africain », rendu par le Tribunal des conflits, le 22/01/1921, relatif au service public industriel et commercial, ou les EPIC, et au service public administratif, ou l’arrêt Cie générale d’éclairage de Bordeaux, en date du 30/03/1916, relatif à la délégation de service public, parmi tant d’autres). Pour autant, rien ne permettait de savoir, avec précision, quelles étaient les hypothèses dans lesquelles une personne privée pouvait effectivement être investie d’une mission de service public.
C’est avec l’arrêt Narcy que le juge administratif osa franchir le cap et donna les critères permettant de savoir sous quelles conditions une personne privée pouvait gérer une mission de service public. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a, effectivement, précisé qu’une personne privée pouvait être reconnue comme étant chargée d’une mission de service public, dès lors que cette mission présentait un caractère d’intérêt général (critère matériel), qu’elle était exercée sous le contrôle de l’administration (critère organique) et que la personne privée avait été investie à cette fin de prérogatives de puissance publique (critère juridique).
Reste que cette jurisprudence a progressivement été remise en cause, notamment s’agissant du dernier critère, et ce d’autant que le Conseil d’État, dans l’arrêt Narcy de 1963, a omis de préciser si les critères ainsi déterminés étaient ou non cumulatifs et si la détention de prérogatives de puissance publique était toujours nécessaire pour permettre l’identification d’un service public.
Face à ces imprécisions, le juge commença à admettre, progressivement, que les personnes privées (entreprises privées…) pouvaient effectivement se voir investies de missions de service public alors même qu’elles étaient dénuées de prérogatives de puissance publique. C’est, notamment, avec l’arrêt Ville de Melun, du 20/07/1990 (Conseil d’État, 20/07/1990, 69867 72160, publié au recueil Lebon) que ce mouvement a émergé et s’est, ensuite, amplifié, jusqu’à arriver à notre fameux arrêt APREI.
Quels sont les faits et la procédure de l’arrêt APREI du 22 février 2007 ?
Procédure de l’arrêt APREI du 22 février 2007 : En l’espèce, l’APREI (Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés) voulait obtenir des documents relatifs au personnel d’un CAT (centre d’aide par le travail) géré par l’AFDAIM (Association familiale interdépartementale d’aide aux infirmes mentaux de l’Aude). Cette dernière a refusé de les lui transmettre.
L’APREI a donc assigné l’AFDAIM devant le tribunal administratif compétent, à savoir celui de Montpellier. Dans un jugement, rendu le 27/01/1999, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif a fait droit à la demande de communication de documents formée par l’APREI et a, ainsi, annulé le refus de communication opposé par l’AFDAIM.
L’AFDAIM a, donc, interjeté appel devant la Cour administrative (compétente) de Marseille qui, dans le cadre de sa saisine, dans un arrêt rendu le 19/12/2003, a annulé le jugement rendu en première instance.
Suite à cette décision, l’APREI a, alors, décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État, afin de voir contester et annuler l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Marseille.
Quelles sont les prétentions des parties dans l’arrêt APREI ?
En l’espèce, l’APREI estimait que l’AFDAIM constituait un organisme privé gestionnaire d’un service public et entrait donc dans le champ d’application de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 sur la communication des documents administratifs, selon lequel « les documents administratifs sont de plein droit communicables aux personnes qui en font la demande, qu’ils émanent […] ou des organismes, fussent-ils de droit privé, chargés de la gestion d’un service public » ; selon elle, l’AFDAIM devait, dès lors, lui communiquer les documents demandés.
L’APREI a, ainsi, fondé son pourvoi sur ces moyens et a, notamment, considéré que l’arrêt de la Cour administrative d’appel était insuffisamment motivé et que cette dernière avait commis une erreur de droit en estimant que l’AFDAIM n’était pas chargée de la gestion d’un service public.
Il va de soi que l’AFDAIM avait une position complètement inverse et qu’elle considérait qu’elle n’entrait pas dans le champ d’application de cette loi (estimant, sans doute, qu’elle n’était pas chargée de la gestion d’un service public et qu’elle n’était pas dans l’obligation de transmettre les documents demandés).
Quel est le problème de droit de l’arrêt APREI ?
En l’espèce, la problématique principale, à savoir la question de la délivrance ou non des documents demandés par l’APREI, découlait finalement de la qualification donnée à l’AFDAIM (qui est, bien évidemment, un organisme de droit privé, non une personne publique).
Dans le cas où elle serait considérée, par le Conseil d’État, comme étant investie d’une mission de service public, alors elle entrerait dans le champ d’application de la loi de 1978 et serait dans l’obligation de délivrer les documents requis ; à l’inverse, rien ne l’obligerait à transmettre ces documents.
Le Conseil d’État devait donc vérifier si l’AFDAIM, en sa qualité de gestionnaire du CAT en cause, était ou non un organisme de droit privé, chargé d’une mission de service public.
Quelle est la solution de l’arrêt APREI ?
En l’espèce, le raisonnement apporté par le Conseil d’État est particulièrement intéressant. En effet, celui-ci motive son rejet par un considérant de principe relativement pédagogique, qui se décompose en trois temps :
« Considérant qu’indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public (1), une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration … est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public (2 : critères de l’arrêt Narcy) ; même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée …, dans le silence de la loi, doit être regardée comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints (3 : méthode du faisceau d’indices), il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ».
Le Conseil d’État précise, ainsi, que la qualification législative, dès lors qu’elle existe, s’impose. Il appartient, donc, au juge saisi d’un tel litige de vérifier si le législateur a entendu attribuer ou exclure, à l’organisme en cause, une mission de service public. En l’espèce, le Conseil précise que le législateur souhaitait exclure une telle mission (« il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975 … » que le législateur a souhaité « exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires de centres d’aide par le travail revête le caractère d’une mission de service public »).
Si l’on suit son raisonnement, le Conseil d’État aurait donc dû s’arrêter au simple fait que le législateur avait pris position en l’espèce. Pourtant, la juridiction suprême de l’ordre administratif est allée plus loin et a vérifié que l’administration avait effectivement eu la volonté de confier à l’AFDAIM une mission de services publics (on en déduit donc qu’il a considéré, au regard de la jurisprudence Narcy, que l’AFDAIM ne disposait d’aucune prérogative de puissance publique).
Ainsi, et c’est là toute la particularité de l’arrêt APREI, le Conseil d’État a complété la jurisprudence Narcy en prévoyant un faisceau d’indices (intérêt général, conditions de création, d’organisation, etc.) permettant de vérifier que l’administration entendait confier à l’organisme en cause une mission de service public (dans le cas où elle ne disposerait d’aucune prérogative de puissance publique).
Le raisonnement du Conseil d’État peut donc être résumé de cette manière (si l’on passe outre le fait qu’ici, le Conseil d’État a quand même cherché à vérifier la volonté de l’administration de confier ou non une mission de service public à l’AFDAIM) :
- Soit le législateur a pris position et c’est sa volonté qui s’impose ;
- Soit ce n’est pas le cas et donc :
* si l’organisme dispose de prérogatives de puissance publique, alors la jurisprudence Narcy s’impose,
* s’il ne dispose pas de telles prérogatives, le juge se réfère au faisceau d’indices donné par le Conseil d’État dans cet arrêt APREI.
Quelle est la portée de l’arrêt APREI ?
Bien que le raisonnement du Conseil d’État, dans cet arrêt APREI, puisse paraître confus au premier abord (pourquoi s’attarder sur le faisceau d’indices dès lors que le législateur avait pris position en la matière ?), il faut, en réalité, saluer le caractère pédagogique de la méthode développée par le Conseil d’État, qui a tenu à clarifier le dernier temps de son raisonnement et présenter une application concrète de l’utilisation du faisceau d’indices.
Pour conclure, précisons, que de nos jours, en droit français, la jurisprudence Narcy tend de plus en plus à « disparaître » au profit de la jurisprudence APREI, tant les juges font prévaloir le faisceau d’indices proposés par ce second arrêt sur la détention de prérogatives de puissance publique imposée par l’arrêt Narcy (pour exemple : Conseil d’État, 10e et 9e sous-sections réunies, 10/06/2013, 327375).
Je suis tombé sur partiels-droit en recherchant des informations sur l’arrêt Nicolo et l’arrêt APREI. J’ai pu trouver tout ce dont j’avais besoin et j’ai visité le site internet pour voir si je pouvais obtenir d’autres informations sur d’autres arrêts.
Quasiment à chaque fois, j’ai pu trouver des commentaires d’arrêt plutôt bien détaillés. Je remercie l’équipe de Partiels-droit pour leur travail de grande qualité.