Quel est l’apport de l’arrêt Alitalia du 3 février 1989 rendu par le Conseil d’État ?

Arrêt Alitalia du 3 février 1989

L’arrêt Alitalia rendu par le Conseil d’État le 3 février 1989 est un des grands arrêts de droit administratif français. Par l’arrêt Alitalia, le Conseil d’État institue l’obligation pour l’administration d’abroger les actes règlementaires illégaux, sans condition de délai. Cette obligation résulte du principe érigé dans l’arrêt Alitalia, selon lequel l’autorité compétente saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal est tenue d’y déférer.

En l’espèce, la compagnie italienne Alitalia demande au Premier ministre français d’abroger des dispositions règlementaires en droit interne qui ne sont pas compatibles avec une directive européenne sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans les États membres. Devant le silence de l’administration valant refus implicite, la compagnie exerce un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision.

La jurisprudence de l’arrêt Alitalia est le fruit d’une série d’arrêts antérieurs, qui ont mené à l’institution d’une obligation d’abrogation des actes règlementaires illégaux pour l’administration.

L’arrêt Alitalia a également initié la codification du principe permettant aux administrés de demander l’abrogation, sans condition de délai, d’un acte règlementaire, qu’il ait été illégal dès sa signature ou qu’il le soit devenu postérieurement. Enfin, l’arrêt Alitalia a précisé l’effet juridique des directives européennes en droit interne.

L’arrêt Alitalia : Faits et procédure

La compagnie Alitalia, société par actions italienne implantée à Rome, présente une demande le 11 décembre 1985 au Conseil d’État aux fins de faire annuler pour excès de pouvoir une décision de rejet du Premier ministre.

En effet, le refus résulte du silence gardé par l’administration (supérieur au délai de quatre mois) sur la demande de la compagnie en date du 2 août 1985, concernant des remboursements de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) régis par des décrets (décret n° 67-604 du 27 juillet 1967 et décret n° 79-1163 du 29 décembre 1979) et codifiés au code général des impôts. Cette demande tendait au retrait ou à l’abrogation de ces dispositions limitant les déductions de taxe.

La compagnie requérante soutient que les dispositions régissant les remboursements de TVA sont contraires à la sixième directive européenne du 17 mai 1977 (en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires), qui redéfinissait le cadre du système commun de taxe sur la valeur ajoutée notamment en interdisant les dispositions réglementaires incompatibles avec les objectifs de la directive.

À présent, analysons les prétentions et la question de droit de l’arrêt Alitalia. (Trouvez ici notre guide complet sur la compréhension et la formulation d’une question de droit dans un commentaire d’arrêt, cliquez le lien pour découvrir notre méthodologie !)

Arrêt Alitalia : La question de droit

La compagnie Alitalia exerce un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de refus implicite du Premier ministre. Elle estime que cette décision est illégale, en ce que les dispositions sur lesquelles elle s’appuie ne sont plus compatibles avec les objectifs définis par la directive européenne, et doit être annulée.

Ainsi dans l’arrêt Alitalia, le Conseil d’État a eu à se prononcer sur l’existence d’une obligation pour l’administration d’abroger un acte réglementaire illégal.

La solution de l’arrêt Alitalia rendue en date du 3 février 1989

Le Conseil d’État dans l’arrêt Alitalia rend sa décision en assemblée le 3 février 1989. Dans le premier considérant de l’arrêt Alitalia, le juge relève les dispositions de l’article 3 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations de l’administration et les usagers, sur lequel est fondée la requête de la compagnie Alitalia. L’article 3 de ce décret impose que l’autorité compétente saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal soit tenue d’y déférer.

Deux circonstances sont envisagées : « soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de faits postérieurs à cette date ».

La Haute Juridiction, pour faire de l’obligation d’abrogation une exigence générale, affirme que les dispositions de l’article 3 du décret du 28 novembre 1983 s’inspirent du principe de la faculté dévolue aux administrés de saisir l’administration d’une demande d’abrogation d’un acte illégal.

Elle institue par sa décision la faculté pour l’administré de demander l’abrogation et l’obligation pour l’administration d’abroger lorsqu’un règlement est illégal, dès qu’il est édicté ou devenu illégal postérieurement à son édiction.

La portée de l’arrêt Alitalia rendu le 3 février 1989 par le Conseil d’État

L’administration agit à travers différents actes administratifs unilatéraux. Dans l’accomplissement de ses prérogatives, elle doit se soumettre au respect de la légalité, prendre des décisions initialement légales. Tel n’est pas toujours le cas.

En effet, une décision prise par l’administration peut être illégale dès l’origine, ou peut être légale avant d’être entachée d’illégalité au fil du temps, soit en raison de modifications des circonstances de fait, soit en raison de modifications des circonstances de droit.

Dans ces différents cas (illégalité initiale ou au fil du temps), pour rétablir la légalité, l’administration peut mettre en œuvre spontanément ou à la demande d’un administré les techniques juridiques que sont d’une part l’abrogation et le retrait d’autre part. L’abrogation et le retrait permettent de trier les actes de l’administration dans l’ordonnancement juridique. Ce sont deux techniques qui font disparaître des actes administratifs unilatéraux qui sont illégaux.

Il y a abrogation lorsque l’administration fait disparaître un acte administratif sans porter atteinte aux effets juridiques qu’il a déjà produits. Elle ne concerne que l’avenir, elle n’a donc pas d’effet rétroactif.

Le retrait d’un acte opère, lui, pour l’avenir comme pour le passé. Ces définitions se retrouvent à l’article L.240-1 du code des relations entre le public et l’administration, dans le titre traitant de la sortie de vigueur des actes administratifs.

Pour rappel, l’arrêt Ternon du 26-10-2001, un autre arrêt fondamental en droit administratif, a établi les conditions de retrait d’une décision administrative créatrice de droit. Et ici, l’arrêt Alitalia du Conseil d’État a établi une obligation d’abrogation selon laquelle l’administration est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d’objet, que cette situation existe depuis son édiction ou encore que celle-ci résulte de circonstances de droit ou de fait postérieurs. C’est un principe général du droit français.

Avant l’arrêt Alitalia, le Conseil d’État avait déjà apporté cette solution dans l’arrêt Despujol du janvier 1930 pour les actes non réglementaires, qui ne créent pas de droits. Dans l’arrêt Despujol, jurisprudence de principe sur la question des actes non créateurs de droits, il s’agissait de la contestation par un requérant de plusieurs arrêtés municipaux instaurant un stationnement payant.

Le juge administratif mettait en évidence le fait que des actes administratifs pouvaient devenir illégaux en raison d’un changement de circonstances de fait ou de droit, et reconnaissait aux administrés la possibilité de demander à l’auteur de l’acte son abrogation, sans condition de délai.

En cas de refus de l’administration, l’intéressé pouvait le contester dans le délai du recours contentieux de droit commun, c’est-à-dire deux mois à compter de la décision de refus. Cette jurisprudence de principe avait été précisée en 1964 (CE, Ass., 10 janvier 1964, Simonnet), 1985 (CE, 26 avril 1965, Entreprise maritime Léon Vincent) ou encore en 1987(CE, 30 janvier 1987, Gestin). La jurisprudence avait également déjà opéré une distinction entre les règlements devenus illégaux et ceux qui étaient illégaux dès leur édiction.

L’obligation d’abroger les règlements illégaux a été mise en évidence dans un premier temps par un décret, puis consolidée par la jurisprudence. Elle a été réitérée par une loi et confirmée dans le code des relations entre le public et l’administration. L’abrogation qui pendant longtemps n’a été pour l’administration qu’une possibilité, une faculté, est devenue une véritable obligation pesant sur l’administration.

Elle est apparue par l’article 3 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers, qui disposait : « l’autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte des circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ».

La consolidation jurisprudentielle de cette obligation est venue avec l’arrêt Alitalia. Le juge dans l’arrêt Alitalia considère que l’obligation d’abroger les règlements illégaux n’est pas seulement une obligation du décret de 1983, cette obligation d’abroger est un principe général du droit, une obligation supra-décrétale, une telle obligation ne pouvant être remise en cause que par une loi.

En 2003, l’arrêt GISTI (CE, 7 février 2003, GISTI illustrait l’obligation d’abroger. Le contentieux concernait une demande d’abrogation d’un décret-loi de 1939 relatif aux interdictions visant les publications étrangères. Le GISTI avait demandé au Premier ministre d’abroger ce décret qu’il estimait être devenu illégal. Le Premier ministre avait refusé cette abrogation en gardant le silence, le silence de l’administration valant refus.

Dans cet arrêt, le Conseil d’État a jugé que le décret ne respectait pas la Convention européenne des droits de l’Homme. Par conséquent, le Conseil d’État dans sa décision a adressé au Premier ministre une injonction (la définition ici) d’abroger le décret-loi de 1939.

La jurisprudence a cependant apporté des limites à l’obligation d’abroger dans un arrêt Fédération française de gymnastique (CE, 10 octobre 2013, Fédération française de gymnastique), en jugeant que l’autorité compétente n’est pas tenue d’accueillir une demande d’abrogation dans le cas où l’illégalité du règlement a cessé en raison de circonstances de fait ou de droit, à la date à laquelle elle se prononce.

L’obligation d’abroger les règlements illégaux a été confirmée par la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit. En son article premier, cette loi disposait que l’autorité administrative est tenue d’office ou à la demande d’une personne intéressée d’abroger expressément tout règlement illégal dont elle est l’auteur. Il en est de même lorsque le règlement, par l’effet de circonstances de droit ou de fait postérieurs à sa publication, est devenu sans objet.

L’ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l’administration est aussi venue consolider l’obligation d’abroger.

L’article L.243-2 (alinéa 1) dispose que l’administration est tenue d’abroger de manière express un acte réglementaire illégal ou un acte dépourvu d’objet, que cette situation existe depuis son édiction ou alors qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf dans la situation où l’illégalité ait cessé ».

L’alinéa 2 dispose : « L’administration est tenue d’abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l’illégalité ait cessé ».

Les dispositions de l’alinéa 2 de l’article L.243-2 résultent de l’influence des solutions dégagées par le Conseil d’État dans l’arrêt Association « Les Verts » (CE, 30 novembre 1990, Association « Les Verts »), qui confirme l’étendue du principe d’obligation d’abrogation pour les actes non règlementaires, et dans l’arrêt Fédération Française de Gymnastique de 2013, qui limite l’obligation d’abrogation lorsque l’illégalité a cessé à la date à laquelle l’administration se prononce.

La solution de l’arrêt Alitalia renforce l’effet juridique des directives européennes en droit interne. L’administration est parfois obligée d’abroger un règlement, notamment si celui-ci est devenu illégal en raison d’une évolution du droit européen. L’administration doit tirer les conséquences d’un règlement devenu incompatible, et l’abroger.

L’obligation d’abroger est devenue une ligne de conduite en matière de respect de la légalité pour l’administration. Tout intéressé peut inviter l’autorité administrative à rectifier les règlements nationaux transposant une directive si ces règlements ne sont pas compatibles avec la directive.

Le principe de l’obligation d’abrogation des règlements illégaux par l’administration est donc un régime juridique consolidé par la jurisprudence et codifié à droit constant dans le code des relations entre le public et l’administration.

Près de trente ans après l’arrêt Alitalia, le Conseil d’État a apporté des modifications à cette célèbre jurisprudence. Dans un arrêt rendu le 31 mars 2017 (CE, 31 mars 2017, FGTE-CFDT), la Haute juridiction a décidé que l’autorité compétente saisie d’une demande tendant à la réformation d’un règlement illégal est alors tenue d’y substituer des dispositions qui sont de nature à mettre fin à cette illégalité.

En l’espèce, le syndicat demandait au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision de refus implicite du Premier ministre, relative à un texte régissant les conditions de travail.

Le Conseil d’État a aussi limité les moyens qu’un administré peut invoquer lorsqu’il se heurte à un refus d’abrogation d’un règlement illégal par l’administration. En effet, les vices de forme ou de procédure ne sont invocables que dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre du règlement lui-même (Arrêt du Conseil d’État, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT).

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